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Jun 16 41 tweets 19 min read
un chouette thread pour expliquer un peu mon sujet de recherche de mémoire de M2 :
la tentative de construction d’une contre-réalité des VS en France : l’échec discursif du mouvement #MeToo ? (1/n) ⤵️
d’abord, revenons au point de départ : en 2017 apparaît #MeToo aux USA au même moment qu’apparaît en France #BalanceTonPorc, déferlante de témoignages de VS blablabla 🥱 la fameuse « libération de la parole » !
très vite, #MeToo est présenté comme terminé, achevé : on aurait gagné ? 😱on a du « post-metoo », du « après metoo », et surtout, on a un #MeToo qui aurait présupposément changé radicalement la donne ! le mouvement social porté par le hashtag aurait été agissant…
c’est drôle (non), parce qu’en France, alors même que la libération de la parole des femmes était proclamée, que #MeToo avait apparement tout changé, on a vu d’autres hashtags apparaître… #balancetonyoutubeur, #UbercestOver, #Iwas, #Jaiétéviolée, #JeSuisVictime, #MeTooInceste
ou encore #MeTooGay pour n’en citer qu’une partie

au total, j’ai recensé pour mon corpus une vingtaine de hashtag qui ont été lancés sur Twitter, et repris assez massivement pour que la presse en parle, le tout sur cinq ans, de 2017 à 2022.
je récapitule donc : #MeToo a agi, mais #MeToo se décompose en plein de petits hashtags qui spécifient les VS (violences sexuelles) pour permettre quoi ? un champ d’action plus petit pour agir plus vite et mieux ? 🤷‍♀️
c’est de LÀ que naît ma recherche. de ces discours (oui, #MeToo, ce sont avant tout des discours 👀) prétendument agissant (performatifs, si l’on veut se faire plaisir) qui au final n’agissent pas, puisque permettez moi de vous le dire 🤫
mais si #MeToo a eu besoin d’autant de hashtags différents par la suite, c’est peut-être parce que :

1) #MeToo n’avait rien changé en 2017 🤔
2) la « libération de la parole » n’avait pas vraiment eu lieu, pas pour tout le monde, en tout cas, et que de toute façon, on l’a dit et re dit, mais la parole, elle était déjà là depuis les années 70, c’était l’écoute, qui manquait ! 🤯
de ce constat dichotomique épouvantable (un discours agissant qui n’agirait pas ? diable !) j’ai décidé de voir la façon dont ces discours de #MeToo essayaient d’agir, et la manière dont ils échouaient
au menu : analyse du discours numérique, Gender and langage studies, sémantique discursive et un corpus de 80 pages composé de centaines de tweets de témoignages sur Twitter, des threads critiques postés par des militantes féministes que je follow, et quelques tweets de presse
je vous épargne mon cadre théorique d’analyse mais si ça vous intéresse :
1) discours testimonial
2) hétérogénéité du discours, dialogisme, culture discursive
3) sémantique du nom propre et praxonyme, praxème, conflit de définition
4) performativité, agentivité
les grandes lignes de mes résultats ? 🔎
d’un côté une tentative de construction d’une contre-réalité des VS en France, c’est-à-dire, la tentative, pour les témoignantes sur Twitter, de construire une réalité des VS qui leur est propre, qui colle avec leurs vécus
et pas avec une loi écrite par et pour des hommes
ou qui colle avec la culture du viol (qui elle aussi, est composée de discours 👀) qui dicte ce qu’est une victime (= femme blanche hétéro traumatisée et violentée physiquement), ce qu’est un violeur (= un monstre),
et ce qu’est un viol (= le blitz rape, aka l’homme cagoule dans le parking sous-terrain)
on peut aussi retrouver une redéfinition des normes de la sexualité, avec des conversations mises en place sur notamment le viol conjugal et l'inceste
de l’autre côté, une difficulté énorme à construire réellement cette contre-réalité, portée par ce que j’ai appelé une fragmentation et une spécification de #MeToo, parce que pour moi #MeToo c’est les vingt hashtags différents, et pas seulement #metoo et #balancetonporc en France
mais aussi une reprise de #MeToo en tant qu’évènement clos, qui du coup est repris comme modèle, et pire, carrément comme marque® ! avec évidemment une perte de substance incroyable et des #MeToo à l’infini si bien que ça veut plus rien dire et qu’on sort presque parfois du sujet
☑️ ça, ce sont les grandes lignes, en réalité, c’est plus détaillé, plus subtil, basé sur mon corpus et lié à des phénomènes linguistiques analysables avec des outils linguistiques (mais bon, ça c'est dans les 150 pages du mémoire écrit et ça intéresse pas tout le monde...)
la chose à retenir ? ☝🏻
#MeToo a été présenté trop tôt comme agissant, comme un discours performatif, si bien qu’il n’a pas eu le temps de réellement agir, qu’on a d’ailleurs pas voulu qu’il agisse réellement…
« On a donc, avec #MeToo, affaire à un discours qui pense qu’il fait ce qu’il dit mais qui ne le fait pas, un discours à la puissance d’agir contrée, barrée, entravée. »
« En disant qu’il dit qu’il fait, avant même de réellement faire, le discours soi-disant agissant n’agit plus. Ainsi le constat de « libération de la parole » émis avant même qu’elle se libère totalement n’a fait que retarder et entraver la libération de la parole toute entière
(elle a d’ailleurs pour cela été diluée, fractionnée, échelonnée). Le discours a été interrompu, puisque jugé comme produit et clos, sans attendre que celui-ci termine de mettre en place ses effets perlocutoires :
il y en a donc eu, mais peu, et certains n’ont pas été produits dans leur intégralité. »

(ça, ça fait partie du chapitre 5 de mon mémoire où j'explique ce qu'est pour moi un "échec discursif")
pour ouvrir un peu le sujet, on peut toucher à l’actualité encore brûlante et prendre l’exemple du procès #DeppVSHeard, et du hashtag #mauvaisevictime, qui a été lancé il y a quelques semaines (jours ?) ou les accusations contre #Abad (ou #PPDA, au choix, puisque choix il y a) :
la culture du viol et ses discours sont toujours bien en place, les femmes ont encore besoin de coller au stéréotype de la bonne victime, et leur parole, leur possibilité de dire pour elles-mêmes et par elles-mêmes les violences subies reste entravée
voilà ! n’hésitez pas à poser des questions, ça me fera de l’entrainement pour ma soutenance qui n’est qu’à la fin du mois !
je vous donne quelques références bibliographiques sympa pour appréhender un peu mieux le sujet et les éléments d’analyse :
Gérardin-Laverge, M. (2017). Performativité du langage et empowerment féministe. Philonsorbonne, 11, 93–105. doi.org/10.4000/philon…
Gleeson, J., & Turner, B. (2019). Online Feminist Activism As Performative Consciousness-Raising: A # metoo case study. MeToo and the Politics of Social Change, 53–69. doi.org/10.1007/978-3-…
Gunnarsson, L. (2018). “Excuse Me, But Are You Raping Me Now?” Discourse and Experience in (the Grey Areas of) Sexual Violence. NORA - Nordic Journal of Feminist and Gender Research, 26(1), 4–18. doi.org/10.1080/080387…
Loney-Howes, R. (2018). Shifting the Rape Script: “Coming Out” Online as a Rape Victim. Frontiers: A Journal of Women Studies, 39(2), 26. doi.org/10.5250/fronjw…
Marignier, N. (2021). Performativité. Langage et Société, n° 174(3), 263–266. doi.org/10.3917/ls.hs0…
Mendes, K., Ringrose, J., & Keller, J. (2018). #MeToo and the promise and pitfalls of challenging rape culture through digital feminist activism. European Journal of Women’s Studies, 25(2), 236–246. doi.org/10.1177/135050…
Münchow, P. von. (2021). Du politiquement correct et d’autres procédés de correction discursive. Ilcea, 42. doi.org/10.4000/ilcea.…
Paveau, M.-A. (2014). Quand les corps s’écrivent . Discours de femmes à l’ère du numérique. In E. Bidaud (Ed.), Recherches de visages. Une approche psychanalytique. Hermann. hal-univ-paris13.archives-ouvertes.fr/hal-01163501
Pérona, O. (2018). Déqualifier les viols : une enquête sur les mains courantes de la police judiciaire. Droit et Société, 99(2), 341–355. doi.org/10.3917/drs1.0…
Wood, L. A., & Rennie, H. (1994). Formulating rape: The discursive construction of victims and villains. Discourse & Society, 5(1), 125–148. doi.org/10.1177/095792…
mais aussi :
un billet sur ce que ça m’a fait de travailler sur un corpus aussi sensible noemieantigone.wordpress.com/2022/01/30/cor…
un billet sur la polyvalence de #MeToo (c’est de la sémantique discursive, âmes sensibles s’abstenir) noemieantigone.wordpress.com/2022/02/07/la-…
et une série de billet (ici le 1er) sur la façon dont il est possible de lier le viol et le discours, mais aussi sur le militantisme en ligne, et sur la performance #MeToo noemieantigone.wordpress.com/2021/09/01/met…

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