Thread by @la_revue_Sesame

C’est l’hiver, rien de tel qu’un bon bouillon avant de filer sous la couette. Tiens, on va tirer le vermicelle et parler de Justus von #Liebig, comme promis la semaine passée. Vous verrez, ça va bien plus loin qu’un simple cube ! C’est le #Thread du mercredi. 1/n

D’où vient donc ce fameux bouillon cube ? De loin, vous allez voir. Au départ, Justus est chimiste. Brillant, il fait partie des grands découvreurs du XIXe siècle (on y revient plus bas). En 1853, son ami James Muspratt lui confie ses enfants pour un séjour linguistique… 2/n

Mais pendant ce séjour, un des enfants, Emma, souffre d’un typhus abdominal causé par une salmonelle (découvert en 1818). Elle ne peut plus s’alimenter et son état se dégrade rapidement. Justus réfléchit… 3/n
fr.wikipedia.org/wiki/Fièvre_ty…

… et Justus se dit que la seule solution est de préparer des extraits de viande pour nourrir la jeune femme. Une solution qu’il avait en tête depuis plusieurs années visiblement parce qu’il cherchait de quoi remédier aux disettes et malnutrition qui émaillent le siècle. 4/n

Par ses travaux, il en était arrivé à la conclusion que l’apport nutritionnel de la viande était différent de celui des aliments d’origine végétale, à cause des protéines découvertes en 1838 mais encore mal connues. (Je fais court sinon on est encore là demain). 5/n

Il a aussi remarqué que la viande transfère une partie de ses caractéristiques à l’eau chaude en faisant fondre la gélatine, la créatine, les phosphates et d’autres trucs qui ne sont pas encore découverts. 6/n

Sa conclusion ? Les éléments nutritifs de la viande sont transférés à l’eau… On est en 1844, il décrit la recette. La viande doit être hachée et cuite 30 minutes dans 8 à 10 volumes d’eau… Une fois éliminée la matière grasse, le bouillon est ensuite concentré au bain-marie. 7/n

Vous avez tout et bien plus sur cette découverte dans cette formidable fiche de La main à la pâte (pdf) 8/n
fondation-lamap.org/sites/default/…

Et Emma ? On y revient. Sa vie est en jeu, elle ne parvient plus à s’alimenter et c’est avec son idée et son bouillon qu’il la sauve en lui permettant de manger… De quoi renforcer l'intérêt pour l'extrait de viande… 9/n

Vous avez ci-dessous la transcription d’une lettre qu’elle a envoyée à ses parents une fois sa santé retrouvée dans laquelle elle loue l’idée de von Liebig. 10/n

fondation-lamap.org/sites/default/…

Mais comme souvent, entre l’idée et la production, il y a un gouffre. D’autant que sur le marché existent déjà des extraits de viande composés surtout avec des produits destinés à l’équarrissage (os, gélatine…). Et sont de faible valeur nutritive. 11/n

Et ce n’est pas le seul problème. Il faut beaucoup de viande pour produire de l’extrait. Le rapport est de 30 pour 1. Et la viande, l’Europe n’en a pas beaucoup, le bétail est assez rare. La peste est passée par là. 12/n

Mais comme souvent aussi, c’est une rencontre qui change la face du bouillon. Justus von Liebig s’allie avec l’industriel Georges Christian Giebert qui possède une usine en Amérique du sud. 13/n

Ils créent la Liebig’s extract of meat company dans les années 1860, avec la construction d’une usine en Uruguay. Pourquoi l’Amérique du Sud ? Parce que le bétail y est nombreux, exploité principalement pour sa peau mais pas pour la viande… #astuce. 14/n

En 1865 l’entreprise est cotée en Bourse et de son usine sortent très vite 500 tonnes d’extraits de viande par an. Un peu plus tard elle mettra aussi au point le premier « corned beef » et la marque Oxo part à la conquête du monde en 1899… 15/n

Entre-temps, l’extrait de viande de Liebig a changé de statut. De médicament, les progrès de la médecine ont largement réduit au fil des ans le champ supposé de ses bienfaits, il est devenu ingrédient de cuisine. Vous avez tout là 16/n
sciencehistory.org/distillations/…

Justus n'aura pas connu tout cela il est mort en 1873 assez vite après les débuts de l'entreprise, et n'aura guère profité de cette postérité industrielle. 17/n

Espérant vous avoir ouvert l’appétit avec cette entrée digeste (si si le bouillon c’est digeste :D) voici le plat de résistance. Parce que l’apport de Justus von Liebig ne se limite pas à la cuisine. Il a joué un rôle crucial dans le développement de l’agriculture moderne. 18/n

En effet, s’il ne l’a pas inventé comme on a pu parfois le prétendre, il a grandement contribué à son développement par sa compréhension des mécanismes d’amendements… Son credo, c’est que la chimie (il est chimiste) est la base de tout… “Alles ist Chemie.” 19/n

La date clé, c’est 1840, avec la publication de « Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agricultur und Physiologie » plus connu sous le nom de « La Chimie agricole » en français. 20/n
biodiversitylibrary.org/item/92371#pag…

Le livre ne s’attache pas tout de suite à défendre l’emploi de la chimie en agriculture mais bien à faire comprendre que la chimie, c’est la base. 21/n

donc que l’observation des règles de la chimie pouvait faire progresser l’agriculture, sans entrer pour autant en conflit avec les méthodes traditionnelles 22/n

hyle.org/journal/issues…

Comme l’explique très clairement Jean-Louis Dumas, agronome, dans un papier qu’il lui consacre en 1965, von Liebig est le premier qui a compris l’intérêt de rompre le circuit fermé de l’agriculture par des apports d’engrais extérieurs au cycle. 23/n

« Liebig a rompu le circuit fermé dans lequel évoluaient les matières minérales entre la terre, les plantes, les animaux, le fumier le fumier et la terre. » Un système parvenu à son apogée au XVIIIe et qui ne permettait plus de faire progresser les rendements. 24/n

« Liebig a permis à l’usine-plante d’utiliser des matières minérales d’origine industrielle et l’a libérée d’une servitude naturelle. C’est une dimension nouvelle dans le phénomène agricole » s’enthousiasme-t-il à l’époque 25/n

Il comprend, pour faire simple, que si la plante prélève dans le sol de l’ammoniac, de la potasse et de l’acide phosphorique, alors on peut apporter ces éléments de l’extérieur pour compenser et maintenir le potentiel du sol (là aussi je résume). 26/n

Il comprend aussi que l’appauvrissement des sols est la cause des baisses de fertilité si l’on ne compense pas. Il liste même les éléments que les plantes consomment, potasse, chaux, soufre, magnésium, calcium et fer, même s’il ne perçoit pas le rôle des bactéries… 27/n

C’est à partir de là que l’on s’est intéressé aux amendements et qu’on a pris conscience que le guano du Pérou ou les ossements ou encore le noir d’animaux n’étaient pas des ressources pérennes. 28/n

Et que se sont développées de petites industries utilisant des craies phosphatées ou tirant des produits azotés de la houille. 29/n

Bon, là on touche aux limites scientifiques de votre serviteur, donc avant de débiter des sornettes ou de se tromper, autant vous renvoyer à ce passionnant article de Jean-Louis Dumas… 30/n

Article donc publié en 1965 dans la Revue d’histoire des sciences et de leurs applications. (Et merci Internet…) 31/n
persee.fr/doc/rhs_0048-7…

Sachez aussi qu’il a découvert le chloroforme, le procédé qui permet de déposer une fine couche d’argent sur du verre pour fabriquer des miroirs, qu’il a classifié 3 grands types d’aliments, hydrates de carbone, graisse et albuminoïdes… 32/n

Avec le recul, nous savons aujourd’hui combien il se trompait aussi parfois (n’avoir pas deviné l’existence de gisement de potasse ou que l’on pourrait synthétiser l’azote Haber-Bosch, on en parlera un jour)…  33/n

… mais nous serions mauvais joueurs de ne pas lui accorder crédit pour sa compréhension de la chose agricole et des progrès qui en ont d’abord découlé, après, c’est une autre histoire… 34/n

Allez, pour finir, si Liebig a laissé son nom à une marque commerciale, sachez qu’il n’est pas le seul. Connaissiez-vous Carl Heinrich Knorr ? Julius Maggi ? Henri Nestlé ? Léon Bel ? Non ? C’est cadeau ! 35/35
laretraitedejacky.com/du-bouillon-a-….

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