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Feb 6 41 tweets 7 min read
Bonjour à tous,
Vieux palais de justice de Paris. Salle Voltaire, ses boiseries, ses tapisseries, ses plafonds décorés.
Aujourd'hui, s'ouvre le procès de l'incendie de la rue Erlanger, survenu il y a quatre ans, quasiment jour pour jour.
Vous pouvez retrouver l'histoire détaillée ici >

radiofrance.fr/franceinter/di…
Ce 5 février 2019, une banale dispute entre voisins pour cause de musique trop forte a abouti à un drame : 10 morts et des dizaines de blessés.
Dans le box aujourd'hui, celle qui a mis le feu à la porte de son voisin : Essia B., 44 ans, longs cheveux châtains, le regard absent
Pendant les trois semaines de débats, il sera beaucoup question de sa santé mentale. Au cours de l'instruction, plusieurs experts psychiatres ont estimé qu'elle était accessible à une sanction pénale, même si sous le coup d'une altération du discernement au moment des faits.
Dans la salle d'audience, les citoyens qui attendent d'être (ou non) tirés au sort pour cette session d'assises et de nombreuses parties civiles. Mais elles sont encore plus nombreuses à l'extérieur de la salle, dans l'attente et l'espoir d'une place.
#Erlanger
L'accusée est invitée à se lever pour décliner son identité : Essia B., née en 1978.
"Avant d'être incarcérée, est-ce que vous aviez une profession?", l'interroge le président.
"Non, je suivais une formation de yoga", précise-t-elle d'une voix claire.
Le président procède a tirage au sort des jurés qui seront en charge de juger l'accusée.
"Compte tenu de la durée des débats, à savoir de trois semaines, et de la période de grève, nous allons tirer au sort cinq jurés supplémentaires", a indiqué le président.
Quatre femmes et deux hommes ont été tirés au sort.
"Les débats sont ouverts", indique le président qui s'apprête à procéder à l'appel des parties civiles. 85 personnes se sont constituées au cours de l'instruction, mais d'autres ont prévu de le faire à l'audience.
Les victimes et proches des personnes décédées écoutent le rapport du président sur les faits. Des larmes coulent, certaines préfèrent quitter la salle d'audience.

Vous pouvez réécouter les témoignages de certaines d'entre elles ici > radiofrance.fr/franceinter/po…
En conclusion de son rapport, le président indique aux jurés que "la peine encourue par Essia B. est la réclusion criminelle à perpétuité".
Le président invite l'accusée à se lever. "Est-ce que vous reconnaissez les faits qui vous sont reprochés?"
Essia B. : "je les reconnais".
- vous avez donc mis le feu, c'est ça ?
- oui, sans intention de donner la mort, c'était un geste qui n'était pas voulu, insensé.
Essia B. : "je ne me suis pas rendue compte des conséquences. Il se trouve que je venais sortir de l'hôpital psychiatrique.
Oui, je reconnais les faits. Mais je n'ai jamais voulu faire de mal à personne."
Essia B. : "j'ai juste pris cette serviette que j'ai mis sous le paillasson et j'ai actionné mon briquet. Et je suis partie sans me retourner.
Pendant 3 ans, j'étais dans le déni, je n'arrivais pas à y croire. Je ne pensais pas que ça pouvait entraîner une chose aussi horrible."
Dans le box, Essia B. pleure.
"Je suis vraiment désolée pour les familles des victimes. C'est un drame ce qui leur arrive. Et moi aussi je vis un drame. J'ai mis le feu mais c'était dans un esprit un peu gamin, de vengeance : "tu m'as cassé mon château, je te casse ton château".
Le président l'interroge sur l'appartement dans lequel elle vivait au 17 bis, rue Erlanger.

Essia B. : "c'était un 35 mètres carrés, c'était ma mère qui me le louait pour 970 euros.
Puis, Essia B. est invitée à évoquer ses parents.
Son père, d'origine tunisienne, "chef des interprètes à l'Unesco". "Il est décédé d'un cancer en 2012.
Sa mère, "directrice des langues à l'université de New York à Paris" : "c'était celle qui apportait la joie dans la maison"
Essia B décrit "une enfance heureuse, j'ai jamais manqué de rien. J'ai commencé à aller mal vers 11-12 ans."
- Outre l'alcool, vous avez eu d'autres addictions?
"le sucre, dès mon plus jeune âge. Ma nounou me faisait des biberons très très sucrés et j'ai développé une addiction"
Président : "vous avez pris de l'embonpoint?"

Essia B. : "oui, j'ai eu des moqueries, je me suis renfermée sur moi-même. Et puis je me suis affamée, j'ai eu une phase d'anorexie, vers 13-14 ans."
Essia B. évoque encore son plus jeune frère : "il est musicien, saxophoniste, auteur-compositeur. Il vit à New-York, il est marié et il vient d'avoir une petite fille."
"On est une famille aimante, toujours là l'un pour l'autre, très fusionnelle."
Essia B. évoque une séance avec une voyante. "Je lui ai demandé si j'avais été abusée sexuellement quand j'étais petite. Elle m'a dit de visualiser un lapin. J'ai vu mon lapin gris Panpan, il était devant le cabanon de mon oncle. Et la voyante m'a dit : "c'est lui"."
Essia B. a obtenu son bac littéraire, puis "un Deug de Lettres que je n'ai pas validé car j'ai voulu faire de l'hôtellerie".
Elle poursuit avec l'école hôtelière de Lausanne. "Ca m'a beaucoup plu". "La formation était en 1 ans 1/2 , mais j'ai mis 3 ans à cause de ma maladie".
Essia B. : "j'ai commencé à boire de l'alcool vers 14-15 ans, j'ai fait mon premier sevrage à 17 ans."
"A cause de ma maladie, je suis aussi une acheteuse compulsive, je peux acheter tout et n'importe quoi."
Président : "plus tard, qu'est-ce que vous voudriez faire?"

Essia B, : "je voudrais continuer ma formation de yoga. Ca me permet le contrôle de mes émotions. Je voudrais aussi faire de la médecine ayurvédique. Et quand mon fils sera plus grand, j'aimerais partir en Inde."
Essia B., en larmes : "je veux aller vers la guérison d'autrui. Parce que sans le vouloir, j'ai tué des gens. Et c'est pour cela que je veux aider des gens et les guérir".
Président : "à la mort de votre père, vous avez hérité?"
Essia B. : "oui. 110 000 euros. Mais on s'est mis dans la cocaïne avec le père de mon fils."
- et il ne reste plus rien de ces 110 000 euros?
- non
Le président évoque les différents compagnons d'Essia B. Beaucoup d'histoires qui n'ont pas duré longtemps "à cause de mes pétages de plomb".
Essia B. ajoute : "et le problème c'est qu'avec l'alcool, on se donne un peu à tout le monde quoi".
Président : "votre casier judiciaire est vierge. Mais vous avez évoqué "de très grosses bêtises".
Essia B. : "j'avais bu deux bouteilles de Tequila, j'étais dans une période de dépression. Et j'ai gazé la maison avec du gaz lacrymogène."
- votre fils était présent?
- oui
Le président évoque encore un vol, six jours avant le drame, "pour 70 euros de marchandises au magasin Monoprix" près de chez elle.
Essia B. : "je m'en souviens plus monsieur le président".
Puis, sa tentative de suicide en 2016. "Je ne m'en souviens plus, monsieur le président"
Au sujet de ses hospitalisations en psychiatrie, Essia B. lâche tristement : "je suis une habituée de Saint-Anne, ça c'est sûr".
Président : "et vous n'aviez pas vraiment de volonté de vous soigner";
- non. Mais aujourd'hui, oui. Fortement."
Le président évoque d'autres incidents au cours desquels l'accusée a déjà mis le feu, notamment à des vêtements.

Essia B. : "j'essaie de savoir avec mes psychologues de comprendre ce qu'il se passe avec le feu dans ma vie."
Essia B; : "est-ce que c'est purificateur? Ca enlève les mauvais esprits? Je ne sais pas.
Président : "mais vous savez que ça peut avoir des conséquences graves; le feu?"
- mais je n'y pense pas.
- mais vous le savez ?
- je n'y pense pas. Je ne me rends pas compte du danger.
Essia B. : "c'est aussi le propre de ma maladie, c'est que je ne me rends pas compte du danger."
Président : "vous dites que vous vous chargez d'allumer les feux de cheminée".
- oui, parce que je les démarre bien, vite. Le feu ne me fait pas peur.
A la barre, un enquêteur de personnalité revient à son tour sur le parcours de l'accusée, notamment son dernier séjour à l'hôpital psychiatrique Saint-Anne.
"Sa famille s'oppose à sa sortie et une juge des libertés et de la détention va dans son sens, relate l'enquêteur. "Pourtant, Essia B. retrouve son domicile le 31 janvier". Soit six jours avant qu'elle allume l'incendie qui embrase son immeuble et cause 10 morts.
Essia B. revient sur sa dernière hospitalisation en psychiatrie. "J'ai été mise en hospitalisation libre, j'ai fugué, alors j'ai été en milieu fermé. Et la juge [des libertés et de la détention, ndlr] s'est opposé à ma sortie. Mais je suis sortie quatre ou cinq jour après".
Président : "votre sortie [de l'hôpital psychiatrique, ndlr] a été décidée par l'autorité médicale?"

Essia B. : "par le médecin, oui."
Avocat général : "vous buviez quoi comme alcool?"

Assia B. : "du vin et de la bière, de la Heineken, six ou sept. Et une bouteille de vin par jour".
Avocat général : "vous continuer à consommer du canabis?"
Essia B. ; "oui, la drogue, ça me calme."
- et comment vous faites pour avoir de la drogue en détention?
- bah, il y a des dealeuses ...
Avocat général : "et vous ne vous êtes pas dit que vous alliez arrêter complètement le cannabis ?"
Essia B. : "je n'y arrive pas."
- mais vous n'avez pas une consommation journalière?"
- si
- et là en unité psychiatrique [où a été transférée pour le procès, ndlr]?
- je me soigne
L'avocate d'Essia B. liste le traitement actuel de l'accusée : "120 gouttes de valium, 400 mg par jour de Nozinan, 4mg de Risperdal ..."
Me Schapira (défense) : "en détention, vous voyez un psychiatre tous les combien?"
Essia B. : "tous les mois"
- ça vous aide ?
- pas vraiment. Le reste du temps, je me sens seule avec mes angoisses.
- vous êtes seule en cellule?
- ils veulent pas me mettre avec d'autres

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Feb 7
Au procès de l'incendie de la rue #Erlanger, l'audience reprend. Le président indique d'emblée que la jurée numéro 5 est absente.
"Elle nous a indiqué qu'elle avait vécu elle-même un incendie dans lequel deux personnes étaient décédées et qu'elle se trouvait donc dans l'incapacité de pouvoir juger sereinement cette affaire", précise le président avant de remplacer la jurée par un des jurés supplémentaires.
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"Je voudrais prendre une minute pour m'adresser aux victimes."
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Jan 31
Aujourd'hui, devant la cour d'assises de Paris, s'ouvre le procès du streameur Mr WaynZ pour tentative de meurtre et viols sur des ex-compagnes.
Les détails ici > radiofrance.fr/franceinter/mr…
Après la constitution du jury d'assises et le rapport de la présidente, la cour entend les premiers témoins.
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Jan 26
Au procès de Clément Baur et Mahiedine Merabet, l'audience a donc repris pour statuer sur le renvoi du procès en raison d'une insuffisance d'effectifs parmi les magistrats.
Pour rappel, une magistrate qui compose la cour a été hospitalisée, son état de santé ne lui permet pas de revenir siéger avant plusieurs semaines au moins. Or, la cour ne dispose pas d'assesseur supplémentaire en raison d'un manque d'effectifs. Le procès doit donc être renvoyé.
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Jan 25
D'après nos informations, le procès de Clément Baur et Mahiedine Merabet s'apprête à être renvoyé.

Pour rappel, l'audience a été suspendue lundi en raison de problèmes de santé d'une assesseure et surtout de l'absence d'assesseur supplémentaire, faute d'effectifs suffisants.
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Mais après plus de deux semaines de débats, une assesseure a du être hospitalisée.
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Dec 6, 2022
Bonsoir à tous,

Petite incursion au procès de l'attentat du #14Juillet à Nice où c'est aujourd'hui le jour du réquisitoire. L'avocat général Jean-Michel Bourlès s'apprête à requérir les peines pour pour les huit accusés du dossier.
Avocat général : "vous avez à juger tant des infractions de droit commun que des infractions terroristes. Les infractions en lien avec le terrorisme sont celle qui causent le plus grand trouble dans notre société."
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Dec 5, 2022
Bonjour à tous,

La journée d'aujourd'hui est belge (et pluvieuse). Car c'est l'ouverture du procès des attentats du #22Mars à Bruxelles. Attentats commis par la même cellule que ceux du #13Novembre 2015.
Parmi les 10 accusés, 6 ont ainsi déjà été condamnés à Paris.
A la différence du procès des attentats du #13Novembre 2015 en revanche, cette audience, prévue pour durer 6 à 8 mois, se déroule dans un site en banlieue nord de Bruxelles, ancien quartier général de l'OTAN (et non dans une enceinte judiciaire).
Autre différence notable entre les systèmes judicaires (belges et français), ce sont des jurés populaires qui s'apprêtent à examiner ces attaques.
5 hommes et 8 femmes ont été tirés au sort la semaine dernière. Auxquels s'ajoutent 24 jurés supplémentaires en cas de défaillance.
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