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Blog de diffusion de la recherche en histoire médiévale. Compte Twitter tenu principalement par Florian Besson

Feb 13, 2020, 24 tweets

Aujourd'hui, on va vous parler du #coronavirus. Vous savez sûrement que les Français rapatriés de #Chine ont été placés en isolement : une mesure qui semble évidente, mais qui en réalité a été inventée... au Moyen Âge ! Un thread ⬇️ #histoire #medievaltwitter

Les médecins médiévaux forgent peu à peu un concept de la contagion. La notion est alors plus vaste qu'aujourd'hui : elle englobe le contact physique avec le malade, mais le simple fait de regarder un malade peut suffire à attraper sa maladie !

Certes, il faut attendre le XIXe siècle pour identifier précisément les microbes, à l’origine de ces maladies. Mais reste que dès le XIIe siècle on a bien compris que certaines maladies étaient « contagieuses »

C'est notamment le cas de la lèpre (sachant qu'à l"époque on range sous ce terme toute une série de maladies de peau en réalité très différentes).

Vers 1250, Thomas d'Aquin explique qu'un couple dont l'un des époux est lépreux a le droit de divorcer, car la lèpre est une « maladie contagieuse » (morbus contagiosus).

Dans la traduction du Canon d'Avicenne, l'ouvrage le plus utilisé en médecine pendant six siècles, la lèpre est une maladie « invasive » (invadens). Dans ce contexte, la proximité des lépreux devient inacceptable.

Et du coup, on les isole. A partir du XIIe siècle, des léproseries se multiplient en Europe pour accueillir les malades. Elles sont souvent gérées par des moines, notamment de l'ordre de saint-Lazare, d'où le nom de « lazaret », qu'on retrouvera par la suite pour les quarantaines

L'isolement des lépreux est définitif, vu qu'on ne guérit pas de la peste. Cependant, les léproseries ne sont en aucun cas des mouroirs, mais plutôt des établissements propres et bien gérés, disposant souvent de fonds confortables grâce à la charité des riches voisins

Deuxième étape dans l'invention de procédures de quarantaine : la Peste noire. En Occident, elle tue entre 40 et 70 % de la population au milieu du XIVe siècle (relisez tranquillement ce chiffre : entre 40 et 70 %. Voilà voilà #yapluspersonne).

Dans l'urgence, de nombreuses villes prennent des mesures visant à isoler les malades : on les enferme dans leurs maisons, qui sont parfois gardées, on les expulse de la ville ou on les force à arborer un signe distinctif pour qu'on puisse facilement les éviter

Ce qui évidemment ne suffit pas à empêcher la diffusion de l'épidémie : les consignes sévères des autorités municipales sont rarement respectées. Les malades fuient la ville, les biens et vêtements des défunts peuvent être volés et réutilisés...

En 1377, la ville de Durazzo innove en interdisant l'accès à la ville « à tous ceux qui viennent d'une zone infestée par la peste », sauf s'ils sont auparavant restés « pour se purger » dans un village désigné pour cet usage, à l'extérieur de la ville

La durée de ce séjour est fixée à un mois. Venise imite immédiatement l'idée, en portant la durée à 40 jours : d'où le nom de quarantaine. Pourquoi 40 jours ? Cela vient peut-être d’Hippocrate, qui explique qu"une maladie durant plus de 40 jours est inguérissable

Le principe de la quarantaine se diffuse alors en Europe, d'abord dans les grandes villes portuaires. Un peu partout, on crée des lazarets pour héberger les personnes mises en isolation : à #Marseille, c'est par exemple la Tour Paul (1558)

Il est assez amusant d'ailleurs de noter que la première « quarantaine de terre », concernant donc les marchands et pas uniquement les marins, est instituée à Brignolles, en Provence, en 1464 : pas si loin de l'endroit où sont aujourd'hui isolés les Français rapatriés de Chine !

L'invention de la quarantaine semble ainsi être une histoire de progrès successifs dans le contrôle de la maladie. Mais il y aussi un volet plus sombre...

En effet, le fait de désigner un groupe de personnes comme « contagieux » entraîne une peur diffuse, qui se cristallise lors d'épisodes de violence.

C'est particulièrement le cas pour les lépreux. Dès la fin du XIIIe siècle, ceux-ci sont accusés d'empoisonner les puits. Ils sont chassés, réprimés, voire brûlés. En 1321, le roi Philippe V émet par exemple une ordonnance extrêmement sévère contre les lépreux.

La figure du lépreux se confond alors avec deux autres figures redoutées et détestées : celle du juif et celle de l'hérétique.

Plus diffusément, @arnaud_fossier a bien montré qu'au même moment, le discours de la contagion est également appliqué à l'hérésie. Une confusion cruciale, qui participe de la lente fabrication d'un "biopouvoir" #teamFoucault journals.openedition.org/traces/5128

@arnaud_fossier Aujourd'hui, cette peur du malade nourrit un violent racisme anti-asiatique dans le monde entier. Cf les #jenesuispasunvirus

@arnaud_fossier Une réaction, évidemment, qui est totalement irrationnelle. De même que les lépreux n'empoisonnaient pas les puits, de même « les Asiatiques » ne sont ni à craindre, ni à fuir. Seul le racisme est un vrai poison... !

@arnaud_fossier De la Peste au #coronavirus, l'invention des procédures de quarantaine : retrouvez notre article du jour sur notre site !
actuelmoyenage.wordpress.com/2020/02/13/lep…

@arnaud_fossier Et petite correction : erreur dans le thread, on a écrit Durazzo mais c'est évidemment Raguse/Dubrovnik qui invente la quarantaine ! Voir le thread de @MickaelWilmart

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