Le panel "Lectures / Interprétations" commence avec Sandrine Aragon : « Manifestations genrées de lectures ».
#GenreManifeste
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L’apparition des Précieuses a fait rupture dans l’histoire littéraire : on a commencé à s’intéresser aux femmes lectrices. La lecture a été longtemps déconseillée voire interdite aux femmes ; mais elles lisent, et plus que les hommes – aujourd’hui encore.
Comment cette différence de genre s’est-elle installée ? Au XVIIe siècle donc, les Précieuses apparaissent comme sujets de la lecture : pièces de théâtre, romans qui les mettent en scène. Première fois qu’on se dit que la lecture féminine est inquiétante :
elles se cultivent, et elles se réunissent entre elles en salons pour dire du mal des hommes (peut-être !) – plaît pas trop aux hommes. Première grande vague d’alphabétisation féminine, dans les villes, aussi. Les caricatures de l’époque inventent même alors
le personnage de Lustucru, un homme qui s’occupe de remettre la tête des femmes à l’endroit. Mme. de Scudéry dans ses écrits invite ses lectrices à réformer leur manière de lire, de manière à ce que les femmes ne lisent pas comme on les caricature.
Ensuite, scission de l’image de la lectrice :
- La « normale », qui déchiffre (utile pour la domesticité et la piété),
- La vierge folle (celle qui découvre la lecture et perd la raison, puis l’honneur) ;
- La femme savante (rapidement devenue virago).
- La « normale », qui déchiffre (utile pour la domesticité et la piété),
- La vierge folle (celle qui découvre la lecture et perd la raison, puis l’honneur) ;
- La femme savante (rapidement devenue virago).
Poulain de la Barre, Condorcet, Fontenelle, plaident pour que les femmes puissent lire plus facilement. La mode des contes de fées à la fin du XVIIe siècle laisse enfin aussi un peu plus de place aux femmes.
Au XVIIIe les lectrices deviennent séduisantes. Mais elles sont souvent accompagnées d’un maître de lecture : un homme qui les initie à la lecture, puis au libertinage. Elle peut lire des ouvrages variés ; mais elle devient dépravée et ne lit plus qu’à une main.
Des femmes lisent sur les sofas de Crébillon ! (On a bizarrement moins de représentations picturales d’hommes lisant nus la main dans le caleçon…)
Julie ou la Nouvelle Héloïse : « jamais fille chaste n’a lu de roman » – mais Rousseau poursuit : après tout si une lectrice a commencé à lire son livre, qu’elle continue donc. De fait c’est un grand succès littéraire chez les femmes.
Julie lit, devient sage, respecte l’ordre patriarcal ; elle devient modèle de sagesse même en restant lectrice ; elle est la lectrice rédemptrice. Les pédagogues femmes arrivent sur la scène : les femmes prennent la plume pour affirmer qu’une lecture sage est possible,
que même avoir des connaissances peut être utile pour bien élever les enfants et bien tenir la maison. La lecture plaisir reste jugée comme dangereuse ; elle est strictement encadrée jusqu’à l’âge adulte des femmes.
Grande évolution quand même : d’aucunes deviennent « gouverneur » (ie. enseignent à des jeunes hommes jusqu’à un âge avancé), d’autres entrent dans des sociétés savantes et traduisent Newton… De nouveaux récits apparaissent ;
hommes et femmes peuvent lire ensemble, pleurer ensemble sur leurs lectures, discuter. Une pleine égalité des sexes est presque atteinte à la fin du XVIIIe siècle ; mais ça ne dure pas longtemps – Olympe de Gouges, Mme. Roland, etc. ne survivent pas à la Révolution.
Le modèle social de la Restauration interdit de nouveau les lectures pour les femmes. Les femmes s’autocensurent pour être plus heureuses : ex. les héroïnes de Mme. Duras. Flaubert donne un autre exemple célèbre, Mme. Bovary.
Le bovarysme définit la lecture féminine : la rêvasserie qui pousse à abandonner ses devoirs de femmes – la famille, le foyer. En même temps, deuxième vague d’alphabétisation des femmes, dans les campagnes ; école publique ; ouverture des bibliothèques :
de fait les femmes lisent de plus en plus. Nouveaux personnages forts de femmes de lettres : Mathilde de la Môle en fiction, George Sand en réalité. Mais cette femme savante est alors condamnée au célibat, au malheur amoureux.
Et en même temps la femme qui lit est une femme qui se tait : ça, ça plaît ! Beaucoup de tableaux qui représentent de belles lectrices silencieuses.
Au XXe siècle, la lectrice continue d’être un objet de peinture fréquent (elle aime toujours beaucoup être nue pour lire apparemment). Colette, Pauline Réage, Angot, Despentes, etc. : on aime bien les lectrices et autrices si elles parlent de leur sexualité « débridée ».
Dans la seconde moitié du siècle, les femmes lisent plus que les hommes. Les femmes continuent plus que les hommes de lire à l’âge adulte. Les données genrées restent : les hommes lisent plus de BD, de journaux, de revues scientifiques, etc. – des livres qui leurs sont utiles ;
les femmes lisent plus de développement personnel, de romans sentimentaux, de lectures sans contrainte et sans prestige social particulier – notamment des romans populaires.
Aujourd’hui c’est de l’arrêt de la lecture chez les hommes qu’on s’inquiète : on enjoint les femmes à faire lire leurs époux ! Pourquoi ?
Accès des femmes à la lecture // montée du numérique dans l’accès aux connaissances : qd le livre perd un peu de sa valeur, on accepte qu’elles lisent ; quand l’informatique est encore peu développée les femmes ont droit d’y figurer ; quand l’informatique monte, on les évacue.
Les mêmes partages genrés restent : dès qu’il s’agit de « critique », les hommes dominent (combien d’émissions littéraires conduites par des femmes ?) ; dès qu’il s’agit de prix littéraires, même chose, ni présentes dans les prix ni dans les jurys.
Les mêmes partages genrés restent : dès qu’il s’agit de « critique », les hommes dominent (combien d’émissions littéraires conduites par des femmes ?) ; dès qu’il s’agit de prix littéraires, même chose, ni présentes dans les prix ni dans les jurys.
Est-ce qu’on a donc tjrs les mêmes références et représentations ? Au XXIe siècle, quels interdits ?
- Rap aux religions : on traque les femmes voilées par ex, leurs lectures (se radicalisent-elles ?)
- Rap aux religions : on traque les femmes voilées par ex, leurs lectures (se radicalisent-elles ?)
- Rap à la censure : des pétitions pour interdire certaines lectures (qui prônent la « théorie du genre », côté extrême-droite, ou qui sont sexistes, côté féminisme).
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