, 60 tweets, 17 min read
My Authors
Read all threads
Dostoïevski : un thread ⬇️
Petite précision avant de commencer : vous trouverez partout le prénom de Dostoïevski écrit « Fédor ». Sachez qu’il se prononce « Fiodor », c’est la version russe du prénom grec existant chez nous sous la forme... « Théodore » ! #Teddy
Fiodor Dostoïevski est né en 1821 (comme Baudelaire 🔥) et a passé une enfance plutôt recluse, entre un père médecin d’hôpital dur de caractère, n’aimant ni sortir ni recevoir, une mère douce et effacée, deux frères, et la traditionnelle nourrice russe.
La famille vivait dans une maison jouxtant l’hôpital où travaillait le père : l’hôpital Marie, hôpital des pauvres. Dostoïevski, malgré l’interdiction parentale, aimait la compagnie des malades souffreteux, miséreux et rejetés, errant dans le parc en chemise de nuit.
Les distractions manquaient, il était interdit de courir, de se salir, de jouer au jeu de paume etc. Coupé du monde extérieur et de la société des autres enfants, Dostoïevski enfant devint sensible à l’extrême : une simple promenade en calèche lui donnait de la fièvre !
Le père était constamment à leur dire « on est pauvres, l’avenir sera difficile, vous arriverez jamais à vous en sortir, dans la société tout le monde est mauvais et on n’est jamais sûr de personne », une éducation extrêmement positive 😬
L’enfance de Dosto be like :
Bon, c’est un secret pour personne, mais Dosto a de MASSIVE daddy issues, il a quand même écrit un roman entier sur un père qui se fait tuer, dans lequel il a donné son propre prénom au père, qui ressemble aussi à 100% à son vrai papa, et ça a ensuite été préfacé par Freud 😅😅
Quand Fédia (son ptit nom) a 10 ans, ses parents achètent un petit domaine à la campagne, où ils passent l’été avec leur mère ET C’EST TOUT car PAPA TRAVAILLE ALLÉLUIA LA LIBERTAD, direct ça part en jeux de sauvages et de Robinson, go se peindre le corps et construire des cabanes
À 13 ans, Dosto et son frère Michel vont étudier en semaine dans une petite pension, chez un Monsieur Tchermak. C’est l’occasion de voir d’autres enfants, mais Fédia n’arrive pas à se faire d’amis parmi eux : trop timide, orgueilleux, méfiant, mélancolique, he be like :
Son père est toujours le roi des relous, il ne donne pas d’argent de poche à ses fils avant leurs 16 ans, les fait rentrer de pension le week-end avec l’équipage de l’hôpital pour qu’ils ne glandent pas en ville, et accuse encore sa femme tuberculeuse et alitée de l’avoir trompé
En 1837, la mère de Dostoïevski meurt de la tuberculose. Devenu veuf, le père est pire que jamais, aussi Michel et Fédia sont-ils soulagés d’être envoyés loin de lui à Saint-Pétersbourg, à l’école du génie militaire (spoiler : l’ingénierie ne branchera pas Dosto *du tout* 😬)
En chemin, Fédia voit un cheval se faire cravacher à outrance, il en dort pas pendant une semaine, et trente ans après il raconte encore cette scène dans Crime et Châtiment
Bon à l’école ça se passe mal, on s’en doutait : Michel est recalé et envoyé dans une annexe —> Dosto se retrouve seul —> il trouve tout le monde bête, mesquin, vain et insensible —> on lui donne un surnom ridicule —> il se réfugie dans la lecture, bref : typical high school life
1838, voilà ce qu’il écrit en bas d’une lettre à son frère Michel mdr vraiment cette école est une réussite
Dostoïevski manque constamment de quoi s’acheter des vêtements chauds et du thé, il écrit à son père pour avoir de sous, mais son père est parti en vrille il boit et tabasse ses serviteurs tout le monde le hait, il lui répond « je suis pauvre et toi tu es un fils indigne » 🙄🙄🙄
Quand ses serviteurs n’enlèvent pas leur chapeau pour lui dire bonjour il les fouette, s’ils l’enlèvent il pense qu’ils font exprès de prendre froid pour tomber malade et moins travailler bref. A distance Dosto est intérieurement en mode « meurs vieux schnock ».
Quand
Soudain
...
Le père meurt, buté par ses serfs qui l’ont étouffé et lui ont egalement broyé les c*** à la main 😬😬😬
Dostoïevski se dit « j’ai déjà souhaité sa mort... je suis donc coupable... 😨 » : un mindfuck absolu certes, mais qui sera central dans l’œuvre littéraire de notre héros.
À 19 ans Fédia est sous-lieutenant et commence une coloc avec un médecin chargé de surveiller ses dépenses car, trop naïf et trop généreux, il se fait voler par tout le monde. Il emprunte à ses amis puis finalement donne à un inconnu pauvre croisé par hasard, ce genre de trucs 💸
Un jour Dostoïevski arrive chez son coloc docteur en disant « héhéhé j’ai reçu mille roubles de Moscou héhéhéhéhéhéhé 😁😁😁 », le LENDEMAIN il revient en mode « salut t’aurais pas cinq roubles stp :3 », tous ses potes sont comme ça :
Dostoïevski a un penchant dont on va beauuuuucoup parler pendant ce thread car ça lui attirera des ennuis de fouuuu, j’ai nommé :
En 1843 Fédia âgé de 22 ans est attaché aux bureaux de dessins du Génie, mais ça l’intéresse absolument queudalle, il traduit Eugénie Grandet de Balzac puis démissionne un an après car on l’envoie en mission alors qu’il préfère rester à Saint-Pétersbourg 🤦‍♀️
Le coloc docteur s’en va et Fédia sans le sous entame une autre coloc avec un pote écrivain avec qui il s’entend grave bien, tout va à merveille pendant un mois et ensuite ils n’ont plus d’argent, les dettes s’accumulent mais Dosto a d’autres soucis : IL ÉCRIT
SON
PREMIER
ROMAN
Et maintenant notre top 3 des citations de Dostoïevski au sujet de ses idoles littéraires :
-Racine : « il a pillé Homère, mais de quelle admirable façon 😍»
-Schiller : « j’ai mal quand j’entends son nom 😭💓🔥 »
-Sand : « quand je l’ai lue, j’eus la fièvre toute la nuit 🤪 »
Dostoïevski écrit donc son premier roman, Les Pauvres Gens, il le lit à son coloc, son coloc pleure et l’emporte chez un poète connu (Nékrassov), il lui lit, Nékrassov pleure aussi et dit « allons chez Dosto 😭», ils débarquent donc tous deux en larmes à 3h du mat tout est normal
Cette anecdote est 100% véridique, heureusement Dostoïevski ne dormait pas car il... regardait tranquillement par la fenêtre en attendant que le jour se lève
À son tour, Nékrassov refile le manuscrit à Biélinsky, qui est le boss final du game littéraire à Saint-Pétersbourg. Biélinsky le lit, il adore, et convoque Dostoïevski, abasourdi de tant de talent. « Comprenez-vous seulement ce que vous avez écrit là ?? »
Dosto : jejejjeeejjgh
Selon vous, la vie mondaine de Dostoïevski qui va courir les salons littéraires après le succès de son premier roman sera-t-elle une réussite sociale ?
Vous avez vu juste : Dostoïevski est un cocktail de timidité maladive et de nervosité alliées à une explosion de fierté et d’orgueil d’être la nouvelle coqueluche littéraire de la capitale, il s’achète un haut de forme ridicule et s’attire les railleries par son attitude gauche
Un jour on lui présente une meuf à une soirée, et il
tombe
dans
les
pommes
Évidemment, Ivan Cuisses-Démocratiques Tourgueniev et même Nékrassov (voir plus haut) écrivent un poème satirique pour se moquer de cette anecdote ridicule (mais choupie).
Moi apprenant cette fourberie :
(Pour ceux qui s’interrogent sur les cuisses de Tourguéniev, l’origine de ce trip revient à une punchline de Tolstoï : )
Fédia est très malheureux. Il attaque de peur d’être attaqué, se lance dans des débats absurdes, défend avec acharnement des trucs dont il se fout totalement, s’énerve, se casse, revient à chaque fois, tout le monde rigole, il croit qu’on se moque de lui, il repart, il revient
Voici le squad des gars qui s’amusent à l’irriter et à se moquer de lui : Tourguéniev, Nékrassov, Sollogoub #NiOubliNiPardon
Notre pauvre Fédia a du mal à se mettre au diapason d’un milieu littéraire trop subtil dans son cynisme et ses jeux de pouvoir pour son caractère nerveux. C’est donc un peu la crise MAIS il est lancé sur un nouveau roman... voici l’affiche d’une de ses adaptations au théâtre :
« Le Double », donc. Histoire un peu zarb : un fonctionnaire maladivement timide (suivez mon regard 😅) se retrouve face à... lui-même. Enfin un lui qui est plus arriviste, plus cynique, plus astucieux que lui, et l’écrase totalement, lui pourrit la vie, lui prend même son taf !
Le double du héros, qui a les mêmes prénom, nom et apparence physique que lui (ce dont personne ne se rend compte 😭) est vraiment un gros enfoiré, mais aussi tout ce que le héros aurait aimé être pour réussir au lieu d’être la risée des autres. Vous faites le lien avec Fédia...
Le double est aussi mondain, calculateur, sans scrupules et plein de succès que le vrai est authentique, timide, ridicule, gentil. C’est Dostoïevski contre Dostoïevski.

Du coup personne pige rien.
On l’accuse d’avoir plagié, écrit un truc absurde, bref ça foire.

Coup dur 😭
C’est triste car ce thème du double obsède Dostoïevski et vous le retrouvez partout dans son œuvre. Dans ses romans, la plupart des personnages ont une espèce de jumeau maléfique, et le livre annonciateur de ça, il l’a raté (il le dit lui-même). Pensez-y quand vous lirez 👀
Il écrit encore d’autres trucs qui sont mal reçus aussi, se débat avec des dettes, prend des avances et promet d’écrire, fait tout en retard, dépense trop, déménage trois fois, court après l’argent, se croit tuberculeux ou fou, a des crises d’épilepsie, c’est le bade TOTAL
Au milieu des années 1840 on est donc avec notre Dosto de 25 ans déjà claqué par la vie et perdu.
C’est là qu’il rencontre un certain Petrachevski (en vrai Mikhaïl Vissarionovitch Boutachevitch-Petrachevski, mais on va l’appeler Pétra) :
À l’époque la mode est aux groupes de discussions politiques, mais comme il y a bcp de censure et que les gens n’ont pas de smartphone ils se réunissent discrétos chez des gens, entre autres chez Pétra, où ils forment le « cercle de Petrachevski ».
Dosto ne s’intéresse pas trop à la politique mais il y va aussi. Sachez que le pouvoir est vachement à cran car en décembre 1825 des officiers (les fameux « décembristes ») avaient déjà tenté une espèce de putsch, donc le climat n’est pas hyper propice à papoter constitution 😬
Ok évidemment les gars ne sont pas d’accord entre ceux qui veulent une réforme de monarchie et ceux qui veulent carrément tout faire sauter, et Dosto lui-même est plutôt dans un mood retour aux racines paysannes que renouveau républicain, mais bon tout ce monde parlotte c sympa
Enfin c’est sympa jusqu’à ce qu’avec l’année 1848 en France, le pouvoir russe décide de serrer la vis : en 1849, Dostoïevski est arrêté...
Il est mis dans un cachot de la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, et il y reste, on le sort, on l’interroge, on l’y remet, on recommence ; il fait sombre et humide, il n’y a rien à faire, il est seul dans une cellule vide, bref : c’est une tombe.
Le 22 décembre 1849, Dosto, Pétra et leur squad sont conduits par des soldats sur une place d’armes : autant vous dire que ça sent le roussi... surtout quand ils voient débarquer un prêtre 😬 et qu’ils s’arrêtent à côté d’un échafaud 😬😬😬
Dosto, qui est un peu à l’ouest, se fait engueuler car il essaie de raconter discrètement à son voisin une idée de nouvelle qu’il a eue en prison EST-CE VRAIMENT LE MOMENT FÉDIA
Bon autant vous dire qu’il se réveille d’un coup en entendant le gars lisant les sentences dire « Dostoïevski, coupable de nanani nanana, patati patata, CONDAMNÉ À LA PEINE DE MORT » (j’ai un peu résumé la sentence mais l’essentiel y est). Pétrachevski il est comme ça :
Les trois premiers condamnés sont mis dos au mur, on leur rabat une capuche sur la tête, et là

🚨🚨🚨 COUP DE THÉÂTRE !!!!!

Un messager à cheval débarque et dit « ARRÊTEZ TOUT 🤚 l’empereur dans son immense coolitude vous condamne finalement juste au bagne 🥳  »
En réalité l’empereur Nicolas Ier n’était absolument pas réputé pour sa coolitude, et il avait simplement imaginé de leur *faire croire* qu’ils étaient condamnés à mort pour ensuite les gracier *à 5 secondes de la mort* mdr quel petit farceur 😅😅😅
Dostoïevski, parti pour le bagne le 25 décembre, passe donc un mois à se geler littéralement les fesses dans un traîneau traversant la Sibérie par moins quarante, et arrive au bagne d’Omsk le 23 janvier 1850. Omsk, c’est là :
Dostoïevski revêt l’uniforme des bagnards, ce qui implique d’avoir la tête rasée mais seulement d’un seul côté, idem pour la moustache, et voici notre jeune écrivain délicat jeté au milieu de mecs du peuple qui le méprisent et le bourrinent un peu
Dosto raconte quand même cette anecdote mimi mais révélatrice sur l’énorme gap qu’il y a entre lui et ses compagnons d’infortune :
Les bagnards sont dans l’ensemble pas commodes mais plein de surprises, il a écrit tout un livre intitulé « Souvenirs de la maison des morts » (« Carnets de la maison morte » suivant les traductions), où il raconte notamment ceci :
[page de publicité] n’hésitez pas à lire son livre sur sa vie au bagne (déguisée en roman sur un tierce mec), il y a des passages terribles mais aussi beaucoup de chose touchantes et même amusantes, c’est vraiment l’humanité brute et souffrante avec aussi sa beauté particulière.
Genre à un moment Dostoïevski se fait voler sa Bible, il demande au voleur de lui rendre mais l’autre l’a déjà vendue pour s’acheter de l’alcool, cependant il dit « tkt je vais la chercher », il va voir l’acheteur et lui dit « dsl je reprends la Bible de Dosto », l’autre dit non
Et là direct le voleur sort un couteau et le plante dans le plus grand des calmes, ensuite il est tout content de rendre la Bible à Dostoïevski effaré.

Aussi quand c’est ton anniversaire au bagne, un détenu polonais te suit toute la journée en jouant du violon en ton honneur 🎻
Il y a aussi tout un trafic au bagne car en fait les détenus connaissent tous un métier, donc dès qu’ils sont enfermés la nuit pour « dormir » commence en réalité une vie de fourmilière où ils fabriquent des chaussures ou cousent des vêtements
Sans compter ceux qui s’organisent carrément avec le village d’à côté pour organiser un trafic de gnôle, extrêmement risqué mais aussi extrêmement rémunérateur.
Dostoïevski est toujours considéré comme l’aristo du bagne et ne se fait jamais vraiment accepter. Assez persécuté au début, il finit par être un peu laissé tranquille, et vit quatre ans de solitude et de travaux durs, ponctués de châtiments corporels et de crises d’épilepsie.
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Enjoying this thread?

Keep Current with Marguerite Sacco

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just three indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!