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Les forfaits de téléphone sont + chers aux Etats-Unis, et de – bonne qualité qu'en Europe. Pourquoi ? En raison de la faiblesse de la concurrence. Les Etats-Unis ont abandonné celle-ci alors que l'UE en a fait un cheval de bataille. #ThreadDuVendredi
Aujourd’hui on se penche sur The Great Reversal, de Thomas Philippon (2019). Sa thèse est limpide : alors que les EU se proclament « le pays des marchés libres », en réalité les entreprises y sont trop protégées de la concurrence. Avec des effets sur
les prix (trop hauts), l'investissement (trop faible), la productivité (idem), la croissance des revenus (idem), et même la démocratie (minée par le pouvoir des grandes entreprises). Ouch. Tout ça est attribuable à qqch d'aussi technique qu'une trop forte concentration ? Eh oui.
La 1e partie de l'ouvrage commence par rappeler pourquoi les économistes aiment la concurrence et s'inquiètent de la concentration horizontale : celle-ci (le fait qu'une firme s'attribue une part de marché trop grosse) conduit à une rente,
autrement dit un surprofit qui ne tient qu'à la capacité de cette firme à pratiquer des prix trop élevés pour ses clients sans qu'ils puissent se fournir ailleurs. C'est évidemment le cas d'un monopole, mais ça peut se produire sur un marché où quelques grosses firmes
s'attribuent une trop grosse part chacune. Bien sûr, les entreprises adorent les rentes : ça leur permet de ne pas se creuser la tête à innover, de rémunérer grassement leurs propriétaires, et de faire du profit sans investir.
Accessoirement, une entreprise en monopsone sur le marché du travail (un seul employeur pour tout un bassin d'emploi) fait pression à la baisse sur les salaires, ce qui revient au même qu'augmenter les prix : moins de revenu réel pour les travailleurs.
Faudrait-il alors que tous les monopoles soient abolis et que seules subsistent de petites firmes en concurrence sauvage ? Oui (tant mieux pour l'investissement, la productivité, les salaires), sauf dans le cas des concentrations qui permettent des économies d'échelle.
Philippon oppose ainsi Walmart (principale chaîne de supermarchés US), qui en concentrant le marché a permis de faire baisser les prix grâce à une logistique hyper efficace, au contre-exemple de la téléphonie mobile US : inefficacité, rentes, prix trop élevés.
Donc, la concentration n'est pas toujours mauvaise... mais ça dépend comment on la mesure, et notamment : à l'échelle locale, les effets ne sont pas les mêmes qu'à l'échelle nationale. Philippon est très prudent sur ce point (parce qu'il y a consacré des années de recherche).
À l'échelle nationale, donc, aux EU, on voit clairement depuis les 20 dernières années des secteurs dans lesquels la concenration progresse aux dépens de l'investissement, de la productivité, des salaires. Pourquoi ?
Parce que les EU ont abandonné leur politique de la concurrence. Alors qu'ils avaient été les pionniers, au début du XXe s., de la législation antitrust, les régulateurs (le Department of justice) ont baissé les bras à partir des années 1990 :
trop sensibles aux arguments favorables à l'efficacité industrielle des fusions-acquisitions, ils ont laissé ces dernières se multiplier même quand elles créaient des acteurs trop puissants et inefficaces. Pire : la multiplication des régulations sur les marchés
est le produit de l'activisme réglementaire (lobbying) des grandes entreprises cherchant à protéger leurs positions dominantes, e multipliant les barrières à l'entrée. Or un marché sur lequel personne ne peut plus entrer est non-contestable,
selon le mot de Baumol : les quelques firmes qui y sont installées sont protégées. Et que font-elles ? You guessed it : ↗️prix, ↘️investissement, ↘️salaires.
Dans le même temps (années 2000-2010), que se passe-t-il dans l'Union européenne ? L'exact inverse. La 2e partie de l'ouvrage présente au lectorat américain quelques constats connus ici : la politique de la concurrence, fer de lance de la construction européenne,
produit des résultats. La croissance n'est pas beaucoup + faible, le taux de profit en revanche l'est, la part des salaires dans la VA est + élevée, et les prix sont + bas (bien que, là encore, il faille un luxe de précautions méthodo, admirablement expliquées par l'auteur,
pour l'établir statistiquement). D'où vient ce décalage UE-EU ? D'un paradoxe : l'UE a beaucoup + pris au sérieux le credo américain des marchés libres, que les EU. Et y a mis les moyens : une politique de la concurrence guidée par l'intérêt général
des consommateurs, plutôt que par des considérations partisanes. Et c'est la fermeté de la politique de la concurrence menée par la Commission, souvent contre les Etats, qui permet la naissance et la préservation de la concurrence européenne.
Philippon montre bien que l'Europe aurait pu se construire comme un concert de nations souveraines (à la Churchill-De Gaulle), mais qu'elle a pris la voie d'un ensemble d'institutions supranationales et indépendantes (à la Monnet).
Que l'on aime ou pas le résultat, il a un gros avantage : les grandes entreprises sont moins protégées dans leurs rentes et leurs pratiques anti-concurrentielles en UE qu'aux EU. Et si c'était un effet de... leur poids politique dans chacun de ces systèmes ?
C'est l'objet de la 3e partie : une explication, là encore prudente, empiriquement fondée et mesurée, et du coup implacable, du poids immense acquis par les groupements d'intérêts privés dans le lobbying et les campagnes politiques aux EU.
Pour établir que les dépenses ainsi consenties par les acteurs les + riches (les grandes entreprises) ont un impact sur la réglementation, il faut des trésors d'inventivité méthodo. Que constate-t-on ? Que les grandes entreprises tordent la réglementation
(notamment de la concurrence) dans le sens qui leur va bien... et bien davantage aux EU qu'en UE. À cela une explication simple : l'ordre de grandeur des dépenses de lobbying et de financement de campagne est 50 fois + grand aux EU que dans la plupart des pays européens.
La 4e partie présente des études de cas : la finance, le système de santé (US) et les GAFAM. Je résume seulement ce chapitre en quelques mots. L'argument central de Philippon est que ces derniers ne sont pas des firmes si exceptionnelles :
certes leur capitalisation est énorme, mais pas davantage (voire moins) que des firmes + anciennes à leur époque, et surtout leur contribution à la croissance de la productivité est faible. Les GAFAM produisent énormément de valeur actionnariale,
avec très peu de salariés, et très peu d'effets d'entraînement sur le reste de l'économie : leur empreinte (« footprint ») sur le reste de l'économie US est faible. Doit-on les protéger de la concurrence au nom de leur réussite exceptionnelle ? Surtout pas.
Philippon présente finalement quelques arguments en faveur d'une régulation + offensive de l'usage des données : le RGPD, en Europe, est un premier pas, incomplet certes, mais c'est déjà mieux que l'absence complète de réglementation
américaine. Difficile à mettre en œuvre ? Oui, mais nécessaire : Facebook ne vend rien à ses utilisateurs, en revanche elle vend une partie de leur vie à des annonceurs. On ne peut pas la laisser opérer sans aucune règle.
Le dernier chapitre revient sur des rercherches récentes, et prometteuses, sur le pouvoir de marché des firmes en monopsone : salaires. (j'en ai parlé + haut). Et la conclusion résume les points les + saillants, notamment l'idée centrale du livre :
l'entrée libre de nouveaux acteurs sur n'importe quel marché doit être préservée. Elle requiert un effort politique, et des législations qui parfois sont imparfaites, mais qui doivent conserver cet impératif.
Les 300 pages (sans les annexes) de ce livre se lisent avec une grande facilité même pour des non-spécialistes de l'éco de la concurrence. Et elles ouvrent des débats politiques, notamment en raison du poids déterminant donné à l'exemple européen :
Seules des institutions supranationales et échappant totalement aux suffrages des citoyen.nes peuvent-elles défendre leur intérêt général ? En tant que consommateurs, sans doute. En tant que travailleur.ses, retraité.e.s, etc. : à discuter au moins !
Merci @ThomasPHI2 pour le RT !
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