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Aug 18, 2020 13 tweets 3 min read Read on X
Les jours égrenés de ce mois évoquent l’août de la Révolution française,
ce mois où les grandes ambitions du Tiers se matérialisent (abolition des privilèges, DDHC)

Comment ? Pourquoi ? Dans quelles circonstances? Dans cet ouvrage clé, Timothy Tackett y répond.
#MardiConseil Image
1. Le grand mérite de cet ouvrage est d’abord de rejeter à la fois la vision du commencement de la RF perçue comme une « anarchie » (H. Taine) ou à l’inverse sa vision « complotiste » (Abbé Barruel).
2. Tackett tort le cou à la vision « anarchique » en démontrant la qualité du travail de la Constituante composée en grande partie de juristes, d’hommes de loi et de lettrés consciencieux. Rarement une Assemblée dans l’Histoire de France eut un tel niveau juridique.
3. Mais il tort également le cou au fantasme complotiste (i.e. la Révolution comme produit de la franc-maçonnerie) en montrant la grande incertitude qui règne et qui plane sur la tête des députés et que Tackett met en lumière via la correspondance angoissée de ces derniers.
4. En cela, TT rejoint à mes yeux Quinet qui commence sa « Révolution » en disant : on a souvent reproché à Louis XVI de ne pas avoir arrêté les leaders de la RF au moment de l’ouverture des EG. Mais il ne le pouvait car ces derniers ignoraient qu’ils allaient être des leaders !
5. C’est le 2e grand mérite de l’ouvrage. Il décrit comment les députés de 1789 sont « devenus » révolutionnaires. Et tout est dans le « devenus ».
Il témoigne d’une dynamique, d’un processus, de quelque chose qui dépasse les hommes et les entraîne.
6. Cela permet - 3e mérite - de mettre à distance la lecture paresseuse de la Révolution comme un moment bourgeois. Par une belle prosopographie, Tackett montre la grande hétérogénéité sociale de la Constituante qui ne s’apparente en rien à un « bloc bourgeois ».
7. Très peu de députés du Tiers sont de grands propriétaires terriens/fonciers et aucun quasiment n’est propriétaire de moyen de production.

L’unité du groupe se fait d’abord autour d’un programme juridique : la souveraineté nationale et les droits de l’Homme et du citoyen.
8. En s’extirpant de la vision tronquée de la RF comme « projet bourgeois », on pourrait croire que nous tombons alors dans une conception providentialiste en vogue dans l’historiographie romantique du XIXe siècle
9. conception selon laquelle ce ne sont pas les grands hommes qui ont « fait » la Révolution mais la Révolution qui a « fait » les grands hommes.
10. Mais Tackett n’est pas providentialiste. Il s’appuie sur les faits sociaux, le réel et montre que ce qui a enclenché la Révolution - à défaut de la Providence - est un phénomène qui pourrait s’apparenter - selon moi - au couple fortuna/virtu qu’a conceptualisé Machiavel.
11. Les évènements (fortuna) sont survenus à la faveur de conditions multiples (sociales, économiques, philosophiques, politiques) puis plusieurs hommes au cœur du brasier ont su faire preuve de « virtu », c’est-à-dire de qualités pour faire quelque chose de ces événements.
12. Comment ont-ils pu ? Probablement parce qu’ils étaient mus par une conviction qui leur a donné une énergie, une force et une audace herculéenne : la conviction qu’ils étaient ici « par la volonté du peuple » et qu’ils devaient réaliser le « vœu national » : une Constitution.

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Nov 13, 2020
"Oblomov" est une figure en Russie aussi évocatrice qu'un "Faust" ou qu'un "Dom Juan".

Retour sur une oeuvre fondamentale de la littérature qui a fascinée aussi bien Pontalis que Levinas, et dont Dobrolioubov dans un article fameux en a fait une doctrine : "l'oblomovisme". Image
1. "Oblomov" (1859) est l'oeuvre majeure de l'écrivain russe Ivan Gontcharov (1812-1891). Il a été considéré comme un livre essentiel dès sa parution par ses contemporains parmi lesquels on trouve Tolstoï ou Dostoïeveski qui ont chacun fait part de leur admiration.
2. L'histoire du roman est bien connue: c'est l'histoire d'un homme qui ne veut pas quitter son divan.

Ce court résumé ne laisse pourtant pas imaginer la richesse de cet ouvrage en tt point extraordinaire. Car derrière cette apparente simplicité se cache un roman philosophique
Read 11 tweets
Nov 7, 2020
On se demande toujours si cela vaut la peine de gaspiller du temps à critiquer les choix éditoriaux de Stéphane Bern ou la propagande contre-révolutionnaire d'un L. Deutsch, mais puisque beaucoup me demandent mon avis sur la série Netxflix "La Révolution", je vais en dire un mot.
1. En réalité, je ne devrais rien rajouter à ce qu'a dit @jcbuttier : c'est un navet.

Et comme pour tout navet, le seul commentaire à y ajouter devrait être d'encourager à passer son chemin et d'aller ouvrir un livre de Michelet, Quinet, Mathiez, Walter ou Soboul.
2. Mais il y a une chose qui peut et doit susciter plus que ce désintérêt. C'est l'effet délétère que peut produire cette série.

J'ai tendance en effet à considérer que toutes nos analyses doivent partir du réel, des conditions matérielles de vie, de l'ethos populaire
Read 25 tweets
Nov 6, 2020
L’automne rôde à nos portes et le mois nouveau appelle à relire (ou lire) cette nouvelle souvent délaissée de Flaubert (« Novembre », 1842),
écrit de jeunesse qu’il a un peu renié et qui éclaire pourtant si bien toute son œuvre.
#VendrediLecture #Thread #litterature
1. Il y a « plusieurs » Flaubert.
Le jeune Flaubert, le Flaubert de la maturité et le Flaubert au soir de sa vie.

Le dernier est réactionnaire en atteste ses commentaires sur la Commune,
Celui du milieu - le plus connu - a quelque chose d’un « anar’ de droite », détestant
2. les conventions bourgeoises sans chercher à y substituer une société nouvelle.

Il y a chez ce Flaubert une sorte de refus de ce Monde qui n’investit pas pour autant le souffle socialiste/marxiste de son temps que d’aucuns croient alors régénérateur.
Read 16 tweets
Nov 3, 2020
Pour les amoureux d'Histoire des idées politiques, un petit thread sur un livre peu connu mais à l'influence pourtant majeure sur l'histoire révolutionnaire :

"Que faire" (1863), de Nikolaï Tchernychevski,

ce roman qui a bouleversé Dostoïevski, Lénine, Emma Goldman, Nabokov...
1. "Que faire ?" n'est pas un traité politique mais un roman à première vue assez inoffensif et dont on peine au commencement à comprendre pourquoi il a tenu une place si importante dans la littérature révolutionnaire.
2. Quelque part entre Goethe, Balzac et Dostoïevski, il narre les problématiques amoureuses & sociales de différents protagonistes (Vera Pavlovna, Lopoukhov, Kirsanov) dans un style un peu ampoulé et pas toujours simple à suivre (le problème de traduction est palpable).
Read 22 tweets
Nov 1, 2020
Ici et là, on interroge sur ce que la politique peut et doit répondre à la situation de désolation que nous traversons. Nous ratons, je crois, une étape.

Nous intimons la politique pour masquer que nous avons en grande majorité abandonné son préalable fondateur : le politique.
Nous avons oublié les enseignements de la philosophie politique, nous avons oublié que nous sommes enfants d'une tragédie : nous sommes animal social, condamné à devoir vivre avec les autres.

La création de la Cité découle de cette fatalité, le nomos grec, le jus romain aussi.
La récente gestion de cette donnée par la démocratie est "un accident" comme le dit Moses Finley dans L'Invention de la politique. C'est à dire qu'elle est une nouveauté de l'Histoire, un bien précieux que nous sommes en train de perdre faute de ne plus "penser le commun".
Read 5 tweets
Oct 25, 2020
La Nation est un mot qui pose question. Je le comprends car je ne l’ai pas reçu en héritage et j’appartiens à une génération pour laquelle il est un mot chargé négativement. Je sais bien ce qu’il charrie.
J’ai toutefois décidé de le questionner pour @RevueGerminal
Explications.
1. J’essaie de comprendre d’abord pourquoi ce mot est tant rejeté.
J’y vois 2 raisons principales. D’une part, il est lesté des horreurs du XXe s : les 2 guerres mondiales, le colonialisme, le fascisme, la Shoah. Il est perçu comme le premier domino qui entraîne les autres dans
une réaction en chaîne funeste. Il faudrait dc veiller à ne jamais le remettre debout
D’autre part, l’extrême-drte, qui traditionnellement mobilisait plutôt la monarchie & le catholicisme, use désormais du vocable depuis que la gauche l’a abandonné, créant ainsi un cercle vicieux
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