Quelques réflexions sur le «documentaire» complotiste ‘Hold Up’ et son lot de mensonges sur la pandémie, sur le conspirationnisme en général, et sur ses origines. ⤵️ •1/51
Donc, il y a un film de Pierre Barnérias (financé par une plateforme participative) appelé ‘Hold Up’, qui est sorti il y a quelques jours et qui circule beaucoup, qui rassemble toutes les théories du complot habituelles sur le covid: … •2/51
… que le virus a été créé en laboratoire pour tuer les pauvres, qu'en même temps il n'est pas plus grave qu'une grippe (ce n'est pas très cohérent, mais bon), que les masques ne servent à rien (mais sont nuisibles), que le confinement ne sert à rien, … •3/51
… et bien sûr — car aucune théorie du complot sur le sujet ne serait complète sans lui — que la potion magique du Professeur Raoult est la panacée et qu'il y a un sinistre complot pour cacher l'efficacité de l'hydroxychloroquine. •4/51
Je ne vais pas prendre la peine de rentrer dans le fond de ces théories: je m'adresse à des personnes qui ne croient pas à tout ça. La question qui me préoccupe, c'est plutôt de savoir ce qui nourrit ce genre de théories, et comment on peut espérer réagir en amont. •5/51
On n'évitera jamais les théories du complot, mais en revanche on peut les amplifier. Et je pense que la meilleure (pire!) façon de les amplifier, c'est d'avoir un discours arrogant, catégorique, sans nuance, trop sûr de lui, et qui ignore doutes et souffrances des autres. •6/51
L'erreur (selon moi) est de s'imaginer que si la parole des dirigeants ou des scientifiques fait part des incertitudes bien normales dans une question complexe, on laisse le complotisme s'installer: au contraire! modestie et nuance y sont la meilleure réponse. •7/51
En occultant systématiquement le doute, en cachant la nuance, en déclarant catégoriquement que ceci est vrai, on crée la théorie du complot par réaction naturelle: tôt ou tard le doute ou l'erreur réapparaîtront, et les complotistes auront leurs «preuves» d'un mensonge. •8/51
Prenons l'exemple des masques. Ce qu'on sait à leur sujet est nuancé: le masque chirurgical bien porté est certainement une excellente protection contre la contamination PAR celui qui le porte. Mais POUR lui? Moins clair. Le masque «barrière»? Moins clair aussi. •9/51
Et indéniablement beaucoup de gens ne portent pas bien le masque, faute de compétences ou de moyens (d'en changer dès qu'il s'humidifie, par exemple). La réalité sur les masques est donc nuancée: «on ne sait pas vraiment, mais le coût est faible, utilisons-les!». •10/51
Plutôt que reconnaître honnêtement et modestement qu'on ne sait pas tout, la parole publique est passée d'un extrême à l'autre: en mars, comme ils manquaient, on insistait sur leur inutilité en général, maintenant on est tombé dans l'extrême inverse. •11/51
L'imposition du port du masque à l'extérieur est sans doute le pas de trop (fil:
): elle ne résulte pas d'une réflexion scientifique ou d'un calcul bénéfice-risque mais d'une réaction crispée consistant à tirer sur la corde qu'on a. •12/51
En ce faisant, on nie complètement les doutes légitimes sur cette démarche, et en même temps la gêne réelle de ceux pour qui le masque suscite un inconfort sérieux et qui aimeraient au moins pouvoir l'enlever dehors! Ce braquage alimente les complots. •13/51
En supprimant la nuance, on crée une division insensée entre «pro» et «anti» masques, d'un côté une politique initialement raisonnable qui se crispe jusqu'à l'excès, de l'autre le complotisme appelé par réaction. La science est la première victime. •14/51
Une fois que cette division existe, le débat scientifique devient inaudible. Toute étude est prise à parti par les tenants de l'un ou l'autre «camp» et instrumentalisée comme une arme pour défendre leur position contre le «camp» adverse. •15/51
) sur l'efficacité du port du masque, par la population générale, comme protection du porteur. Cette étude est devenu un sujet de polémique, voire de complotisme («sa publication est-elle empêchée?»). •16/51
Tout ceci n'a AUCUN SENS. Il ne devrait y avoir aucun objet de polémique là-dedans. Je soupçonne que l'étude est simplement fort peu conclusive et ne nous apprendra rien. Mais la dispute est un terreau sur lequel le complotisme fleurit. •17/51
Ou prenons l'exemple des chiffres censés illustrer la gravité de la pandémie ou l'utilité du confinement. En mars le gouvernement avait une communication (excessivement) rassurante, maintenant ils sont (excessivement) catastrophistes:
Les deux sont une erreur. Il y a beaucoup d'incertitude sur tous les paramètres, l'attitude honnête consisterait à reconnaître cette incertitude, donner des fourchettes: au lieu de ça, ils tirent les chiffres dans le sens qui les arrange — ceci engendre le complotisme. •19/51
Macron a avancé le chiffre complètement déraisonnable de 400 000 morts en l'absence de second confinement, qui est la borne la plus pessimiste d'un texte d'opinion lui-même biaisé et qui parle d'autre chose. Mais il faut faire peur! •20/51
Il annonçait 9000 personnes en réanimation pour la mi-novembre, «quoi que nous fassions». Surprise! Il en a moins de 5000. À toujours prendre les chiffres les plus pessimistes pour faire peur, forcément, on tombe court. •21/51
Comment voulez-vous que les gens ne se disent pas que le gouvernement leur ment, après ça? Comment voulez-vous que ça n'engendre pas du complotisme, si on prend toutes les prédictions les plus apocalyptiques et qu'elles s'obstinent à ne pas se réaliser? •22/51
Le premier confinement, au moins en Royaume-Uni et sans doute en partie en France, a été motivé par les prédictions de Neil Ferguson, qui avait prédit l'apocalypse si on ne confinait pas. En Suède son modèle prédisait 85 000 morts — il y en a eu 6000. •23/51
Tout le monde peut se tromper, bien sûr (quoique dans son cas, il y a une certaine tendance à la récidive et à la mauvaise foi, cf. ici et au-dessus:
). Le problème est surtout qu'on continue à traiter comme parole d'évangile ce genre d'étude. •24/51
En réalité, les épidémiologistes ne savent essentiellement rien prévoir, et c'est normal, c'est terriblement compliqué: threadreaderapp.com/thread/1249738… — le problème c'est qu'ils manquent de modestie et qu'on rajoute une couche de pessimisme derrière. •25/51
Or si on érige en parole d'évangile les prédictions de gens qui, en fait, ne savent pas prédire grand-chose (et c'est normal!), et que sur la base de ces prédictions on prend des mesures d'une brutalité inouïe, forcément, les gens vont y voir un complot. •26/51
Et il n'y a pas que le volet épidémiologique! Prenons le volet médical: pour faire peur aux gens, pour qu'ils respectent le confinement, on exagère la gravité de la maladie, en perdant tout sens de la nuance. La covid n'est «jamais anodine» a dit Macron. •27/51
Le problème c'est que, de fait, il y a plein de gens, sans doute une majorité, probablement même chez les personnes âgées, pour qui le covid se manifeste comme un simple rhume ou une vague grippe. Ceci ne contredit pas le fait qu'il y a beaucoup de cas très graves! •28/51
Si on disait la vérité aux gens, «il y a beaucoup de cas anodins, mais aussi beaucoup de cas graves, voire très graves», ce serait nuancé et juste. Mais non, on tient à faire peur. Seulement, les gens verront vite qu'il y a beaucoup de cas anodins autour d'eux! •29/51
Comment voulez-vous que ça n'alimente pas le complotisme que le gouvernement fasse tout un cirque pour dire que c'est extrêmement grave et qu'ils voient des gens autour d'eux qui attrapent la covid et s'en tirent très bien? Ils vont se dire que «ce n'est qu'une grippe»! •30/51
Et s'ils se disent que ce n'est qu'une grippe et qu'on bouleverse leur vie à cause de ça, ils vont entrer en colère et monter des théories du complot. Si on ne cherchait pas à tout peindre en noir pour faire peur, on désamorcerait au moins en partie ce mécanisme. •31/51
«Pour la plupart des gens, ce n'est qu'une grippe, mais malheureusement il y en a beaucoup pour qui ça devient extrêmement grave, et nos hôpitaux ne sont pas dimensionnés pour ça, et nous faisons le choix de tout faire pour tenir la charge.» — voilà qui serait déjà mieux. •32/51
Mais ce n'est pas tout: il y a aussi la malhonnêteté d'avoir présenté le confinement comme une nécessité absolue. Ce n'en était pas un: c'était un choix entre deux catastrophes, un choix qu'il est légitime, même impératif, de questionner. •33/51
Un choix entre un désastre sanitaire et un désastre social, psychologique et économique. J'ai mon avis sur ce choix, mais ce n'est pas le propos ici: le point est que c'était un choix, un choix douloureux, mais que nous devrions regarder comme des adultes. •34/51
Au lieu de ça, le gouvernement a fait comme s'il n'y avait «pas de choix» que de confiner. Forcément, tous ceux qui sont jetés sous le proverbial tramway de ce choix, les victime du confinement, vont se tourner vers le complotisme. •35/51
S'il y avait eu ne serait-ce qu'une parole pour eux, un geste symbolique, un semblant de commisération, cela pouvait aider à ce qu'ils ne se sentent pas totalement victimisés et oubliés. Il n'y a rien eu (sauf vaguement sur le volet économique, et encore). •36/51
Il n'y a rien eu, parce qu'il fallait rester dans le discours du «pas de choix», ce qui exigeait d'invisibiliser les victimes du choix-présenté-comme-non-choix qu'on a fait. Mais ils sentent bien qu'ils sont poussés sous le tramway sans qu'on daigne même se justifier. •37/51
Forcément, ils vont se tourner vers le premier charlatan venu qui offre une alternative. D'où Didier Raoult et sa potion magique. Ou alors ils vont regarder vers des pays qui ont fait autrement. Notamment vers la Suède. •38/51
La Suède a en effet eu une approche très différente de la France, et je ne parle pas du non-confinement, je parle du fait de traiter sa population comme des adultes. C'est aussi un modèle dans la lutte contre le complotisme! •39/51
Mais vu de l'extérieur, la Suède a été prise comme modèle ou comme anti-modèle pour sa lutte contre le covid, qui n'est pourtant pas si différente des autres pays européens (→ aplatir les pics épidémiques en limitant les contacts), «juste» plus respectueuse des libertés. •40/51
Du coup, dans cette polarisation absurde, certains tiennent à présenter l'exemple suédois comme un désastre (ce qu'il n'est pas, sauf p-ê si on s'intéresse uniquement à compter les morts covid en ignorant toute autre considération) ou comme un succès éclatant (non plus). •41/51
Ceci ne peut qu'alimenter encore les théories du complot: pourquoi la Suède n'a-t-elle pas eu de confinement? alors qu'elle a quasi le même taux de mortalité covid que la France? (les réponses sont complexes et nuancées, mais il faudrait commencer par ne pas caricaturer). •42/51
Par ricochet, le «camp» qui s'est créé autour du confinement se doit aussi de nier ce qu'ils imaginent (grosso modo à tort, parce que la Suède y va autant à reculons que la France) comme le cœur de la stratégie suédoise, l'immunité de groupe. •43/51
La vérité, forcément complexe, est qu'on n'a qu'une idée extrêmement floue du nombre de personnes qui ont été infectés par la covid, parce que leurs réactions immunitaires varient (anticorps et lymphocytes T), durent plus ou moins longtemps, etc. Les tests sont mauvais. •44/51
Donc on ne sait ni quel est le niveau d'immunité présent dans la population ni quel est le niveau à atteindre pour stabiliser l'épidémie (à ce sujet, voir: threadreaderapp.com/thread/1324405…). L'honnêteté intellectuelle serait d'être très réservé. •45/51
Au lieu de ça, certains se sont lancés dans une véritable croisade idéologique contre le concept même d'immunité de groupe (voire d'immunité tout court), comme si c'était une théorie fumeuse et exotique et pas un concept biologique basique auquel on s'attend normalement. •46/51
Et d'instrumentaliser tous les témoignages de réinfections covid, de déclin des anticorps, de séroréversion, etc. On en arrive à l'absurdité d'applaudir que le système immunitaire humain marche imparfaitement, parce que cela sert leurs thèses! •47/51
— je ne compte pas y répondre point par point, mais le ton est donné par le fait qu'il décrit comme «consensus scientifique» une tribune (John Snow memorandum) qui répond à une tribune opposée! •48/51
Quand les scientifiques arrivent à écrire ainsi tribune contre tribune, et que chacun est sommé de choisir son camp entre ces deux visions, la science est la première à en pâtir, et le complotisme ne s'en porte que mieux. •49/51
Comment peut-on s'étonner, enfin, que le complotisme fleurisse quand le pays est dirigé avec un mélange surréaliste d'amateurisme incompétent et d'autocratisme infantilisant que Die Zeit a qualifié d'«absurdistan autoritaire» — la France. •50/51
Bref, nous sommes tous responsables de cette vague complotiste. On peut montrer du doigt Raoult et Perrone, je ne les disculpe pas; mais nos manque d'humilité, absence d'empathie, instrumentalisation de la science, politiques sans nuance — y sont pour beaucoup. •51/51
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Bon, allez, un nouveau fil, sur le chiffre de 400 000 morts supplémentaires «si l'on ne fait rien» annoncés par Macron. Plutôt que de dire que c'est mensonger, je vais m'interroger sur les hypothèses qui sous-tendent ce chiffre. ⤵️ •1/37
La première question cruciale est «que signifie “si l'on ne fait rien”»? Faut-il comprendre:
ⓐ on abandonne toutes les mesures qu'on a déjà prises et on revient à la vie avant-covid?
ⓑ on ne fait rien DE PLUS que ce qu'on a déjà fait?
ⓒ juste pas de confinement général?
•2/37
J'ose espérer que tout le monde voit bien la différence entre ⓐ, ⓑ et ⓒ, et est d'accord que le nombre de morts covid dans le cas ⓐ sera plus important que dans le cas ⓑ, lui-même plus important que dans le cas ⓒ. Il faut donc savoir à quoi ce 400 000 se rapporte. •3/37
Pour la petite histoire: j'enseigne un cours de théories des jeux à Télécom Paris, et une année j'ai offert aux étudiants sur l'examen du cours le choix (secret) entre
⁃ 1 point bonus pour eux,
⁃ 2 points bonus partagés entre TOUS ceux qui passaient l'examen.
(I.e., s'il y a n étudiants qui passent l'examen, que k choisissent la première option et n−k la seconde, alors les premiers reçoivent 1+2(n−k)/n points bonus et les seconds 2(n−k)/n. Une question antérieure leur demandait d'étudier les équilibres de Nash de ce jeu.)
C'est peut-être rassurant pour la nature humaine, en tout cas l'écrasante majorité a choisi la coopération (i.e., la 2de option). Et encore, ceux qui ne l'ont pas choisie avaient un raisonnement du genre «les notes seront réajustées» (elles ne le furent pas, et furent hautes).
It turns out there's a whole genre of “what <language X> sounds like to non-<X> speakers” videos on YouTube, where someone (presumably a polyglot) utters phonetically/phonotactically plausible, but meaningless sounds, of various languages X. I find them really fun to listen to!
For example this one, which went viral some time ago:
The first one I encountered was, I think, this one (for some reason it's gone from YouTube, but miraculously preserved by the Internet Archive):
On dirait que le covid s'amuse à nous donner des données qui sont délicates ou ambiguës à analyser (stratégie pour nous diviser? 😅). Case in point: les courbes d'incidence dans les métropoles françaises — l'inflection est-elle l'effet du couvre-feu + confinement? immunité?
(Les graphes en question sont tirés de covidtracker.fr/covidtracker-f… à qui je fais confiance pour reprendre les données diffusées par les pouvoirs publics.)
Sous l'effet du couvre-feu et confinement, je m'attendrais à voir:
⁃ une baisse soudaine de la pente (logarithmique) dans les quelques jours suivant le 17 octobre pour les courbes de gauche (couvre-feu), et une nouvelle qqs jours après le 30 octobre pour toutes (confinement),
✽ An important clarification which I feel I have to make concerning “herd immunity”, its value and more importantly, its definition. The point is, the basic reproduction number R₀ describes a population that is immunologically AND sociologically “naïve”. •1/32
In other words, R₀ describes (the number of individuals who will be infected, on average, by one infected individual inside) a population which has never come in contact with the virus, but doesn't even know about it, care about it, or take any kind of precaution. •2/32
Consequently, if we apply the formula 1 − 1/R (which itself has many caveats and limitations, but it's not the point I'm trying to make here) to this number R₀, we are computing a herd immunity threshold for a naïve population as described in the previous tweet: … •3/32
Bon, je me suis enfin sorti les doigts du c😶l pour faire un calcul d'espérance de vie perdue par les morts covid en France à ce jour:
⁃ âge moyen des décès hospitaliers: 80.5 ans,
⁃ espérance de vie moyenne¹ des décédés: 11.4 ans.
1. Sans tenir compte des comorbidités.
OK, «espérance de vie des décédés», c'est ridicule. Vous me comprenez: celle qu'ils avaient a priori à leur âge+sexe.
Fine print: j'ai procédé en supposant la fonction morts(âge) continue affine par morceaux pour obtenir les totaux par dizaine d'années publiée sur Géodes.