Thread by @DocteurGonzo4

#Thread Soyons clair : Il n’y a pas de « second confinement ».

L’espace social est certes soumis à un rythme inédit, mais ce dernier n’a rien à voir avec l’opération de confinement du printemps dernier. lundi.am/Le-vrai-nom-du…

Depuis le 30 octobre, et même avant, de ci de là, avec l’archaïsme des couvre-feux, il y a des heures creuses, aux alentours de 11h et de 15h, voire même désertes, le dimanche, le soir ; et des heures pleines où se heurtent les foules laborieuses qu’on envoie dormir au loin.

Chacun se déplace dans la rue muni d’une raison visible, cabas de provisions à l’épaule, enfant sous le bras, chien au bout de la laisse, tenue de salarié, couleurs fluos de coureur, relâchement ostensible tenant dans l’heure quotidienne et le rayon maximal.

Sous ces raisons visibles : la raison attestée, pliée dans la poche. Les portiques de Saint-Lazare ne dessinent pas que l’image ressemblante de nos rues ; c’est aussi la mise en place d’un espace, autrefois libre, où on ne peut accéder qu’à l’aide d’une raison suffisante.

Pour nommer cette situation où personne n’est confiné, mais où tout le monde est soumis à un principe de raisons suffisantes – dont la liste variable est édictée par l’État – pour sortir de chez soi, il me semble que le nom d’« arraisonnement » est parfaitement adéquat.

Il désigne cela : une mise à la raison, le fait de n’avoir droit à l’existence qu’à mesure qu’on est capable de rendre des comptes, de donner ses raisons. « Vous n’avez rien à faire ici » – c’est la 1e phrase que j’entends aujourd’hui lors d’un contrôle au carrefour de Belleville

Arraisonnement. Un nom, c’est déjà une prise. Personne n’est confiné, nous sommes tou·te·s arraisonné·e·s, sommé·e·s d’appuyer nos conduites sur les raisons que l’État juge valables, et l’agent en face de vous, crédibles.

Un nom, c’est déjà beaucoup. Une première mesure de santé mentale serait de prendre l’habitude de remplacer, en l’état actuel, « confinement » par « arraisonnement ». Après 48 heures de ce traitement on y voit déjà beaucoup plus clair.

Une amie qui a commencé la cure avant moi : « nous sommes arraisonnés par un pouvoir économique qui sacrifie tout à sa propre rationalité plus que douteuse sanitairement (tu as vu le RER B quand ça bouscule ?), et qui détient officiellement le monopole de l’accès au territoire ».

Des adéquations simples se mettent aussi en place : école = garderie des mômes des salariés ; activités non-essentielles = non-économiques.

On perçoit aussi une ligne de clivage entre celles et ceux qui tiennent encore aux raisons de nos gouvernants,

et qui voient par exemple dans ce pseudo-confinement une tentative musclée de mettre sous cloche ce groupe de fêtards qui répand le virus comme une traînée de poudre,

et celles et ceux qui se savent tenu·e·s par des raisons d’ordre politico-économique plus difficilement lisibles, qu’il faut sans trop de complotisme apprendre patiemment à déchiffrer.

L’arraisonnement en cours coïncide finalement étroitement avec la dernière figure de pensée que nous laissent en legs des penseurs comme Foucault et Agamben, cette figure conceptuelle circulant à double sens où,

d’une part, la vie, jusque dans son substrat biologique, est investie de raisons politiques, et où, de l’autre, les raisons politiques se déguisent en nécessités pour la survie de l’espèce

Le fait que le capitalisme trouve prétexte d’un virus pour se mettre dans son ultime ordre de bataille, voilà l’événement que nous n’avons pas fini de penser. Nous entrons dans l’œil du cyclone. Tout ce qui était bien connu y prend les couleurs de l’inédit.

Nous vivons en vérité une course de vitesse entre, d’un côté, ces raisons qui veulent rattraper nos vies, coïncider avec elles smartphone en main jusqu’à les anticiper, et,

de l’autre, tout ce qui reste en nous d’incalculable pour déjouer ce destin de flicage jusqu’à l’extinction que la cybernétique promet à homo sapiens.