Alors que les catholiques français, privés de messe depuis le début du reconfinement, se posent notamment la question de l’accès au sacrement de l'eucharistie, je propose de revenir ce matin sur une semblable situation vécue pendant la Révolution. ⬇️ 1/20
la-croix.com/Religion/Confi…
J’ai évoqué hier le cas des messes clandestines, célébrées par des prêtres réfractaires. Entre la fin 1792 et jusqu’en 1800, beaucoup de curés sont contraints d’abandonner plus ou moins longuement leurs paroissiens pour fuir ou se cacher. 2/20

C’est toute l’organisation de l’économie sacramentelle qui est ainsi perturbée, avec des délais raccourcis ou allongés selon le type de sacrement et les circonstances. Malades et mourants, qui ne peuvent attendre, peuvent se trouver privés de l’extrême-onction. 3/20
Cette situation concerne surtout les campagnes, notamment celles qui étaient déjà mal desservies avant le début de la Révolution, un peu moins souvent les grandes villes, où de nombreux prêtres ont trouvé refuge et peuvent distribuer les sacrements. 4/20
Ces difficultés d’accès aux sacrements varient aussi selon les périodes et selon le zèle répressif des autorités locales. Elles se font surtout ressentir en 1793-1794 et en 1797-1799, quand la lutte contre le clergé réfractaire fait partie des priorités gouvernementales. 5/20
Cette situation ne concerne pas que les fidèles de l’Église réfractaire. Ceux de l’Église constitutionnelle se trouvent également confrontés au manque de prêtres et aux désertions, nombreuses à partir de 1793, quand cette Église nationale perd le soutien du gouvernement. 6/20
Quand aucun prêtre n’est disponible, les fidèles peuvent organiser des "messes blanches", dites aussi "messes aveugles", "messes sèches", "messes de maîtres d’école" ou, plus techniquement, "culte laïcal". Il s’agit d’un substitut de messe sous forme de prière collective. 7/20
Celle-ci est dirigée par un laïc qui sait lire et qui possède un minimum d’instruction religieuse. C’est pour cette raison que cette tâche incombe très souvent au maître d’école (devenu "instituteur" en 1792), chargé de conduire la liturgie, en lisant et en chantant. 8/20
Des maîtresses, anciennes religieuses ou non, peuvent aussi conduire la prière, comme Marie Rivier, future fondatrice de la Congrégation de la Présentation de Marie, dont une de ses élèves disait que, pendant la Terreur, "elle a été au milieu de nous comme un curé". 9/20
Les autorités tolèrent ces rassemblements, qui ne tombent pas sous le coup de la loi. Seuls les instituteurs sont réprimandés quand leurs charges pastorales empiètent trop sur leurs obligations, les obligeant à fermer souvent l’école ou à interrompre leurs cours. 10/20
Certains sont destitués et arrêtés en cas de récidives fréquentes. Mais en général, les administrateurs locaux ne voient dans ces rassemblements que des "singeries", qui devraient vite lasser le peuple, surtout si, de leur pt de vue, c’est une femme qui dirige l’assemblée...11/20
Les autorités interviennent surtout quand l’organisateur est un notable local que l’on suspecte de mauvaises intentions. C’est le cas du ci-devant baron Angot des Rotours, emprisonné à Alençon après avoir été accusé de vouloir se faire passer pour un vrai prêtre. 12/20
De son côté, le clergé cherche à encadrer ces pratiques à distance. Il peut avoir laissé des instructions avant de partir en exil, comme l’abbé Dangest, curé de Conchy-sur-Canche (62), auteur d'une "règle de conduite pour les paroissiens qui n’ont plus de curés’. 13/20
Évêques et vicaires généraux rédigent également des instructions, comme l’abbé Linsolas, vicaire général du diocèse de Lyon qui fait circuler un minutieux plan d’organisation du culte clandestin, fixant les règles d’exercice des prières dominicales sans prêtre. 14/20
Pour pallier l’absence de célébration eucharistique et de communion, les fidèles sont invités à pratiquer l’adoration du saint sacrement, quand celui-ci est déposé chez un particulier, et de se purifier spirituellement par la prière pour se préparer au retour du prêtre. 15/20
Même chose pour les autres sacrements. Les fidèles attendent le retour du desservant exilé ou le passage d’un missionnaire clandestin pour obtenir les sacrements de mariage, de pénitence et d'eucharistie (le baptême peut être administré par un laïc). 16/20
L’abbé Molin raconte très bien, dans son journal, cette attente des fidèles. Des manuels sont édités pour aider les prêtres à rétablir le culte « après la persécution ». Certains d’entre eux sont consultables en ligne :

books.google.fr/books?id=s6t__…

books.google.fr/books?id=y0wpT…

17/20
Difficile de faire un bilan global de ces privations momentanées, tant les situations sont contrastées, notamment en terme de durée. Dans les paroisses concernées, l’absence de prêtres a augmenté la ferveur des uns, tout en consacrant le détachement religieux des autres. 18/20
Pour en savoir plus, je renvoie aux travaux de Marie-Paule Biron, au livre de Xavier Bisaro, "Chanter toujours" (chap. IV, en ligne : books.openedition.org/pur/101603#bod…), en attendant la très prochaine publication de la thèse de @ComeSimien sur l'école au village au @CTHS_Paris. 19/20
Signalons enfin qu’il existe encore aujourd’hui en France des groupes de catholiques sans prêtres : ce sont les dissidents de la "Petite Eglise" en Vendée et dans la région lyonnaise, en rupture avec Rome depuis le concordat de 1801. 20/20

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Paul Chopelin

Paul Chopelin Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @ChopelinP

16 Nov
Depuis quelques jours, on voit fleurir l'expression "messes clandestines", revendiquée par certains catholiques qui mobilisent le souvenir du culte réfractaire pendant la Révolution. L’occasion de revenir sur l'histoire de ces messes interdites. 1/25
20minutes.fr/societe/290888…
1ère précision : la liberté de culte n’a jamais été abolie en France pendant la Révolution. Les seules restrictions sont personnelles et pèsent sur le célébrant, s'il n'est pas assermenté. Autrement dit, la messe est clandestine car le célébrant est un prêtre réfractaire. 2/25
Un prêtre réfractaire est un prêtre catholique qui a refusé la Constitution civile du clergé, la réforme de l’Église de France votée par l’Assemblée nationale en juillet 1790. Il a marqué son refus en refusant le serment prévu par la loi (27 novembre 1790). 3/25
Read 25 tweets
11 Jun
Le site toppletheracists.org ("Renversons les racistes"), animé par une "Stop Trump Coalition", propose de recenser les statues de personnalités racistes ou "responsables de violences coloniales" en Grande-Bretagne : Francis Drake y côtoie Kitchener ou Baden-Powell. 1/19
L’intention, louable, est d’inviter au débat et d’éviter des destructions sauvages, en proposant de déposer les statues "problématiques" dans un musée. Mais est-ce à ce site de décider de ce qui est raciste et de ce qui ne l’est pas ? Le risque de confusion est énorme. 2/19
Ces revendications sont le résultat d’une profonde négligence des pouvoirs publics à l’égard de ce patrimoine, qui aurait dû être questionné scientifiquement et démocratiquement depuis longtemps, pour dégager un consensus. 3/19
Read 20 tweets
13 Apr
Shinzo Abe comparé à Louis XVI. Bel exemple de la prégnance du mythe de la Révolution française dans l'imaginaire japonais contemporain ! "Dans d'autres pays cela engendrerait une révolution" ⤵️
Cette analogie historique fait écho au #guillotine2020 qui devient récurrent sur Twitter depuis 15 jours, en France, aux États-Unis mais aussi en Allemagne.
Read 14 tweets
3 Apr
Aujourd'hui, je présente un classique de l'historiographie marxiste des années 1950, "La foule dans la Révolution française" (1959) de l'historien anglais George Rudé (1910-1993). 1/17
Après avoir travaillé dans les années 1940-début années 1950 sur les mouvements populaires en Angleterre au XVIIIe siècle (Gin Riots de 1736, protestations wilkites des années 1760), il entreprend d'enquêter sur le cas parisien pendant la Révolution. 2/17
Son intention est d'entreprendre une histoire sociale des "journées révolutionnaires", pour comprendre ce qu'étaient les foules parisiennes de 1789-1795 et critiquer le topos de "la canaille" véhiculé par H. Taine, ainsi que l'approche trop systémique de G. Le Bon. 3/17
Read 17 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!