Il y a quelque temps, je suis tombé par hasard sur une résolution parlementaire qui m’a intrigué : pourquoi demander que la séance du #1erdecembre 1947 soit datée du #1erdecembre 1947 au JO ? En tirant le fil, l’histoire contemporaine de la France se déploie
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La résolution est présentée par Jacques Duclos, l’un des grands dirigeants du parti communiste d'alors. Auréolé par la résistance, le PCF est le premier parti de France (28 % aux législatives de 1946) mais depuis le début 1947, il est exclu du gouvernement fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_D…
A la fin de l’année 1947, le gouvernement est composé de socialistes (SFIO), de radicaux et du Mouvement républicain populaire (MRP - centre droit). Opposé à gauche aux communistes et à droite aux gaullistes, on lui donne le nom de « troisième force » fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la situation sociale est très tendue. L’inflation est galopante (60 %) et le rationnement est toujours en vigueur. Après les grèves d’avril, un nouveau mouvement social de très grande ampleur se déclenche en octobre/novembre
Le 27 novembre, un « comité national de grève » est constitué par la CGT. La grève devient alors insurrectionnelle. Sabotages sur les lignes de chemin de fer, capture d’automitrailleuses militaires à Saint-Etienne, prise du palais de justice à Marseille…
Face à la menace insurrectionnelle et à la crainte d’une prise du pouvoir par le PCF, le président du conseil, Robert Schuman (MRP), et son ministre de l’intérieur, Jules Moch (SFIO), réagissent en déposant deux projets de loi
Intitulés « Protection de la liberté du travail et défense de la République », ils :
- rappellent 80 000 réservistes pour les mettre sous l’autorité du ministre de l’intérieur
- accélèrent la procédure pénale
Leur discussion va enflammer l’Assemblée le 29 novembre 1947
Le samedi 29 novembre 1947, la séance est ouverte à 10h30, par un événement de premier ordre mais qui passe presque inaperçu dans les circonstances : l’annonce de la mort du général Leclerc dans un accident d’avion
Puis Robert Schuman présente ses projets de loi et annonce qu’ils devront être votés pour entrer en vigueur le #1erdecembre, deux jours plus tard. C’était sans compter sur la guérilla parlementaire que les 182 députés communistes allaient mener
Le ton monte rapidement, avec une agressivité à laquelle on n’est plus habitué et dont le point de référence favori est la dernière guerre. Le PCF est le « parti de la résistance » alors que Schuman, traité de « boche », est renvoyé au vote des pleins pouvoirs du 10 juillet 1940
Pour la majorité, c’est un coup de force communiste qui est en cours, et la mainmise annoncée de Moscou sur la France. Le ministre de l’intérieur dresse le bilan des actes de sabotage sur le réseau ferroviaire
Pour les communistes et l’Humanité, c’est à l'inverse un coup d’Etat qui se prépare à la chambre
On s’affronte à coups de chants dans l’hémicycle. Le chant du 17e pour les communistes (du nom du régiment ayant fraternisé avec les grévistes de 1907). La Marseillaise pour les partis du gouvernement, reprise par les communistes qui enchainent avec le chant du départ
Ordonnances de Charles X, mitrailleurs du peuple de 1848 et 1849, Cavaignac, lois scélérates de 1893/1894… c’est toute l’histoire de la France contemporaine qui pénètre dans l’hémicycle
Le président sanctionne les députés communistes les plus virulents. A la suite de la sanction du député Calas, héros et guerre et résistant, les députés communistes se regroupent autour de la tribune et en bloquent l’accès
Face au « sabotage parlementaire », la majorité dépose, en plein débat, une proposition de résolution pour modifier le règlement, qui est discutée en urgence. Elle limite à une par groupe les demandes de scrutins à la tribune, qui prenaient 1h30 à organiser !
La proposition de résolution est discutée de minuit à 10h30 du matin dans la nuit de samedi à dimanche. Puis, jusqu’à 21h, c’est à nouveau la discussion du premier projet de loi, qui est finalement adopté. L’assemblée a siégé 35 heures de suite.
La séance reprend le lundi 1er décembre 1947… et le panneau à l’entrée de l’hémicycle indique toujours "séance du 29 novembre" car la séance n’a été que suspendue et non levée. Le #1erdecembre, on est toujours le 29 novembre dans le « calendrier Schumanien »
Pourquoi? Parce que Schuman a annoncé que le projet serait voté le 29 novembre, parce que la loi doit être votée le plus vite possible… et parce que le gouvernement veut éviter qu’elle ne soit votée le #2décembre, date anniversaire du 2 décembre 1851, coup d’Etat de Napoléon III
D’où la proposition de résolution de Jacques Duclos pour rétablir le calendrier habituel… et que la séance du #1erdecembre soit bien datée du #1erdécembre, l’occasion de faire le parallèle entre le coup de force du gouvernement et le coup d’Etat du 2 décembre
Ce débat, c’est aussi la rencontre des deux moitiés du XXe siècle :
- Herriot préside
- Daladier, ancien président du conseil (pour les lois)
- Césaire, député communiste (contre)
- l’abbé Pierre, député MRP (contre)
- Mitterrand, ministre des anciens combattants (pour)
Au final, la seconde loi sera adoptée le 3 décembre, toujours, officiellement, dans la séance datée du 29 novembre. Cette séance s’étend sur 5 jours et son compte-rendu au JO est long de 204 pages
Le même jour, le Paris-Tourcoing déraille après un sabotage des voies, faisant 20 morts. Le 4 décembre, Moch fait évacuer les gares par la force. Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, appellera à la fin de la grève et la situation se calmera au cours du mois de décembre
Au final, la séance se sera prolongée du 29 novembre au 3 décembre… et la résolution prévoyant que le compte rendu du #1erdecembre soit publié au JO du #1erdecembre ne sera jamais adoptée. On peut consulter ce JO sur le site des archives de l'AN : 4e.republique.jo-an.fr/numero/1947_i1…
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🗳️ Dans un mois, les Suisses participeront à 5 votations sur :
-l’immigration en provenance de l’UE
-la chasse
-la fiscalité des familles
-la création d’un congé paternité
-le renouvellement des avions de chasse
L’occasion de s’intéresser au #référendum en Suisse
[À dérouler👇]
Les citoyens ont deux possibilités pour obtenir un référendum :
- recueillir 100 000 signatures pour une modification constitutionnelle (art. 139 de la Constitution) = 2 % des électeurs
- collecter 50 000 pour s’opposer à une loi (art. 141) = 1 % des électeurs
(2/16)
En l’occurrence, la première votation (sur l’immigration en provenance de l’UE) est une initiative constitutionnelle.
Les quatre autres sont des votations pour s’opposer à un acte fédéral : trois lois et un arrêté (dans le cas des avions de chasse)
(3/16)
En octobre 1918, la France est confrontée à l’épidémie de grippe dite « espagnole », dans un contexte de guerre.
Le 25 octobre, le Gouvernement est interpellé à la Chambre sur cette question.
On retrouve dans ces échanges la plupart des préoccupations actuelles...
[À dérouler]
C’est le député Lucien Dumont qui aborde le premier la question, en pointant les conséquences de la promiscuité (notamment dans les files d’attente) dans la diffusion de l’épidémie
Il est rejoint par le député Fernand Merlin, qui dresse un bilan alarmant de l’épidémie :
- près de 2000 décès par semaine en France
- 400 décès par jour à Barcelone
On lit que le Parlement ne montrerait pas l’exemple en se réunissant malgré l’épidémie, et que les parlementaires auraient ainsi des privilèges.
Pourquoi est-il essentiel que le Parlement continue de se réunir ? Trois raisons : efficacité, État de droit et exemplarité
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1. L’efficacité.
Pour pouvoir agir efficacement contre l’épidémie, il est nécessaire d’adapter des lois en vigueur. Par exemple, repousser le second tour des municipales ou aider financièrement les entreprises touchées par la crise nécessitent de voter de nouvelles lois.
2/15
C’est précisément l’objet des trois projets de loi déposés aujourd’hui et qui doivent être examinés en urgence : un projet de loi de finances rectificative et deux projets de loi (ordinaire et organique) d'urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.