THREADS SUR LA VERSIFICATION, via la critique de cours diffusés sur Youtube par « Les Bons Profs ». Cours dont certaines bévues et imprécisions risquent d'induire en erreur les novices de tout âge.
Acte I :
→ 0'50 Sa règle du « E muet » manque de clarté et d'exhaustivité. Mieux vaut dire :
Un E suivi d'une consonne (comme d'un h aspiré) se prononce et compte pour une syllabe, qu'il soit à l'intérieur ou à la fin d'un mot. Devant une voyelle et à la fin du vers, il demeure muet.
On éclaire d'abord la chose par des exemples simples montrant que la prosodie du vers diffère des us du langage courant :
Je / te / don/nE / du / pain (6 syllabes)
Je / te / donn' / du / pain (5 syllabes)
Puis on propose un alexandrin qui, en plus d'illustrer la règle sous plusieurs formes, présente quelque allure, tant rythmique que rhétorique, en vue de former correctement l'oreille et l'esprit des élèves :
« Je / te / don/nE / du / pain,// tu / m'of/frE/s un/ sou/rire. »
Son alexandrin (« je travaille dur, car j'aime énormément ça »), outre sa navrante platitude, est, sur le plan prosodique, une faute pédagogique, car ses unités de sens (syntagmes) invitent à le couper en 5/7. Ce qui empêche d'imprégner le rythme basique de l'alexandrin.
Composer un alexandrin de structure classique qui, par son évidente symétrie (6/6), en fait entendre sans équivoque les limites métriques (internes et externes), eut été plus judicieux.
Enfin, on explique que cette règle du E prononcé devant consonne vaut également pour les mots finissant par un E précédé d'une voyelle (plaie, joie, poésie, composée, etc.).
On verra dans une autre vidéo que la prof semble elle-même ignorer cette subtilité...
→ 2'00 Son explication du pourquoi deux phonèmes vocaliques successifs (dont le premier est i, u, o, ou) au sein d'un mot forment ou non un cas de diérèse (deux syllabes distinctes), est aussi confondante qu'impropre au déchiffrage naturel des vers.
Contrairement à ce qu'elle laisse entendre, les versificateurs ne décident pas d'appliquer ou non la diérèse selon leur fantaisie et les circonstances du vers, mais observent des règles le plus souvent dictées par l'étymologie.
Hors exceptions consacrées par l'usage (par ex. diable et fuir), se prononcent en diérèse les mots qui comportaient à l'origine deux voyelles — soit dans la racine (li-er<ligare, nati-on<nationem), ou par l'adjonction d'un suffixe (alou-ette).
Les mots se prononcent en synérèse (l'inverse de la diérèse : une syllabe pour deux phonèmes vocaliques contigus) lorsqu'il y a eu diphtongaison d'une voyelle d'abord unique (pierre<petra) ou vocalisation d'une consonne (fruit<fructum).
Ici un tableau récapitulatif des diphtongues communément admises par les versificateurs comme recevant une diérèse ou une synérèse :
Les cas d'entorse à ces conventions sont tout à fait rarissimes chez les versificateurs « classiques » — par ex. « miasmes » en synérèse chez Baudelaire (cf. Élévation) ; « tiède » en diérèse chez Valéry (cf. La jeune Parque).
Pour s'en convaincre, il suffira de parcourir n'importe quelle anthologie de la poésie française : jamais on y trouvera d'exemples de substantifs finissant par -ion qui dans un vers régulier ne se prononcent pas en diérèse (li-on, passi-on, rati-on, etc.)
Le plus dommageable est qu'elle termine en disant : « on pourrait prononcer spontanément, et c'est dans la plupart des cas (sic!), ten-ta-tion, une seule syllabe... »
Alors qu'en régime versifié, c'est l'exact inverse qui est vrai...
Je rappelle que ce mini-cours s'adresse à des élèves de Première, et qu'il est délivré par une prof de l'EN censée maîtriser les contenus qu'elle enseigne.
La baisse de niveau d'un certain nombre de profs n'est pas tout étrangère à celle des élèves.
Pour celles et ceux ignorant que le Chant Royal est une forme fixe codifiée, je recopie la description qu'en fait Théodore de Banville dans son Petit traité de poésie française, pp. 224-225 : 🔽
« Le Chant Royal se compose de cinq strophes de onze vers chacune, et d'un Envoi.
Toutes les strophes sont écrites sur des rimes pareilles aux rimes de la première strophe, et les vers de chacune des strophes sont disposés dans le même ordre que les vers de la première strophe.
L'Envoi se compose de cinq vers écrits sur des rimes pareilles aux rimes des cinq vers qui terminent les strophes, — et les cinq vers dont se compose l'Envoi sont disposés comme les cinq vers qui terminent chacune des strophes.