Greg_dt Profile picture
19 Feb, 17 tweets, 7 min read
#Fusion101
Suite de ma série sur la fusion. Après avoir discuté de l’extraction de la puissance, intéressons-nous aux matériaux. Quels matériaux peuvent supporter les conditions extrêmes de la fusion nucléaire ? Quelles propriétés doivent-il posséder ?
Tout d’abord, même si le plasma proche des surfaces est plus froid que les 150 millions °C du centre, les flux de chaleurs sont de l’ordre de 10MW/m2, et sont accompagnés de flux de particules très intenses, pouvant éroder le matériau, et de neutrons très énergétiques.
Le matériau idéal devrait avoir une grande conductivité thermique, de bonnes propriétés mécaniques, être résistant aux chocs thermiques, ne pas trop s’éroder, ne pas intéragir avec le tritium, ne pas s’activer sous l’impact neutronique… Un mouton à 5 pattes.
Historiquement, les premières machines étaient en verre car c’était facile à faire et on testait le concept. Rapidement, on est passé à des enceintes en acier qui supportaient des températures plus élevées. Les plasmas étaient très courts- quelques dizaines de millisecondes.
Afin de localiser les intéractions entre le plasma et les surfaces, le concept de limiteur fut inventé. Il s’agit d’une structure métallique définissant le rayon du plasma et protégeant la chambre à vide mais aussi les système de mesure. Les plasmas étaient alors circulaires
Les flux de chaleur étant élevés, les limiteurs étaient au départ fait en matériaux ‘réfractaires’, qui ont des points de fusion
Problème : un atome de tungstène possède 74 électrons. Quand il pénètre dans le plasma- un mélange d’électrons et d’ions- les électrons sont progressivement arrachés du tungstène ce qui consomme de l’énergie (refroidit le plasma) et le dilue, car on augmente le nombre d’électrons
Comme en plus le tungstène s’accumule au centre du plasma (lié aux propriétés du transport de particules), les profils de température pouvaient être ‘creux’ avec un plasma assez froid au cœur- et donc de mauvaises performances
Au fur et à mesure des années, un grand nombre de matériaux a été testé pour trouver un optimum. La liste est très longue et comprend des surprises. Le tokamak ORMAK aux USA a testé des limiteurs plaqués or !! (l’or est très peu réactif, parfait pour une enceinte à vide)
Un tournant majeur fut le développement du graphite- une forme de carbone- pour les réacteurs de fission. Graphite qui a la particularité très intéressante de ne pas fondre : il passe directement de l’état solide à gazeux. Cela le rend résistant à de très grands flux de chaleur
Les performances des plasmas se sont fortement améliorées. Mais le graphite n’est pas parfait, il est poreux et piège l’hydrogène (ou le tritium). Des techniques de conditionnement ont été développés avec des décharges de nettoyage entre chaque plasma.
Encore plus embêtant, le carbone réagit avec les particules du plasma pour former des molécules gazeuses (méthane par exemple). Ces molécules sont transportées par et à travers le plasma et se re-déposent dans des endroits difficiles d’accès accumulant du tritium.
Lors des expériences D-T à JET en 97, 35% du tritium injecté est resté piégée dans ce type de couches de carbone re-déposées. Or le tritium étant radioactif, seule une quantité limitée peut s’accumuler dans la chambre à vide- 1kg au maximum dans ITER.
urlz.fr/eXKj
Exit donc le carbone pour ITER. Certains esprits originaux (moi) ont tout de même testé une autre forme de carbone : le diamant !! Pourquoi ? Car le diamant est la matériau avec la meilleurs conductivité thermique. Les résultats ont été très intéressants
iopscience.iop.org/article/10.108…
ITER utilisera non pas un limiteur mais un divertor. Dans ce cas on ajoute une bobine dans le bas de la machine qui permet de défléchir les lignes de champ magnétique et de créer une zone d’interaction pour le plasma séparée du plasma très chaud. Les performances sont améliorées
ITER utilisera du tungstène pour le divertor et du beryllium pour la première paroi. Le beryllium est un métal léger qui pollue peu le plasma, a une bonne conductivité thermique mais une température de fusion assez basse (1287°C)
Environ 640m2 de beryllium et 200m2 de tungstène

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Greg_dt

Greg_dt Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @Gregdt1

13 Feb
#Fusion101
La fusion nucléaire consiste, en simplifiant beaucoup, à chauffer un gaz à 150 millions de degrés dans une boite métallique pour générer de l’énergie.
Comment récupère-t-on cette énergie ? et surtout quels sont les contraintes sur les matériaux proches du plasma ?
La réaction de fusion deutérium-tritium produit un neutron, qui porte 80% de l’énergie de la réaction et un atome d’hélium qui porte les 20% restants.
Le plasma est confiné par un ensemble de champs magnétiques. Les particules sont chargées (positivement pour les ions, négativement pour les électrons). Dans un champ magnétique une particule suit les lignes ‘de force’ et suivent un mouvement de gyration autour de ces lignes
Read 22 tweets
3 Jan
Et si le coût de production des aliments prenait en compte les externalités climatiques ? Quel serait le surcoût associé ?
C’est le sujet d’une étude publiée par 3 chercheurs allemands dans Nature Communications. (open access)
nature.com/articles/s4146…
L’étude détaille l’empreinte carbone des aliments, à la sortie de l’exploitation, et lui applique une taxe carbone pour estimer son impact sur le prix au kilo. L’étude est faite pour l’Allemagne mais les conclusions s’appliquent en ordre de grandeur dans d’autres pays.
Observation intéressante, les émissions de la production de viande dépendent peu du type d’élevage (intensif ou animaux nourris avec des aliments bios). Image
Read 7 tweets
12 Dec 20
Un article dans Science, repris dans plusieurs magazines scientifiques semblent annoncer que les US vont construire un réacteur de fusion. Comme souvent dès qu'on parle de fusion la réalité est plus complexe. De quoi s’agit-il ?
sciencemag.org/news/2020/12/u…
Il faut se souvenir de la relation complexe entre les US et ITER. En 2013 sort un ‘Management Assessment report’ très critique à l'égard de la gestion d'ITER. Un changement de DG est 'recommandé' (exigé est plus correct)
newyorker.com/news/daily-com…
Les coûts d’ITER et la volonté des US d'un budget constant pour la fusion (programme domestique+ ITER) amènent le DoE à proposer la fermeture du tokamak Alcator C-Mod du MIT. Les discussions dureront longtemps et il fermera definitivement en 2016
thetech.com/2012/09/07/alc…
Read 11 tweets
5 Dec 20
On voit pas mal d’articles fleurir ces jours-ci sur le démarrage d’un nouveau « réacteur de fusion nucléaire » en Chine. La grande majorité sont très imprécis voire factuellement faux. Un petit thread pour y voir plus clair

#fusion @iterorg

capital.fr/economie-polit…
De quoi parle t-on ? Du démarrage du tokamak HL-2M à Chengdu dans la province du Sichuan. Un tokamak est une configuration magnétique permettant de confiner un plasma de fusion. Il en existe un grand nombre en opération dans le monde

tokamak.info
HL-2M est un tokamak de taille moyenne avec un rayon majeur 3.5 fois plus petit que celui d’ITER. Son but est d’étudier les performances plasmas mais surtout les interactions plasma-matériaux et la physique du divertor
Read 10 tweets
8 Nov 20
#Fusion101
Je prépare un support de vulgarisation sur la fusion nucléaire,donc une série de threads à venir pour expliquer les bases, la physique des plasmas, l’état des recherches, les défis à venir, les différents projets et les applications [1/10]
@iterorg #fusion #energy
Pour réaliser la fusion sur terre, il faut porter de la matière à une température très élevée- typiquement 150 millions oC dans ITER. C’est 10 fois la température au centre du soleil- nous y reviendrons. A ces températures, la matière est à l’état de plasma. Plas-quoi? [2/10]
L’état de plasma est souvent appelé 4ème état de la matière après les 3 états que sont- solide, liquide, gaz- car un gaz chauffé forme un plasma : un gaz dans lequel les particules ont suffisamment d’énergie pour que les électrons quittent les noyaux. [3/10]
Read 10 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!