[THREAD] Il y a dix ans, le 11 avril 2011, à la mi-journée, après une nuit entière d’intenses bombardements ininterrompus sur la résidence présidentielle, où se trouve Laurent #Gbagbo, les médias occidentaux annoncent : « Gbagbo a été arrêté. »
Que s’est-il précisément passe ce matin du 11 avril ? Les dirigeants français affirmeront qu’aucun militaire français n’a franchi les murs de la résidence officielle du chef de l’État ivoirien, et que ce ne sont pas les forces françaises qui ont fait prisonnier Gbagbo.
Si, en effet, aucun soldat en uniforme n’a été visible à l’intérieur du bâtiment, il semble bien, pourtant, que ce sont les Français qui ont mené toutes les opérations ayant abouti à l’arrestation du dirigeant ivoirien.
Tôt dans la matinée de ce 11 avril, une colonne d’une trentaine de chars français, partie du camp du 43e Bima, a traversé Abidjan. Objectif : ouvrir la voie aux Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), l’armée d'Alassane Ouattara.
Et les aider, voire les pousser à faire ce qu’elles n’ont pas réussi au cours de la nuit : atteindre la résidence présidentielle.
L’aide de l’armée française n’a cependant pas été suffisante. Les militaires français ont dû aussi défoncer l’enceinte de la résidence, à coups d’obus tirés avec leurs chars, pour que les troupes de Ouattara, toujours aussi peu performantes, pénètrent à l’intérieur.
Les Français sont également allés chercher des anciens ComZones et les ont amenés à bord de leurs chars jusqu’à la résidence, leur confiant la mission d’aller y récupérer Gbagbo.
Apeurés, certains ont refusé, d’autres, comme Vetcho et Morou Ouattara, ont accepté. Ce sont ces derniers qui apparaissent sur des images tournées par des Français habillés en civil et diffusées par la TCI, chaîne de Ouattara, puis par les télévisions occidentales.
On les voit entourant Gbagbo et lui faisant enfiler un gilet pare-balles, avant de l’encadrer et de sortir avec lui de la maison. Pendant toute cette séquence, plusieurs Français en civil étaient donc présents dans l’enceinte de la résidence.
L’ambassadeur de France, Jean-Marc Simon, filmé par les cameras de télévision aux côtés des chars français positionnés autour de la résidence présidentielle ce 11 avril 2011, expliquera lui-même que l’armée française a conduit cette opération d’arrestation.
Dans une interview donnée en 2012, il dira même que la force Licorne a, le 11 avril au matin, « ouvert les axes » et permis aux « FRCI d’avancer vers la résidence de Cocody ». Il ajoutera que la décision a été prise « naturellement, par le président Nicolas Sarkozy ».
En nov. 2011, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, expliquera que, puisque les FRCI semblaient hésiter à s’engager, un régiment français « a été placé sur le boulevard de France. Et nous avons fermé » (enlevant aux FRCI toute possibilité de revenir en arrière).
Le 10 nov. 2011, Longuet décorera le 12e régiment de cuirassés (12e RC) de l’armée française qui a participé à la manœuvre, disant : cette unité s’est « illustrée, entre le 30 mars et le 11 avril, en assurant sous la pression de nombreux tirs ».
Le général Elrick Irastorza, chef d’état-major de l’armée de terre, dira pour sa part, lors d’une visite au même régiment, le 5 juillet 2011 : « J’en avais rêvé comme commandant de la Licorne [de juin 2005 a juin 2006], le 12e RC l’a fait et de belle manière. »
L’armée française, dont la mission initiale était de soutenir l’Onuci et d’assurer la sécurité des ressortissants français, a ainsi été de « tous les combats » avant même la mise en œuvre de la résolution 1975, officiellement commencée le 4 avril, et qu’elle a aussi outrepassée.
Résumons : l’arrestation de Gbagbo a été menée en dehors du mandat donné par l’ONU et de tout autre cadre légal : rien, légalement, ne justifiait l’intervention de plusieurs dizaines de chars français et des Forces spéciales françaises ce 11 avril 2011.
Ci-dessous la résidence du chef de l’État ivoirien après les bombardements français. S'y trouvaient de nombreux civils dont des femmes et des enfants. Selon l'ONU, 163 civils sont arrêtés dans la résidence ce jour-là. Plusieurs d'entre eux seront blessés et torturés par la suite.
Ainsi, ce que la France n’a pas pu faire en 2002 et 2004, elle l’a réalisé en 2011, sous couvert de l’ONU : elle a neutralisé durablement Gbagbo, permettant le retour en Afrique de l’Ouest d’une « France forte », et l’installation d’un régime veillant sur ses intérêts.
Le 21 mai 2011, Sarkozy se rend à Abidjan (il est le seul chef d’État occidental à faire le déplacement) pour assister à la prestation de serment de Ouattara devant le Conseil constitutionnel, avec à ses côtés des patrons de grandes entreprises françaises.
Mais la France n’a pas seulement chassé Gbagbo de la présidence : elle a aussi permis l’installation au pouvoir d’une armée responsable de massacres et dont une partie des commandants étaient déjà auteurs de graves violations des droits humains et d'exactions économiques.
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Troisième et dernier [THREAD] sur le 11 avril 2011 à Abidjan, avec un second témoignage : celui d’un civil, proche de Laurent #Gbagbo, qui était avec lui et des dizaines d’autres personnes dans la résidence officielle du chef de l’État de Côte d’Ivoire.
« Le jour de notre arrestation, la résidence avait été sévèrement pilonnée. Il y avait de la fumée partout. Ce qui fait que la plupart des occupants de la résidence étaient regroupés dans une chambre au sous-sol.
Gbagbo a reçu un coup de téléphone indiquant qu’une colonne de chars français allait quitter le 43e Bima pour venir vers Cocody.
[THREAD] Témoignage d’un civil qui se trouvait à la résidence officielle du chef de l’État de Côte d’Ivoire entre le 4 et le 11 avril 2011 (témoignage figurant dans le livre « France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée ») :
« Le 3 avril, alors que nous étions en train de déjeuner à la résidence, le président #Gbagbo a reçu l’information selon laquelle nous allions être attaqués.
Ce même jour, nous avons aperçu un hélicoptère s’immobiliser dans les airs, pointant un canon vers
nous. Il donnait l’impression de faire des repérages. C’est le lendemain soir que les opérations ont commencé.
[THREAD] Le président de Côte d'Ivoire Alassane #Ouattara a fait savoir il y a deux jours qu’il allait réfléchir à une possible candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2020.
Pourtant, ayant fait déjà deux mandats, il ne peut se représenter, à moins de violer la Constitution ivoirienne (cf. articles 55 et 183).
Il est intéressant de rappeler qu’en 1993, après la mort du président Houphouët-Boigny, Ouattara avait tenté de contourner la Constitution. A l'époque, c’est le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan #Bédié, qui devait assurer l’intérim du pouvoir, selon la Constitution.
[THREAD] : Il n’est pas exagéré de dire que les officiels français considèrent toujours, de manière consciente ou non, les États africains francophones comme des colonies françaises, et leurs dirigeants comme des quasi gouverneurs au service de la France.
Cela apparaît noir sur blanc dans des textes officiels publiés par l’Assemblée nationale française : la France y est désignée avec le terme « métropole ». (…)
Le rapport aux autres demeure hiérarchisé voire racialisé. « Les idées à l’origine de la colonisation » ont pénétré « en profondeur la société française, au point qu’elle a souvent un regard du XIXe siècle sur l’Afrique », a constaté l’historien sénégalais Ibrahima Thioub.