Comparution immédiate ; je suis juge d'instruction et je siège aujourd'hui en tant qu'assesseur, comme une a deux fois par semaine. Le ressort où j'officie est marqué par une délinquance très forte, la Cour d'Assises est très chargée et ses délais sont très longs...
Le parquet a souvent recours a la correctionnalisation, en faisant passer des vols avec arme ou des violences graves & donc criminelles en comparution immédiate, à condition que le dossier soit limpide & que le tribunal soit suffisamment éclairé sur la personnalité du prévenu.
Les juges d'instruction siègent souvent en compa : on sait pertinemment au vu de l'encombrement de nos cabinets, qui fonctionnent à flux tendu, que nos délais sont déjà très longs et qu'on est déjà au delà du nombre gérable de dossiers. On accepte donc, bon gré mal gré,
de juger en compa des faits très graves. Aujourd'hui Victor est poursuivi pour violences ayant entraîné 1 mutilation permanente. Le procureur n'a pas retenu la circonstance aggravante tenant à l'usage de l'arme, qui fait de cette infraction 1 crime. Le prévenu
porte un gros bandage au bras droit & semble ne pas percevoir qu'il est bien mal engagé. Depuis longtemps il ne s'entend pas avec Dylan, la victime. 1 vieux contentieux, dont les intéressés eux mêmes sont bien en peine d'expliquer les raisons. Mais chaque rencontre est l'occasion
de s'insulter, se provoquer... Ce qui est fréquent, ils habitent le même quartier. Victor ressasse... Il repense aux ricanements quand il croise son ennemi, aux rumeurs qu'il fait courir sur lui... Il rumine et avant hier, il s'est saisi d'1 arme, qu'il a depuis longtemps.
Il n'a bien sur pas le droit de détenir cette arme de poing mais Victor, la trentaine et plusieurs mentions au casier judiciaire, ne s'accommode pas de ce genre de détails. Il met son pistolet a la ceinture et se rend chez Dylan, qui vit en colocation avec un ami.
Là, les versions divergent : Dylan et son colocataire affirment que Victor a immédiatement sorti son arme et a tiré, 2 fois, sur le bras de la victime. L'articulation du coude a été très gravement atteinte et le médecin légiste indique que toute la mobilité ne pourra pas être
récupérée, d'où la qualification contenant les termes "infirmité permanente". Le colocataire avait 1 feuille de boucher en main et, craignant qu'il tire à nouveau, a porté un coup avec à Victor, au niveau du bras droit. Le prévenu a eu un tendon sectionné : il a reçu des soins
puis a immédiatement été placé en garde-à-vue. Victor affirme avoir reçu ce coup de couperet immédiatement & n'avoir tiré qu'en réponse, pour se détendre... Sa version est fragilisée par l'enquête. Déjà condamné pour violences, Victor est donc déféré pour être immédiatement jugé.
Le président d'audience est 1 collègue de l'instruction. Il est à la fois extrêmement à l'écoute des parties à l'audience, ce qui permet des débats sereins, et très efficace. Surtout, rompu à l'interrogatoire, il est pointu et très pertinent dans ses questions :
son calme et son sourire cachent bien le fait qu'il est redoutable et très capable de mener le prévenu à en dire bien plus qu'il ne le souhaite. Il énonce les faits reprochés et commence à interroger Victor. Celui ci est énervé. Il braille, se plaint, ne comprend pas
de se trouver là alors qu'il est VICTIME : il lève son bras bandé en notre direction pour appuyer son propos. Le président revient sur le conflit avec Dylan, le prévenu hausse encore le ton et on sent comme la haine est tenace. La victime le coupe depuis le banc
où elle est assise, un bandage plus grand encore recouvrant son bras ; mon collègue la fait taire, "vous aurez la parole à votre tour". Victor poursuit et le répète : certes il avait un "flingue", mais pour impressionner, "faire le bonhomme". Il n'avait aucune intention
de s'en servir mais il a été attaqué et il a tiré pour se défendre, quand il a été agressé à l'arme blanche. Il brandit de nouveau son bras. Mon collègue invite le prévenu à s'asseoir et Dylan se lève pour raconter sa version. Son ennemi a frappé à la porte, a tiré à 2 reprises
dès qu'il a ouvert. Son colocataire est arrivé de la cuisine où il découpait du lapin pour le dîner et voyant Victor là, pistolet brandi, il a levé la feuille de boucher qu'il était en train d'utiliser et l'a abaissée sur son bras... Son agresseur a lâché l'arme.
Des voisins alertés par les cris ont prévenu la police, très vite sur place. Dylan explique ce qu'a dit son médecin, il va s'en remettre mais pas complètement. Il est en colère, il est ému, et bien sûr on le comprend. Il ne comprend pas, tout ça pour 1 vieille dispute débile...
Mon collègue invite Victor à retenir à la barre, où il l'invite à réagir à la version de la victime. Même attitude, le prévenu éructe & proteste. D'1 voix douce, comme à son habitude, le président glisse : "Monsieur montrez moi le geste du tir?..." Victor lève son bras bandé.
Il mime & donc vise, devrait en toute logique appuyer sur la détente..Mais aucun de ses doigts ne bouge franchement. Normal, le tendon sectionné en a atteint la mobilité... "Expliquez-moi Monsieur comment avez vous tiré, 2 fois, alors que vous aviez déjà le bras blessé?.."
Victor bafouille, s'emmêle... S'enfonce. Le président donne lecture des expertises médicales de Dylan et de Victor, du casier judiciaire du prévenu, de l'expertise psychiatrique de ce dernier, de l'enquête de personnalité qui en dressent 1 portrait assez sombre.
Il n'exprime aucun regret, est de toute évidence impulsif & violent comme son casier en témoigne, n'a pas d'emploi, abuse de toxiques divers et variés...En récidive légale, il encourt 20 années d'emprisonnement et a de toute évidence causé 1 préjudice grave à la victime.
Après avoir délibéré pendant 45 minutes, le tribunal revient annoncer la peine prononcée à Victor, 8 ans, mandat de dépôt. Le président lui explique que les faits étaient de toute évidence prémédités, qu'ils ont été commis de sang froid, en récidive, avec une arme qu'il n'avait
pas le droit de posséder, et que son positionnement démontre qu'il n'interroge pas son comportement et que le tribunal craint donc qu'il passe de nouveau à l'acte. Victor sort menotté de la salle en clamant son intention de faire appel.
La Chambre des Appels Correctionnels confirmera cette condamnation.
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Audience correctionnelle, Maxime regarde son juge, assis 1 peu plus haut que lui, et cherche à le convaincre de sa plus parfaite innocence. Mon collègue du siège fronce 1 peu les sourcils : le prévenu parle vite, beaucoup, et pas toujours de manière très cohérente.
Je reproche à Maxime 1 grand nombre d'infractions : menaces, dégradations, petits vols... Presque toutes contestées, même quand les indices s'accumulent contre lui, et dans les dossiers présentés au tribunal aujourd'hui les preuves sont légion : témoignages, vidéo surveillance...
Le procureur a été alerté par les voisins de Maxime, à qui il rend la vie impossible. Il fait BEAUCOUP de bruit, nuit & jour : il reçoit des invités peu discrets, met la musique fort & même seul, il pousse des cris, chante très fort...Les voisins savent que Maxime ne va pas bien.
Après mes réquisitions, plaidoiries du jour :
quand le point "oh la la mais ce sont des réquisitions d'assises" est atteint pour la défense
Moi :
Point "je vous remets des pièces tendant a prouver que..." (après les requiz oui, juste avant 1 plaidoirie en défense donc)
Moi :
point "madame le procureur ne demontre rien du tout, faisons 1 peu de droit" juste avant de bifurquer sur la pauvre maman défunte du prévenu
Le conseil :
Le laxisme de la justice, ce vieil épouvantail, avec sa ptite cousine, le fameux "les magistrats sont déconnectés de la réalité"...
Un nouveau drame et on nous le ressort, vieil argument acculé, ça me rappelle de vieux souvenirs : Pornic et son cataclysme...
Un homme sous sursis avec mise à l'épreuve avait tué alors, et ce coupable là n'avait pas suffi alors on en avait cherché d'autres, son JAP, son conseiller d'insertion... Mis en cause, magistrats et SPIP étaient sortis sur les marches des juridictions, avaient montré les dents.
C'était en 2011. J'étais un bébé substitut. On avait alors dit que les bombes à retardement des cabinets d'instruction, des affaires pénales en souffrance, des post sententiels ingérables, des divorces explosifs dont on ne voyait pas le bout nous rattraperaient...
Comparution immédiate : assis derrière le banc derrière la barre Ismaël, le prévenu, boude. Il regarde à peine ses juges et ne se lève pas lorsque la sonnerie retentit et que l'huissier s'écrie "le Tribunal!!". Mes trois collègues du siège entrent et s'installent,
le président hausse 1 sourcil "l'audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir ; sauf vous M., vous vous pouvez vous lever". De mauvaise grâce Ismaël s'avance & s'avachit sur la barre. Retour du haussement de sourcils "Ce n'est pas 1 comptoir, merci de conserver 1 peu de tenue".
Le ton est donné: Ismaël n'a pas envie d'y mettre du sien. Le président attaque la lecture du procès-verbal que j'ai rédigé tout à l'heure dans mon bureau au moment du défèrement et lis la longue liste des multiples cambriolages que je reproche au prévenu, une bonne quinzaine.
Pas de rustines, pas "d'assistants", pas de "renforts de greffe", pas de bricolage avec des bouts de ficelle par pitié, pas encore !!
Des juges.
Des greffiers.
Des agents administratifs.
Qu'on forme, pour miser sur une bonne justice, efficace, diligente, sur le long terme.
La justice civile c'est votre divorce, votre mamie sous tutelle, l'adoption tant désirée, votre constructeur qui a fait n'imp, votre voisin qui fait construire une casse auto près de votre véranda, les dettes que vous ne parvenez plus a payer, votre proprio qui trouve que
le chauffage c'est pas si essentiel, la pension alimentaire dont vous avez besoin, votre licenciement abusif, l'indemnisation de votre préjudice par la CIVI suite à 1 condamnation aux assises de celui qui a gâché votre vie, la pension due suite à votre accident du travail...
Audience correctionnelle, il n'y a pas grand monde dans la salle pour l'affaire qu'on s'apprête à juger. Sylvain à la barre jette un oeil revêche à ses juges; du côté des parties civiles est présent l'avocat du père des victimes mineures,Fred, qui a choisi de ne pas être présent.
Il est très en colère contre Sylvain mais également contre Agnès, son ex et la mère des enfants victimes, Léo et Anna ; il a senti qu'il allait dire certaines choses qu'il regretterait & a donc trouvé plus sage de laisser son avocat le représenter et porter la parole des petits.
La présidente énonce les faits reprochés : violences sur conjoint en présence de mineurs, violences habituelles sur mineurs... Elle en profite pour appeler Agnès, visée comme victime, qui se lève et à la question de la présidente "entendez vous vous constituer partie civile?",