Thread by @SirYesSir29

Comparution immédiate : assis derrière le banc derrière la barre Ismaël, le prévenu, boude. Il regarde à peine ses juges et ne se lève pas lorsque la sonnerie retentit et que l'huissier s'écrie "le Tribunal!!". Mes trois collègues du siège entrent et s'installent,

le président hausse 1 sourcil "l'audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir ; sauf vous M., vous vous pouvez vous lever". De mauvaise grâce Ismaël s'avance & s'avachit sur la barre. Retour du haussement de sourcils "Ce n'est pas 1 comptoir, merci de conserver 1 peu de tenue".

Le ton est donné: Ismaël n'a pas envie d'y mettre du sien. Le président attaque la lecture du procès-verbal que j'ai rédigé tout à l'heure dans mon bureau au moment du défèrement et lis la longue liste des multiples cambriolages que je reproche au prévenu, une bonne quinzaine.

Ismaël est en récidive pour l'ensemble des faits, commis au cours des 10 derniers jours. Il n'a pas d'emploi, pas de domicile : en ce moment un copain lui prête un garage où il a un vieux matelas, c'est mieux que la rue. Ismaël est en situation irrégulière sur le territoire.

Suite à des anciennes condamnations il a été plusieurs fois expulsé mais la vie dans son pays... La misère y est plus crasse qu'ici, alors il revient, même si son quotidien n'est pas bien reluisant. Ismaël son truc c'est le cambriolage : il est toujours tombé pour ça.

Un peu de vol à l'étalage aussi, des vols roulotte de temps en temps (voler dans les voitures en cassant les vitres) mais c'est largement moins rentable. Chez les gens il trouve toujours des objets à revendre, parfois de l'argent... Oh les procureurs et les juges,

les avocats des victimes aussi, & même ces dernières parfois lui ont bien expliqué lors des audiences à l'issue desquelles il a été condamné que ce n'était pas bien, pas normal, pas légal, que ça faisait peur aux gens, & tout... Mais Ismaël hausse les épaules "faut bien manger".

Avant hier dans cette soirée étouffante de juillet où chacun est en quête d'1 peu de fraîcheur, le moindre courant d'air, Ismaël aux aguets arpentait un quartier résidentiel comme souvent en quête d'un coup, bon pour lui, mauvais selon nous. C'est dans ces endroits qu'il officie.

Il a soudain remarqué une maison coquette, petite clôture, ptit portail -facile à enjamber, un brin d'élan et hop... Au 1er étage il a vu que les fenêtres étaient ouvertes, pour laisser entrer un peu de frais. Ismaël sourit : lui aussi du coup va pouvoir entrer...

Il saute le portail et en effet grimpe sans difficulté jusqu'au premier étage : la table de jardin, attraper le bas du balcon, se hisser... Presque sans un bruit, il est déjà en train d'enjamber la fenêtre et s'attend à retomber sur ses pieds sur un plancher, un carrelage...

Sauf qu'il retombe sur 1 lit dont l'occupante, Lilou 8 ans, se met fort logiquement à hurler à pleins poumons, réveillant toute la maisonnée & en 1er lieu ses parents, à 2 chambres de là. Quelques pas et son père ouvre à toute volée la porte de la chambre de sa fille en panique.

Ismaël a immédiatement bondi par la fenêtre & dans la précipitation s'est méchamment tordu la cheville. Il tente de s'éloigner mais il ne va pas bien vite, sa jambe le lance...Il joue de malchance puisque bien sûr la mère de Lilou a immédiatement appelé la police

et qu'un équipage de la BAC tournait à proximité immédiate... Ismaël est vite repéré, il correspond au signalement de la silhouette que la victime a entraperçue... Il est ramené au commissariat. Il porte sur lui la clé du garage que son ami lui prête, avec l'adresse...

Les policiers ont noté une recrudescence des vols dans le quartier depuis quelques temps, et sur certains faits ils ont une vague description qui correspondrait plutôt bien à leur gardé-à-vue... Ils rassemblent l'ensemble des procédures de vols et perquisition. Bingo.

Ils trouvent un grand nombre d'objets volés : Ismaël n'arrive pas toujours à tout revendre immédiatement et il lui reste pas mal d'objets des vols commis ces 10 derniers jours... Les policiers remontent en un temps très bref plus d'une quinzaine de faits. Je suis de permanence

et je n'hésite pas longtemps : multi condamné, libéré il n'y a pas longtemps suite à sa dernière peine à l'issue de laquelle il avait été expulsé, déjà de retour, déjà en train de commettre de nouvelles infractions... Je décide de le déférer pour une comparution immédiate.

Il ne fait pas de difficultés pour reconaître les faits, à partir du moment où les enquêteurs lui présentent des preuves ; je ne me fais pas beaucoup d'illusions, il est probable qu'il ait fait un nombre plus important de victimes mais pas vu, pas pris...

Ismael n'est pas ravi de faire ma connaissance, ça doit être sa cinquième procédure du style et il sait comment ça va finir ; il a bien compris au vu de son parcours que les juges allaient taper de plus en plus fort. La dernière fois il a pris 2 ans, pour huit faits, alors là...

Notre entrevue est brêve : il est peu enclin au dialogue, et je n'ai pas envie de perdre mon temps à lui expliquer comme tous les autres procureurs qui l'ont déféré avant moi pour quelle raison en tant que représentante de la société je trouve les faits commis très graves.

Ismaël me semble avoir fait un choix de vie et il me paraît inutile qu'on s'appesantisse. Je lui annonce qu'il va comparaître tout à l'heure en comparution immédiate. Son avocat feuillete le dossier, l'air un peu blasé d'avance devant la difficulté à trouver 1 élément positif...

Lors de l'audience plusieurs victimes défilent à la barre : elles ont récupéré quelques objets, ceux trouvés dans le garage, mais pas tout... Une mère de famille demande timidement au président d'audience la permission de poser une question à Ismaël, bien sûr accordée.

Elle se tourne vers lui & lui dit qu'il a pris 1 disque dur, que dessus il y avait toutes ses photos de famille, que ça avait une valeur importante pour elle car elle a perdu son mari l'année dernière... La réponse sonne comme 1 couperet "ça vaut rien ça, j'l'ai balancé".

Quand elle insiste pour savoir où, le prévenu fait un geste vague de la main, on entend tous très bien "lâchez moi avec ça...". Le père de Lilou explique que la petite veut maintenant dormir entre sa femme & lui, et toutes lumières allumées, "au cas où le méchant revienne".

Dans mes réquisitions, je ne dénie pas à Ismaël ses difficultés personnelles mais je lui rappelle qu'il n'a pas le droit de se trouver en France & qu'il partage le temps qu'il y passe entre la détention & la commission de cambriolages, qu'il a déjà été condamné de nombreuses fois

& que je ne vois pour l'heure aucune autre issue que l'incarcération ; je requiers 4 années d'emprisonnement. Son avocat s'escrime à faire baisser le quantum requis. Quand Ismaël est condamné à trois ans et demi de prison, il hausse les épaules et tend ses poignets à l'escorte.