Audience correctionnelle, mes 3 collègues du siège regardent avec attention Laura, partie civile dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. Laura est architecte. Elle est habillée sobrement, bien coiffée, elle s'exprime bien. Le monde de la justice lui était jusqu'alors inconnu.
Elle n'aurait jamais pensé se retrouver ici 1 jour même si sourit-elle tristement elle aurait dû se douter depuis le temps que ça finirait comme ça. Sur le banc des prévenus, Yannick l'écoute aussi, l'oeil sombre. Ils se sont rencontrés alors qu'ils avaient 20 ans, à l'école.
Yannick aussi est architecte. Ils sont tombés amoureux très vite. Ils avaient la même passion, la même vision de la vie, cela semblait une évidence. Ils se sont mis en couple, et leurs différences leur semblaient alors une force, elle la fantaisie, lui le pragmatisme,
elle un peu exubérante, lui sérieux, presque taciturne. Leur diplôme en poche, ils se sont mariés et ont monté leur cabinet d'architecte, et à force de travail sans compter leurs heures, ça a commencé à bien marcher. Yannick ne voulait pas d'enfant, Laura l'a accepté.
Ils étaient heureux, tout simplement. Yannick a toujours été jaloux. Très. Avec les années, ce trait de caractère s'est accentué puis a commencé à tout envahir. Laura ne semblait jamais lui accorder assez d'attention à ses yeux, alors que travaillant ensemble,
ils étaient tous les 2 jour et nuit !! Ca ne semblait pas suffire à Yannick qui comprenait mal qu'elle puisse avoir besoin de voir d'autres gens, ses copines, sa famille... Pour échapper aux crises de jalousie elle les a moins vus, s'est un peu renfermée sur elle-même.
Ca n'a pas été suffisant : tout rendez-vous professionnel avec un homme suscitait suspicion, critiques, remarques et sous-entendus. Yannick a commencé à imaginer qu'elle allait voir ailleurs, elle a trouvé ça fou, quand l'aurait-elle pu ?? Ils étaient toujours l'1 sur l'autre !
Peu à peu leur couple a basculé, Laura ne le reconnaissait plus. Il critiquait tout le temps tout chez elle, la trouvait bête, provocante, il la rabaissait sur ses idées au travail, sur ses tenues, sur son aspect physique... Même devant leurs collaborateurs, gênés.
Lui qui la trouvait belle & brillante,soudain plus rien chez elle ne trouvait grâce à ses yeux.Elle a commencé à mal dormir, à mal manger, puis à ne plus se reconnaître, à ne pas aimer ce qu'elle était devenue, 1 femme soumise faisant profil bas pour éviter les crises & insultes.
Elle s'est rebiffée et a remis Yannick à sa place lorsqu'il lui a mal parlé devant 1 de leurs secrétaires. Quand celle-ci est sortie du bureau, il a demandé à Laura de fermer la porte, il s'est rapproché d'elle & il lui a mis une gifle, sans un mot. Elle non plus n'a rien dit.
Elle est juste allée s'enfermer dans les toilettes pour pleurer et vérifier dans la glace que ça ne se voyait pas trop. Elle s'est dit qu'elle devrait partir, mais elle a vite balayé cette idée. Bien sûr qu'elle aurait pu, mais tout ce temps ensemble, ce qu'ils avaient construit,
ce que diraient les gens, et puis il n'était pas comme ça, il allait comprendre qu'il était allé trop loin, et ne jamais recommencer. Elle n'aurait peut-être pas dû mal lui parler devant une de leurs employés... Ils n'ont pas reparlé de cette 1ère gifle ; Yannick n'a pas compris
qu'il était allé trop loin, et il y en a eu d'autres. Souvent. Des gifles, des pincements, des tirages de cheveux, des bousculades... Laura expliquait qu'elle en était venue à s'estimer heureuse car la plupart du temps il ne lui faisait presque pas mal physiquement,
il ne lui faisait jamais de marques...Petit à petit elle a senti qu'elle ne s'appartenait plus, qu'elle était à lui, juste à lui. Elle n'a plus jamais protesté après cette gifle. Elle a essayé de ne jamais le fâcher, a constaté que ça ne marchait pas & a donc essayé + encore.
Elle ne lui disait jamais non, ne le contredisait jamais...Les violences verbales étaient presque quotidiennes, les violences physiques plus rares. Même en ne s'opposant jamais à la volonté de Yannick, il a continué à la soupçonner d'aller voir ailleurs, la surveiller.
Les années ont ainsi passé. Elle n'a plus jamais songé à le quitter, à partir, elle ne s'en sentait tout simplement pas capable d'y arriver seule. 1 jour elle a découvert qu'il avait mis un logiciel dans son portable, pour l'espionner, la tracer. Elle ne peut pas expliquer...
Mais ça a été la goutte d'eau. Elle a décidé que ça suffisait, & parce qu'elle savait qu'elle avait besoin d'aide elle en a parlé à sa soeur. Cette dernière n'a pas été étonnée, elle avait bien vu que Laura avait changé du tout au tout,pas besoin de confidences pour comprendre...
Elle l'a convaincu d'aller voir les gendarmes, en lui disant que Yannick ne la laisserait pas partir comme ça... Laura a tout raconté à l'OPJ mais elle n'a pas souhaité déposer plainte, pour ne pas enfoncer son mari... Une enquête pour violences habituelles a été ouverte.
Les témoignages de l'entourage de Laura, l'exploitation de son téléphone portable (Yannick étant extrêmement rabaissant même dans ses SMS ou messages vocaux), la dégradation de son état de santé sont venus étayer ses déclarations. En garde-à-vue le suspect n'a pas pu nier :
le dossier contenait trop de preuves. Il a toutefois beaucoup minimisé, les violences physiques notamment, reconnaissant simplement quelques bousculades...Le procureur a décidé à l'issue de la garde-à-vue de le poursuivre et de lui interdire de rentrer en contact avec son épouse.
C'était il y a quelques mois & Laura explique que c'est dur parfois mais qu'elle revit, qu'elle n'a presque plus cette boule au ventre. Le président lui demande pourquoi elle n'a pas franchi ce pas avant, alors qu'elle avait les moyens de s'en sortir, intellectuels, financiers...
Laura réfléchit & explique que c'est dur à comprendre mais qu'elle n'arrivait plus à réfléchir par elle-même, que tout était fait en fonction de lui. Elle ajoute + s'en vouloir à elle,de s'être à ce point oubliée,qu'elle ne lui en veut à lui. Elle dit avoir intégré que c'est fini
& elle espère que lui aussi. Elle se constitue partie civile mais ne demande pas de dommages & intérêts. Elle retourne s'asseoir, très calme. On ne sent pas de colère ni de rancune, juste du soulagement. Yannick est calme lui aussi : on sent qu'il a l'habitude d'être écouté, obéi
& il souligne qu'il y a beaucoup d'exagération dans les propos de sa femme & des proches de celle-ci. Mis face aux éléments à charge il reconnaît qu'il est possessif & sanguin, que ses mots dépassent souvent ses pensées, et qu'il a pu arriver qu'il la bouscule, oui, parfois trop.
Le président lui fait remarquer que tenir les propos retrouvés dans le portable de Laura, c'es déjà violent, que bousculer même pas fort, c'est déjà aller bien trop loin ; Yannick hoche la tête, un peu agacé. On sent qu'il a du mal à se remettre en question.
Quand le tribunal condamne Yannick à 1 sursis avec mise à l'épreuve avec interdiction d'entrer en contact avec Laura, il lui jette 1 regard étonné, semblant toucher du doigt que maintenant, c'est fini. Elle quitte la salle accompagnée des siens, sans répondre à son regard.

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21 May
Substitut en charge des mineurs, je suis aujourd'hui présente dans le bureau de ma collègue juge des enfants, qui a souhaité ma présence. Elle reçoit aujourd'hui une famille que je connais déjà : le mois dernier, j'ai fait juger le père, Aziz, en comparution immédiate.
Il a été condamné à 3 ans d'emprisonnement, pour trafic de stup, cannabis, cocaïne. J'ai également poursuivi ses deux fils, 13 et 14 ans, devant le juge des enfants : ils servaient de rabatteurs et ramenaient de nouveaux clients, notamment mineurs, pour papa.
Toute la famille vivait très largement du trafic de stupéfiants, la mère n'ignorant rien des activités des 3 hommes de la maisonnée. Considérant que ce rapport à la loi défaillant était inquiétant pour les enfants qui présentent des troubles du comportement à l'école,
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17 May
Cabinet d'instruction, début d'après-midi. Aujourd'hui je me penche sur un dossier qu'on peut qualifier d'"ancien" dans mon cabinet : je ne l'ai pas débuté, ni mon prédécesseur avant moi. La procédure en est à son troisième juge. 6 ans. 6 années d'information judiciaire...
Plus de 5 années de contrôle judiciaire aussi pour le mis en examen que j'ai convoqué cet après-midi, pour ce que j'espère être le dernier acte avant la clôture du dossier, le dernier interrogatoire au fond. Je me suis entretenu avec l'1 de ses 2 avocats au détour d'un couloir.
Il m'a fait part du sentiment de révolte de son client, qu'il partage. Il a eu le sentiment que mon prédécesseur avait pris fait & cause contre le mis en examen, qu'il n'avait recherché que les éléments à charge &,faute d'en trouver, avait laissé moisir ce dossier dans 1 placard.
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17 May
Il semble que l'idée de filmer la justice, et de la diffuser, soit pour certains séduisante. Je disconviens.
Certains procès (assises particulièrement) sont enregistrés.
C'est la diffusion qui me pose problème. Je n'ai aucune difficulté a assumer ce que je dis à l'audience
malgré 1 langage parfois fleuri, 0 souci pour l'enregistrement.
Mais pour la diffusion, profond désaccord. Et personnellement je m'y opposerai.
La plupart des procès sont publics, je n'ai aucun problème avec ça. Cela suppose pour les spectateurs 1 volonté de se déplacer.
Ca n'a rien a voir avec 1 attitude consumériste consistant à avaler du procès depuis son canapé en commentant, en critiquant, sans aucune conscience des mécanismes, des enjeux pour la personne qu'on juge (au pénal) ou dont le litige est tranché (au civil).
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14 May
Comparution immédiate ; je suis juge d'instruction et je siège aujourd'hui en tant qu'assesseur, comme une a deux fois par semaine. Le ressort où j'officie est marqué par une délinquance très forte, la Cour d'Assises est très chargée et ses délais sont très longs...
Le parquet a souvent recours a la correctionnalisation, en faisant passer des vols avec arme ou des violences graves & donc criminelles en comparution immédiate, à condition que le dossier soit limpide & que le tribunal soit suffisamment éclairé sur la personnalité du prévenu.
Les juges d'instruction siègent souvent en compa : on sait pertinemment au vu de l'encombrement de nos cabinets, qui fonctionnent à flux tendu, que nos délais sont déjà très longs et qu'on est déjà au delà du nombre gérable de dossiers. On accepte donc, bon gré mal gré,
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8 May
Audience correctionnelle, Maxime regarde son juge, assis 1 peu plus haut que lui, et cherche à le convaincre de sa plus parfaite innocence. Mon collègue du siège fronce 1 peu les sourcils : le prévenu parle vite, beaucoup, et pas toujours de manière très cohérente.
Je reproche à Maxime 1 grand nombre d'infractions : menaces, dégradations, petits vols... Presque toutes contestées, même quand les indices s'accumulent contre lui, et dans les dossiers présentés au tribunal aujourd'hui les preuves sont légion : témoignages, vidéo surveillance...
Le procureur a été alerté par les voisins de Maxime, à qui il rend la vie impossible. Il fait BEAUCOUP de bruit, nuit & jour : il reçoit des invités peu discrets, met la musique fort & même seul, il pousse des cris, chante très fort...Les voisins savent que Maxime ne va pas bien.
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7 May
Après mes réquisitions, plaidoiries du jour :
quand le point "oh la la mais ce sont des réquisitions d'assises" est atteint pour la défense
Moi :
Point "je vous remets des pièces tendant a prouver que..." (après les requiz oui, juste avant 1 plaidoirie en défense donc)
Moi :
point "madame le procureur ne demontre rien du tout, faisons 1 peu de droit" juste avant de bifurquer sur la pauvre maman défunte du prévenu
Le conseil :
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