Voici l’ouvrage le plus sous-coté qui parle du phénomène #Woke.

Il est passé quasiment inaperçu. À cause de son titre, on s’attend à un truc assez banal.

Pourtant il va changer à jamais votre compréhension du mouvement.

Petit 🧵à dérouler👇
Il analyse subtilement les conditions culturelles et sociales de l’émergence du « wokisme ».

L’Occident avait connu deux cultures morales : la culture de l’honneur et la culture de la dignité.

Cette nouvelle culture morale sera appelée « culture de la victimisation ».
La culture de l’honneur valorise le fait de défendre vigoureusement son honneur, souvent en provoquant en duel son adversaire lorsqu’on a le sentiment (et ça arrive souvent) que son honneur est en jeu.

Le fait de recourir à la loi est mal perçu.
La culture de la dignité la remplacera.

Désormais, il ne faudra pas s’offenser facilement, et les désaccords (uniquement s’ils sont sérieux) seront réglés par la justice et le droit.

Pas par soi-même, pas par des duels.
La culture de la victimisation, très récente, encourage la capacité à s’offenser et à régler ses conflits à travers les interventions de tiers et la justice.

De ce point de vue elle mélange de manière étonnante certains aspects des deux cultures morales précédentes.
En schématisant, on pourrait dire :

Pré-modernité = culture de l’honneur

Modernité = culture de la dignité

Postmodernité = culture de la victimisation
La prolifération récente des fausses accusations d’actes haineux (« hate crime hoaxes ») est un fait social que ces sociologues ont interrogé.

Qu’est-ce que cela nous apprend sur la culture de la victimisation ?
Une fois les manipulations éventées, les conséquences pour les menteurs s’avèrent quasi inexistantes, à condition que leurs histoires mettent une personne considérée « dominée » dans celle de la victime et une personne considérée « dominante » dans la position du bourreau.
Nos sociologues Campbell et Manning en tirent la conclusion suivante :

« Si le statut de victime ne conférait aucun avantage, pourquoi tout cela se produirait-il ?

Pourquoi quelqu’un prétendrait-il faussement être une victime s’il n’y avait aucun avantage à le faire ?
… Le fait qu’ils le fassent démontre que le statut de victime est en réalité une ressource sociale, une forme de statut. »

Le statut de victime devient ainsi désirable, ce qui mène à une « course vers le bas » très paradoxale.
René Girard faisait la même remarque dans « Le Bouc Émissaire ».

Nous avons tendance à croire que les récits de persécutions de « l’Autre » sont véridiques, même lorsqu’ils appartiennent à un récit général peu crédible et proviennent d’un narrateur dont il faudrait se méfier.
La meilleure manière de comprendre le phénomène Woke est « à l'envers » : analyser le comportement de ces jeunes et de déduire ce qu’ils cherchent à accomplir.

On se rend vite compte qu’ils font tout leur possible pour pousser des tierces personnes à intervenir coûte que coûte.
Ici on peut faire le lien avec leur psychologie, leur éducation.

Ayant été éduqué constamment sous supervision parentale, ils gardent ce réflexe enfantin de se tourner vers une source d’autorité pour régler leurs différends.

(Voir cet autre fil).
Si un tort subi par une victime est perçu comme étant particulièrement fort, la probabilité d’une intervention extérieure augmente.

Cela vaut le coup de dramatiser pour attirer l’attention.

Pareil si le préjudice se répète sur une classe de personnes, telle qu’une minorité.
Et si l’agression présumée est réputée émaner d’une logique « systémique », c’est-à-dire procéder de l’ensemble du système, alors là, l’intervention d’une tierce personne deviendra carrément obligatoire.

Vous commencez à saisir ?
Dans ce contexte, il est tactiquement malin « d’interdire » une position de neutralité ou d’indifférence pour obliger les tierces personnes à intervenir.

Or c’est ici qu’on peut tracer un lien avec leur pensée.

D’ailleurs stratégie et philosophie Woke se confondent.
Citons leur maître à penser Ibrahim X. Kendi, pour lequel « il n’y a pas de politique “non raciste” ou “neutre” », car, pour ce penseur woke, il n’y aurait que « raciste » face à « antiraciste ».

Si tu n’es pas avec moi tu es contre moi ! Choisis ton camp.

Alors... ?
La « cancel culture » n’est qu’une variante de plus de l’intervention par une tierce partie.

C’est l’intervention de l’employeur sommé par la foule de rompre tous les liens contractuels, voire amicaux, avec son employé devenu « problématique ».
Dans les facs, c’est souvent l’intervention de la bureaucratie universitaire qui est d’abord recherchée.

Or, appâter une administration universitaire nécessite une approche visiblement assez spécifique.
Nos deux sociologues disent :

« Lorsqu’un groupe d’étudiants de Yale a exigé que les poètes blancs soient retirés du programme, ils n’ont pas formulé leur demande sous la forme d’une préférence (“Nous préférons lire des poètes non blancs”) …
…ni même sous la forme d’une question de vertu (“La diversité ethnique est une bonne chose”), mais plutôt en insistant sur le fait que les étudiants allaient en souffrir »

L’intervention de l’administration vient se justifier par le prétexte neutre de « protéger » des élèves.
Aussi, les réseaux sociaux permettent de démultiplier le nombre de tierces personnes virtuelles qui peuvent potentiellement venir au secours des victimes présumées lors d’une dispute.

On peut se demander si ce mouvement aurait pu éclore sans la présence des réseaux numériques.
On en vient au cœur du sujet : quelles sont les conditions culturelles et sociales de l’émergence du wokisme ?

Nos auteurs en dénichent 4 :
1Une bureaucratie étendue
2Une atomisation sociale
3De la diversité visible
4Un grand niveau d’égalité
1)La bureaucratie sert de réceptacles des plaintes et de source d’autorité. Elle remplace les parents qui ont chouchoutés la génération woke.

Vu que cette nouvelle culture morale génère pleins de disputes, la bureaucratie garantira sa raison d'être, et ses salaires …
2)Atomisation sociale: ce n’est que lorsque l’on ne vit pas dans une communauté forte que l’on a besoin de faire des campagnes de soutien.

Les interventions bureaucratiques deviennent nécessaires seulement si l’on n’est plus assuré d’avoir des partisans déjà acquis à sa cause.
3) L’importance d’une diversité visible.

Pour qu’il y ait une discrimination réelle ou apparente, il faut une base sur laquelle discriminer des oppresseurs et des opprimés bien définis et facilement identifiables.

Il faut bien remplir ses cases ‘dominant’ et ‘dominé’ !
4)C’est le paradoxe tocquevillien : ce n’est que dans les sociétés les plus égalitaires que la moindre inégalité fait tâche.

Personne ne se plaint d’inégalités dans une société de castes.

On ne se plaint d’avoir faim que la bouche pleine.
Campbell et Manning sont formels: la croissance de cette culture morale ne fera que s'accélérer dans les prochaines années.

Des solutions existent ...

Mais ce sera pour une autre fois !

Bravo à ceux qui ont lu jusqu'ici, je ne fais pas habituellement aussi long.

FIN 🎬

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(1/x)

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