L’Éducation nationale enjoint les parents d'élèves d'une école Steiner des Hautes-Pyrénées d'inscrire leurs enfants ailleurs. L'occasion de revenir sur la question du contrôle public des écoles "hors-contrat".
Il regroupe les écoles (très minoritaires jusqu'à aujourd'hui) qui ont refusé d'être contractualisées (i.e. financement public contre respect des programmes de l’Éducation nationale). (3)
Pour rappel quantitatif (chiffres DEPP, rentrée 2019) le hors-contrat représente 50303 élèves dans le premier degré et 34360 dans le second degré... sur 12,23 millions. Pas vraiment un phénomène de masse donc (4)
Juridiquement, l'existence du hors-contrat s'appuie sur la liberté de conscience (DDHC, 1789) ainsi que les grands lois scolaires du XIXe siècle (Guizot, 1833, Falloux, 1850, Ferry, 1882). (5)
La décision constitutionnelle du 23 novembre 1977 stipule que la liberté de créer et fréquenter une école privée participe de "l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" (6)
Dans le même temps, les pouvoirs publics sont tenus au respect 1) de la santé physique et mentale des enfants 2) de l'obligation de scolaire. Et c'est là que se niche depuis plusieurs années le cœur des débats sur le hors-contrat. (7)
Dès la loi dite Ferry du 28 mars 1882, (celle qui institue l'obligation scolaire), le législateur se retrouve devant une difficulté qui est au fond très proche d'aujourd'hui.(8)
La loi (art 4 et 7) reconnaît la liberté scolaire. Mais dans le même temps, elle doit vérifier l'obligation de scolarité, à l'époque sous le contrôle du maire, de la commission scolaire municipale et de l'inspecteur d'académie (art5, 8 et 9) (9)
Lorsque l'ordonnance du 6 janvier 1959 fait passer l'obligation scolaire à 16 ans, le gouvernement joue sur les parents plutôt que sur les écoles privées: menace de suspension des aides familiales en cas de non-respect de la règle. (10)
La loi Debré de 1959, selon ses propres termes, "se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale" pour le hors-contrat. (11)
De fait, les pouvoirs publics se soucient assez peu jusqu'aux années 1990 du hors-contrat. Les débats sur l'obligation scolaire se concentrent sur d'autres sujets, comme l'absentéisme ou le décrochage (12).
C'est par la question des sectes religieuses que le sujet est réabordé. Avec la commission parlementaire de 1995 sur les sectes, la MILS en 1996 (puis Milivudes en 2002), le gouvernement comme le législateur revient sur le sujet. (13)
Un point suscite l'inquiétude: le sort des enfants et adolescents dans des mouvements repérés par le rapport parlementaire 1995 comme "sectaires". (14)
Cette crainte est d’ailleurs explicitement notée par la circulaire interministérielle de Jean-Pierre Raffarin sur les sectes en 2005. (15)
La loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 sur l'obligation scolaire vise à la fois l'instruction en famille (IEF) et le hors-contrat, qui sont vus comme les plus perméables à ce phénomène. (16)
Elle entraîne une circulaire du MEN, le 14 mai 1999, qui enjoint "tout établissement privé hors contrat de dispenser un enseignement conforme au droit de l'enfant à l'instruction." (17)
La circulaire fait de l'inspection académique (IA) un acteur fondamental, et encourage à un rythme annuel de contrôle par l'IA du hors-contrat. (18)
En réalité, cet objectif était loin d'être atteint jusqu'aux années 2010. (19)
Comme le dit assez brutalement le rapport sénatorial sur la proposition dite Gatel, jusqu'en 2015, "le contrôle des établissements hors contrat était loin de constituer une priorité pour les services de l'éducation nationale" (20).
D'où une tentation de l’Éducation nationale de changer les règles du jeu, de plus à un moment de peur accrue face à l'islamisme: contrôler l'ouverture des écoles hors-contrat elle-même. (23)
C'est qu'annonce Najat Vallaud-Belkacem le 9 juin 2016, voulant mettre fin "au fait accompli", c'est à dire la liberté d'ouverture du hors-contrat, au profit d'un régime d'autorisation. (24)
On comprend pourquoi les trois dernières lois concernant le hors-contrat (loi dite Gatel en 2018, loi dite Blanquer en 2019, loi du 24 août 2021 "confortant le respect des principes de la République") se soient globalement concentrées sur l'encadrement du secteur. (26)
D'un point de vue quanti, quelle est le total des problèmes relevés dans un hors-contrat qui reste limité ? (27)
Comme le rappelait le rapport sénatorial relatif à la proposition de loi dite Gatel, les inspections d'écoles hors-contrat débouchent rarement sur le constat de manquements (14,8% des écoles inspectées en 2015-2016). (28)
Cependant, comme souvent sur les questions éducatives, la dimension territoriale est importante. Un rapport (non publié) d’inspecteurs de l'académie de Versailles en 2017 le souligne (29).
Sur les 100 écoles hors-contrat de l'académie, les 30 visitées ont montré plusieurs pratiques en contradiction avec la législation (30).
En réalité, il reste difficile de repérer les éventuelles dérives. Les visites d'inspection inopinées ne le permettent pas toujours. La différence depuis 2018 est la plus grande latitude pour sanctionner ou fermer les écoles hors-contrat problématiques (31).
De même, la sanction ultime, à savoir la décision de fermeture d'école hors-contrat reste relativement peu courante: 3 entre 2018 et la rentrée 2020 (32)
Et surtout... cette fermeture n'est pas automatique. Les écoles peuvent (parfois avec succès) contester la décision devant la justice administrative (33).
De fait, la question se concentre de plus en plus sur "les écoles clandestines", c'est à dire celles qui ne se sont pas déclarées auprès de l'administration. Entre 2018 et la rentrée 2020, trois d'entre elles ont été fermées. (34)
Bref, les données restent encore embryonnaires, même si elles se sont considérablement améliorées depuis les années 2010 (35).
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Un petit fil historique sur un sujet qui a (un peu) échauffé certains collègues enseignant(e)s sur les réseaux sociaux : les agrégés doivent-ils enseigner en collège ou ne serait-ce pas forcément leur place ?
Ce fil est né d’un tweet d’un jeune collègue agrégé qui se plaignait d’être affecté en 6ème, suscitant des dizaines de réponses parfois assez dures. Revenons-en au fait : le statut et la fonction des agrégés devraient-ils leur éviter le collège ? (1)
Indéniablement, si on reprend un peu l’histoire du corps (conseillons d’emblée l’excellent ouvrage d’Yves Verneuil sur l’histoire des agrégés), l’agrégation et l’enseignement en lycée entretiennent des liens structurels. (2)