ANDRÉ-MARIE MBIDA, PREMIER MINISTRE, CHEF DU GOUVERNEMENT CAMEROUNAIS : DISCOURS D’INVESTITURE PRONONCÉ, DEVANT L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DU #CAMEROUN LE 15 MAI 1957 À YAOUNDÉ
Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Depuis ces derniers temps, le Cameroun et ses populations voient se succéder une longue série d’importants événements intéressant l’évolution et la vie politique de ce pays.
Ce sont, tout d’abord, les élections législatives du 2 janvier 1956, dont les résultats permirent à un nationaliste camerounais authentique, d’aller se joindre à vos représentants au Parlement français et d’apporter sa contribution aux efforts qu’ils déployaient dans cette
haute Assemblée, pour faire comprendre à la France, notre tutrice, que sous sa généreuse impulsion, notre progrès politique atteignait déjà sa maturité. Les populations aspiraient, dès lors, à obtenir, à titre d’étape transitoire,
un statut d’auto-gouvernement correspondant à ce progrès, en attendant qu’un nouvel essor les mène enfin à l’indépendance totale qui est l’une des fins prévues pour le Cameroun par la Charte des Nations Unies et par l’Accord de tutelle que vous connaissez tous.
Vint ensuite la loi n°56-619 du 23 juin 1956, du Parlement français, autorisant le Gouvernement à mettre en œuvre les réformes et à prendre les mesures propres à assurer l’évolution des territoires relevant du Ministère de la France d’Outre -Mer. Cette loi disposait,
en son article 9, que le Gouvernement pouvait procéder au Cameroun, par décret pris après avis de l’Assemblée territoriale et de l’Assemblée de l’Union française, à des réformes institutionnelles, ainsi qu’à des créations de provinces et d’assemblées provinciales.
C’est la très libérale et très importante loi-cadre, due à l’initiative du courageux Ministre de la France d’Outre-Mer M. Gaston Defferre, qui aura permis à tous les peuples d’Afrique Noire, placés sous l’égide de la France, d’obtenir pour la première fois satisfaction
pour leurs aspirations légitimes et naturelles à s’administrer eux-mêmes, à gérer démocratiquement leurs propres affaires, tout en gardant avec la France de bonnes relations, voire des obligations réciproques, librement discutées et acceptées, concernant les intérêts économiques,
sociaux, culturels et politiques communs. De fait, les nombreux décrets d’application de la loi cadre susvisée du 23 juin 1956, notamment ceux relatifs aux institutions législatives et gouvernementales en Afrique Noire d’influence française,
peuvent être considérés comme les premiers traités politiques authentiques intervenus entre la France et les pays qu’ils intéressent, traités évidemment susceptibles de modifications,
selon l’évolution et les aspirations légitimes des peuples et nations d’Afrique Noire qu’ils concernent.
Le 8 novembre 1956, un décret dissolvait l’Assemblée territoriale, composée de cinquante membres élus au double collège et au suffrage restreint depuis quatre ans, pour la remplacer par une nouvelle Assemblée comprenant soixante-dix membres élus, cette fois, au collège unique et
au suffrage universel direct et dont l’un des buts essentiels et reconnus était d’étudier et de donner avis sur un futur projet de statut du Cameroun. Le 18 novembre 1956, à Yaoundé, à Douala et à Nkongsamba, se déroulaient les élections pour les Conseils municipaux dans
ces trois localités érigées en communes de plein exercice par la loi n°1489 du 18 novembre 1955, relative à la réorganisation en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, au Togo, au Cameroun et à Madagascar.
Quelques jours plus tard, le 26 novembre 1956, les nouveaux Conseils municipaux procédaient chacun à l’élection de son maire.
Le 23 décembre 1956, des centaines de milliers d’hommes et de femmes se pressaient, à travers tout le Territoire, autour des urnes pour accomplir l’un des plus grands actes de leur vie civique. C’était la première fois que se déroulaient au Cameroun des élections au collège
unique et au suffrage universel direct, élections longuement attendues depuis 1951 par nos populations. Leurs résultats étaient partout guettés avec une vive inquiétude, une impatience explicables, à la fois par les nombreux candidats et
par la nervosité des masses populaires camerounaise tant le rôle et les attributions de la nouvelle Assemblée et, partant, des nouveaux élus, allaient être importants.
Mais la série des événements n’était pas finie. Elle ne faisait pour ainsi dire qu’éclater et se développer, avec une progression rapide, au cours de la nouvelle année 1957. Le 22 février 1957, votre Assemblée territoriale, Monsieur le Président, Messieurs,
après de multiples et longues séances, de discussions approfondies, tant à la Commission Juridique qu’en assemblée plénière, adoptait le projet de statut avec un avis favorable émis à une très forte majorité, après l’avoir minutieusement étudié et souvent fortement amendé.
Soixante conseillers sur soixante-huit, y compris le Président de l’Assemblée, avaient adopté le statut. Les huit autres l’avaient désapprouvé et rejeté.
Le 28 mars, le Gouvernement français présentait à l’Assemblée nationale, après avis de l’Assemblée de l’Union française et du Conseil d’État, un projet de décret portant statut du Cameroun. Par décision en date du 4 avril 1957,
l’Assemblée nationale, après un important débat, approuvait ce décret, sous réserve des modifications qu’elle y avait apportées. Le Conseil de la République adoptait à son tour et confirmait également, après un sérieux débat, la décision de l’Assemblée nationale.
Dès lors, le statut du Cameroun qu’on attendait depuis si longtemps, dont on avait tant parlé, notamment depuis l’année 1956, devenait une réalité, un fait accompli, un texte définitif qui n’attendait plus que sa mise en application. Celle-ci est advenue vendredi dernier,
9 mai 1957, par la transformation de l’Assemblée législative du Cameroun qui élisait son bureau et s’installait officiellement. Voilà, Monsieur le Président, Messieurs, une imposante trame d’événements touchant la vie politique de notre pays que je me suis permis d’évoquer
devant vous dans leur ordre chronologique. Il s’agit d’événements historiques. Leurs dates resterons, je le pense, marquées dans l’histoire du Cameroun, dans l’histoire de son évolution et de son mûrissement politique.
Elles sont des dates historiques parce qu’elles marquent des étapes et des faits d’une importance considérable, d’une très haute portée pour notre pays.
De ces événements, lequel devra être considéré comme dominant ? Je ne saurais le dire. Ce sera le travail des historiens, des critiques politiques ou juristes. Mais, aujourd’hui, un nouvel événement va s’ajouter aux annales du Cameroun.
Le décret n°57-501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun, publié dans le Journal officiel de la République française du 18 avril 1957, et promulgué dans le Journal officiel du Cameroun du 9 mai 1957,
érige ce pays en Etat sous tutelle et lui reconnaît une personnalité nationale. Il constate, en même temps, son progrès très poussé vers la maturité politique.
Aussi, tenant largement compte des aspirations légitimes de ses populations à l’auto-gouvernement, à la gestion de leurs propres affaires par eux-mêmes, bref leurs aspirations à l’indépendance totale, ce statut, dispose en son article 5 que
« les compétences relatives aux affaires propres à l’État sous tutelle du Cameroun appartient à l’Assemblée législative du Cameroun et au Gouvernement camerounais ».

C’est l’article 18 du statut qui indique la procédure devant donner existence au Gouvernement camerounais :
« Après avoir procédé à des consultations, dit cet article, le Haut-Commissaire désigne le Premier Ministre, chef du Gouvernement camerounais ; celui-ci se présente devant l’Assemblée législative afin d’obtenir la confiance sur le programme et la politique
qu’il compte poursuivre ». « L’investiture de l’Assemblée législative camerounais lui est acquise à la majorité simple et le vote a lieu au scrutin public. » M. le Haut-Commissaire de la République française au Cameroun avait entrepris ses consultations le samedi 11 mai 1957,
comme vous le savez déjà, et le dimanche 12 mai 1957, à 17 heures, il informait votre collègue et serviteur que les consultations auxquelles il avait procédé, conformément à l’article 18 du décret du 16 Avril 1957,
l’amenaient à le désigner en qualité de Premier Ministre, chef du Gouvernement camerounais.
D’aucuns, ceux qui ne voient en ce genre de choses que les côtés frivoles, ont pensé, sans doute, que j’eus, à cette annonce, un élan de joie. Bien loin de là. Je demeurai, au contraire, en toute vérité, grave et pensif, tout en m’efforçant d’exprimer au Haut-Commissaire,
par courtoisie, quelques mots de reconnaissance pour son amabilité. Mon attitude ne devrait pas vous surprendre. Sous le titre ou plutôt dans l’essence des charges de Premier Ministre ou de Ministre tout simplement, se cachent en effet de très lourdes et graves responsabilités,
des obligations, des ennuis énormes, des soucis accablants ; les manifestations d’honneur ne sont que des distractions ou de petits divertissements qui ne flattent ou ne réjouissent que ceux qui ne pensent pas aux devoirs impérieux que leur imposent plusieurs millions d’êtres
humains, avides de bien-être, de prospérité, de bonheur, luttant parfois contre la faim, la misère, les souffrances de tous genres. Mais, il n’est pas permis de se soustraire aux responsabilités, même si elles doivent entraîner des inconvénients.
Aussi, avant-hier, lundi à 20 heures, et après que j’eus procédé à mon tour à diverses consultations, allai-je donner mon acceptation définitive à M. le Haut-Commissaire de la République française à sa proposition de dimanche, de me désigner en qualité de Premier Ministre. Mais,
c’est à vous seuls qu’il appartient, Monsieur le Président, Messieurs, de consacrer le choix fait par M. le Haut-Commissaire. C’est à vous que revient le droit souverain de m’investir.
C’est donc à l’effet de vous demander cette investiture que je me trouve présentement devant vous. Il n’est pas douteux que l’acte qui nous réunit aujourd’hui s’inscrira en très larges manchettes, pour ainsi dire, dans les annales camerounaises, sa date sera
l’une des plus importantes de ce pays ouvert à l’évolution des nations civilisées seulement depuis 1884 et qui n’est entré dans la vie démocratique que depuis 1946, mais qui, aujourd’hui, à devancé bien des aînées d’Afrique Noire et d’ailleurs. C’est la première fois au Cameroun
qu’est crée un exécutif, un Gouvernement camerounais ayant de véritables pouvoirs de commandement, d’administration, librement investi par une Assemblée ayant, elle aussi, de réelles attributions législatives, un Gouvernement responsable devant cette seule Assemblée qui,
désormais, incarnera et représentera valablement les populations du Cameroun, leurs désirs, leur volonté, leurs aspirations. Ai-je besoin d’affirmer à nouveau devant vous, Monsieur le Président, Messieurs, et devant les représentants de la France sous tutelle de laquelle
notre jeune Etat a accepté de continuer à vivre encore pendant un certains temps, que vous êtes, avec les parlementaires élus pour les assemblées métropolitaines, les seuls interlocuteurs valables des populations du Cameroun et que ce sont les élections du 23 décembre 1956,
démocratiquement advenues, qui vous ont conféré ce haut rôle ? Jusqu’ici, l’exécutif et l’administration du Territoire relevaient presque exclusivement des représentants de l’autorité de tutelle. Ces représentants exerçaient l’administration directe.
Désormais, ces attributions seront exercées par le Gouvernement camerounais, composé de ministres, dont l’existence émanera indirectement de votre Assemblée. J’estime que c’est là un état de choses vraiment appréciable, intéressant, qui doit nous réjouir tous,
car c’est la réalisation d’une partie au moins de nos désirs nationalistes. L’article 18 du décret n°57/501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun dispose que le Premier Ministre, pressenti ou désigné, chef du Gouvernement camerounais, se présente devant
l’Assemblée législative afin de solliciter sa confiance ou son investiture sur le programme et la politique qu’il compte poursuivre. Je dois donc, Monsieur le Président, Messieurs, vous indiquer quel sera mon programme gouvernemental.
l’Assemblée législative afin de solliciter sa confiance ou son investiture sur le programme et la politique qu’il compte poursuivre. Je dois donc, Monsieur le Président, Messieurs, vous indiquer quel sera mon programme gouvernemental.
Je vous déclare, d’ores et déjà, qu’il ne sera pas phénoménal, ni aussi méticuleux et détaillé que les rites ou les enseignements de la Bible ou du Coran. Dans la conjoncture actuelle encore incertaine sur le plan économique et financier,
il serait imprudent et même dangereux de faire trop de promesse. Mon programme gouvernemental sera donc modeste, mais net et précis, comme mes professions de foi pour les élections législatives du 2 janvier 1956. Lorsqu’on sait qu’on pourra avoir pour juge une
Assemblée législative composée d’hommes bien rôdés, vigilants, sévères et parfois impitoyables –je n’oublie pas, en effet, comment nous demandions, vous et moi-même, mes chers collègues, compte au Gouvernement de sa gestion des affaires publiques –
on ne peut être que très prudent dans l’élaboration d’un programme gouvernemental. Mais prudence n’est pas dérobade, moins encore néant. Je vous indiquerai donc, dans les grandes lignes, mon programme sur les principaux domaines suivants : politique, social,
fonction publique camerounaise, autorités traditionnelles ou commandement coutumier, fiscal, économique.
En ce qui concerne le domaine politique, mon programme sera celui que j’ai toujours préconisé depuis que j’ai atteint ma maturité d’homme, citoyen de mon pays, et surtout depuis que les populations du Centre Cameroun ont commencé à me faire l’honneur de les représenter,
tant dans l’Assemblée territoriale, que dans les grandes Assemblée parlementaires de la métropole : je veux dire l’acheminement du Cameroun vers son indépendance en passant par des étapes convenables nous permettant de nous préparer à assumer à l’avenir, par nous mêmes,
l’entière gestion des affaires de notre pays. J’avais exposé cette position d’une manière nette et ferme devant plusieurs milliers de Camerounais, dans une conférence historique donnée à Yaoundé, le 9 octobre 1954, au stade de l’Hippodrome.
Comme député, je n’ai pas changé de programme. Je suis, au contraire, très heureux de pouvoir affirmer, sur ce point important, que mes efforts joints à ceux des autres parlementaires et aux vôtres nous ont permis d’obtenir, à l’occasion de l’examen du projet de statut
du Cameroun, du Parlement et du Gouvernement français, la confirmation ou la reconnaissance du droit imprescriptible des Camerounais d’accéder à l’indépendance. Pour preuve, il suffira de relire les débats historiques, les interventions, tant du Ministre de la France d’Outre –
Mer que des parlementaires de toutes opinions politiques, et surtout des groupes de droite, de l’ Assemblée nationale en sa séance plénière du 4 Avril 1957 ; il suffira encore de relire les articles 2 et 8 du décret n° 57/501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun et
qui permet à ses populations, en ma personne, de solliciter l’investiture d’une Assemblée législative camerounaise, ayant des pouvoirs réels, pour composer et présider un Gouvernement camerounais ayant aussi des pouvoirs effectifs. Le statut dont notre État vient d’être doté
est un véritable traité, le premier dans le genre, discuté par nous avec la France pour notre pays. C’est un traité assurément provisoire, un traité d’étape, d’entrée, de préparation et d’acheminement vers l’indépendance totale.
Le travail, dans tous les domaines, tant de l’Assemblée législative camerounaise que du Gouvernement camerounais consistera, non seulement à faire relever le niveau de vie de nos populations et rendre le pays prospère, mais encore à le développer à tous points de vue pour qu’il
parvienne au stade où il pourra enfin demander son indépendance. En ce qui concerne la question de l’union française, le Gouvernement, si vous m’honorez de votre confiance, ne s’en occupera pas. J’estime que ce problème ne sera opportunément abordé que lorsque le Cameroun
sollicitera, avec l’accord réel et calme d’une très large majorité de ses populations, son indépendance ou lorsque ses ressortissants seront amenés, conformément à la Charte des Nations Unies et à l’Accord de tutelle, à se prononcer sur son régime définitif. Néanmoins,
en attendant que ces événements se réalisent, j’estime qu’il est sinon nécessaire, du moins très utile pour notre jeune État, de continuer toujours à collaborer étroitement et amicalement avec sa bienfaisante tutrice, à participer à la vie commune avec elle et
les autres territoires ou États relevant de ses organes centraux, dans la mesure où une telle association ne porte aucune atteinte à notre désir de souveraineté totale.
D’ailleurs, aucun Camerounais bien pensant ne tend à une quelconque rupture avec notre tutrice et bienfaitrice, nul ne pense à léser les personnes et les biens de ses nationaux, chez nous. En ce qui concerne, je suis et demeure toujours hostile à une telle politique.
Dans le domaine politique encore et sur le plan intérieur, je suis disposé à provoquer l’érection de certaines communes de moyen exercice en communes de plein exercice. Faut-il vous dire, Monsieur le Président,
Messieurs, que la province du Nord, créée par, le statut, sera mise en place et fonctionnera dès que possible ?
Sur le plan social, mon programme a toujours été de lutter contre l’analphabétisme, de mettre l’enseignement élémentaire à la portée de tous les enfants, garçons et filles, de soutenir, par conséquent, tout organisme, soit public, soit privé, qui poursuit et réalise ces objectifs
. Aussi, je n’hésite pas à déclarer que je me fais un devoir sacré de trouver une solution équitable au problème de l’enseignement privé dans notre Territoire. Il n’est pas juste que cet enseignement, qui scolarise au Cameroun avec de très grands succès, dans l’enseignement
primaire, deux ou trois fois plus d’enfants que l’enseignement officiel, ne puisse pas recevoir l’aide qu’il mérite. Si le Centre, le Sud, l’Est et l’Ouest du Cameroun comptent actuellement plus de lettrés que le Nord du pays, nos amis et toutes les populations du
Nord doivent savoir que c’est grâce surtout à l’enseignement privé catholique, protestant, adventiste, etc. Je crois que cette observation est une très bonne indication pour l’analphabétisme dans tout le pays.
La multiplication des jardins d’enfants, le développement du service social rentrent également dans mon programme.
Sur le plan de l’enseignement supérieur, les élèves valables continueront à être dirigés vers la métropole pour se former dans les diverses branches, surtout techniques, capables de fournir à l’État du Cameroun des cadres vraiment dignes. Mais ici, une discipline est nécessaire.
Les bourses ne devront être accordées ou renouvelées qu’à des étudiants vraiment valables, capables de rendre un jour à notre pays des services utiles en compensation des privations que les paysans, les pauvres contribuables se seront imposées pour eux.
Les services médicaux préoccuperont également le Gouvernement, et plus particulièrement la création de dispensaires dans les régions déshéritées. Il est vrai que dans ces domaines comme dans tous les autres, les réalisations seront fonction de
l’importance de nos moyens financiers; dans le développement d’un pays, on ne fait rien sans argent. Le domaine social comprend encore deux importants secteurs : le travail et l’habitat.
En ce qui concerne les salariés, soit journaliers, soit à salaire mensuel fixe, je ne peux, à l’heure actuelle, sans être taxé de la plus cruelle démagogie, leur promettre des augmentations de salaire. Ils connaissent, autant que moi, les difficultés que nos ressources
économiques traversent dans tous les domaines : agricole, commercial, industriel. C’est presque une époque de crise qui a pour fâcheuses conséquences le chômage, la misère dans beaucoup de familles, surtout chez les ruraux, les faillites, le marasme dans les affaires,
la difficulté de recouvrement de certains impôts. Mais, je pense qu’il y a au moins un point sur lequel il y aurait lieu de donner une satisfaction: ce sont les allocations familiales. Les taux de ces allocations au Cameroun sont très bas. Je crois qu’il serait possible
d’augmenter ces taux sans que cette augmentation entraîne un relèvement des cotisations patronales. Mais j’assure les salariés qu’ils trouveront toujours auprès de moi un accueil très sympathique, très dévoué. Je leur demanderai simplement de se mettre en garde contre
les revendications et les mesures excessives que déconseillerait la conjoncture économique. Quant à l’habitat, et plus particulièrement celui des petits possédants et des ruraux, je m’efforcerai de faire trouver et admettre un système qui permette aux personnes présentant
certaines garanties telles qu’une plantation, une maison en dur, même sans titre immatriculé, d’obtenir de petits crédits, provenant de la dotation réservée à cet effet par le F.I.D.E.S. ou
le Crédit du Cameroun pour améliorer l’habitat, au moins en construisant une case à toi en tôle.
Pour ce qui est de la fonction publique, vous savez, Monsieur le Président, Messieurs, que la création de la fonction publique camerounaise est énumérée parmi les matières rentrant principalement dans les attributions de votre Assemblée législative. Le cabinet que je me propose
de constituer, si vous m’accorder votre confiance, aura précisément parmi ces principales tâches, de bien fixer les règles de la fonction publique camerounaise. Je ne voudrais donc pas m’étendre longuement sur ce point. J’assure tout simplement l’Assemblée législative et tout
le pays que je suis actuellement disposé à continuer la mise en valeur, dans les postes qui leur conviennent, sans distinction de race de tribu, les compétences camerounaises. Sans nullement exclure ni écarter systématiquement les non Camerounais,
j’affirme qu’à compétence professionnelle ou valeur identique, et surtout si le rendement est égal, la priorité de recrutement devra être réservée aux Camerounais. Cela nous ferait réaliser certaines économies, et, en tout cas, éviter certaines dépenses. Ici, je me permets de
demander à tout le monde, Camerounais et non Camerounais, surtout à mes adversaires politiques et à toutes les personnes à qui je n’ai pas le bonheur de plaire –ce que je regrette sincèrement –de ne point travestir ma pensée. Je n’ai nullement dit qu’on remercierait l
es fonctionnaires étrangers et non Camerounais. Au contraire, je répète en toute sincérité que nous entrons maintenant dans une période où nous aurons besoin, plus que jamais, de la collaboration et des lumières des techniciens français et autres non Camerounais.
Pour ce qui est du recrutement de nouveaux fonctionnaires, le Gouvernement fera ce que les crédits mis à sa disposition par l’Assemblée législative lui permettront. Sur ce point, je me permets encore de répéter fermement que dans ce genre de choses,
c’est l’argent qui conditionne tout : sans argent on ne peut rien. Il n’y a donc pas lieu de créer des illusions. Je sais qu’après les fonctionnaires, les chefs traditionnels veulent entendre parler de leur métier. Je les rassure immédiatement sur un point précis :
le commandement coutumier (lamidat, sultanat, chefferie) ne sera jamais mis en danger par nous. Cette institution continuera à fonctionner, elle devra seulement se moderniser et respecter, elle aussi, la démocratie qui est une force irrésistible.
De plus, une solution, à mon avis, devra être recherchée au problème de la rémunération des chefs traditionnels, soit par l’État, soit par les collectivités publiques, telles que les communes ou la province.
Bref, un statut des chefs pourra intervenir pour apaiser les craintes de certains détenteurs de l’autorité traditionnelle.
J’en arrive, maintenant, au problème fiscal. Vous connaissez tous, Monsieur le Président, Messieurs, la situation actuelle de nos finances. Elle n’est certainement pas brillante. En tout cas, elle est criblée de difficultés.
Mais où et comment trouver de l’argent ? La réponse à cette question n’est pas facile à donner. On pensera, certes, que ce sera affaire d’augmentation de la production et d’amélioration de la qualité ; ce sera également affaire d’accroissement de nos ressources, de nos moyens
économiques, par l’industrie, par les recherches et éventuellement, l’exploitation minière. Mais avant que toutes ces opérations ne soient réalisées ou ne produisent leurs fruits, comment se procurer, encore une fois, les crédits nécessaires pour faire face aux innombrables
besoins de l’État ? On pense inéluctablement à l’impôt. Nous recourrons, certes, à l’impôt. Mais je ne crois pas vous scandaliser, Monsieur le Président, Messieurs, en disant que depuis mon entrée dans la vie politique de ce pays, c’est-à-dire depuis 1952,
j’ai toujours eu de profondes réserves et même une sensible hostilité vis-à-vis de la fiscalité excessive, comme l’atteste ma profession de foi pour les élections législatives du 2 janvier 1956.
J’avais écrit textuellement ceci : « Fiscalité. Opposition constante à l’augmentation excessive des impôts et taxe de toute sorte, ainsi qu’à la création d’impôts nouveaux qui écrasent les paysans et les malheureux planteurs, les petites et moyennes entreprises, surtout en
période de crise ou de marasme, etc.» Je ne crois pas devoir dévier beaucoup de ce programme surtout à l’heure actuelle où, précisément, la baisse des cours de nos produits sur le marché mondial restreint nos ressources. Par ailleurs, une fiscalité non disciplinée et sans
souplesse risquerait d’éloigner de nous les capitaux, ce qui risquerait d’ébranler toute la vie de notre pays et même l’anéantir. Une grande prudence nous sera donc nécessaire sur ce point. Mais, là aussi, je me permets de demander à tous ceux qui entendent ou liront ces propos,
d’éviter toute interprétation illusoire. L’impôt sera toujours payé, exigé de ceux qui ont de l’argent, les taxes établies sur les valeurs qui les méritent. Pour ce qui est des paysans et des planteurs, le Gouvernement s’efforcera d’établir l’impôt personnel sur une base réelle,
tenant compte des revenus effectifs du contribuable, mais aussi de ses charges de famille ; Il n’est pas équitable qu’un père de famille de six enfants, par exemple, paye l’impôt au même taux que celui qui est sans enfants, en supposant que tous possèdent des revenus égaux.
Le dernier point à traiter dans mon programme d’investiture est le domaine économique. C’est, du moins à notre avis, la partie la plus importante. J’ai souvent dit que c’est ce domaine qui conditionne la vie et l’évolution d’un pays. Une nation n’est vraiment libre, indépendante,
que si elle dispose de ressources économiques nombreuses, variées, riches, stables et rentables. Il est peu honorable et gênant de vivre en quémandeur, on perd alors sa liberté et son indépendance. Au cours de la session budgétaire de l’ancienne Assemblée territoriale du
Cameroun, en octobre 1953, M. le directeur du Contrôle financier, à l’époque M. Trouvé, fit, devant un groupe de conseillers qui avaient bien voulu s’y intéresser, un long exposé sur les questions financières, après que M. le secrétaire général du Cameroun, alors commissaire du
Gouvernement, M. Jourdain, aujourd’hui gouverneur de la France d’Outre –Mer, eût fait, lui aussi, un exposé également intéressant sur les questions administratives. Je me permets de vous citer textuellement certains propos de M. Trouvé : ils méritent notre attention à tous.
Parlant de la ressemblance entre la comptabilité publique et la comptabilité privée, M. Trouvé s’exprimait ainsi : « … Les principes de la comptabilité publique sont les mêmes que ceux de la comptabilité privée. On suit, avec cependant des différences, l’évolution de la gestion
financière de l’État comme on suit celle d’une entreprise privée. «Vous savez que lorsqu’une entreprise dépense constamment plus que ses ressources, cela finit par une faillite, c’est-à-dire tout simplement par la constatation que l’entreprise en question s’est engagée au-delà
de ce qu’elle pouvait réellement payer. « Alors, de deux chose l’une : ou bien l’entreprise est rachetée par une affaire plus puissante qui paiera ses dettes mais en l’absorbant elle-même, ou bien il faudra liquider son actif et le répartir entre ses créanciers. Mais comme en
règle générale le montant des créances est supérieur à celui de l’actif, les créanciers sont finalement frustrés. « Ainsi, une entreprise privée qui a mal géré ses finances, n’a le choix qu’entre la perte de sa liberté et la frustration de ceux qui lui ont fait confiance. «
Quand il s’agit d’un État, d’une collectivité politique, la faillite financière prend d’autres formes, mais aboutit exactement aux même résultats; Il faut distinguer ici toutefois selon que cette collectivité fabrique ou non sa propre monnaie.
« Dans le premier cas, si l’État dépense régulièrement plus que ses recettes, il va d’abord chercher à emprunter pour couvrir la différence. Puis, il viendra rapidement un moment où ayant perdu la confiance des citoyens, cette source exceptionnelle de recettes sera tarie à
son tour. Alors, il ne lui restera plus que deux solutions : ou bien il fera appel à l’étranger, mais au risque de perdre sa liberté politique, ou bien il multipliera les billets de banque. Mais ces billets de banque servent à acheter des biens ou des services.
Si on augmente leur nombre sans que le volume de ces biens ou des services augmente dans la même proportion, ils vont perdre de leur valeur, exactement comme cela se produit pour le cacao, par exemple, quand les quantités exportées au marché dépassent le volume des demandes ;
en fait, d’ailleurs, cette baisse de la monnaie se manifeste par la baisse des prix, qui est exactement la même chose. Si, en effet, j’ai besoin, aujourd’hui, de deux fois plus d’argent qu’hier pour acheter les mêmes marchandises,
je puis tout aussi bien dire que les prix ont doublé ou que mes billets de banque ont perdu la moitié de leur valeur. « Vous comprenez ainsi que lorsqu’un État multiplie les billets de banque pour payer ses dettes, il finit par frustrer ses créanciers,
tout comme notre entrepreneur de tout à l’heure, car il leur donnera bien le même nombre de billets de banque, mais ces derniers ne permettront plus que d’acheter un nombre restreint de marchandises. C’est vrai pour le Cameroun, qui n’a pas de monnaie propre, quelle serait
la sanction d’une faillite de ce genre, quelle serait la conséquence ? C’est que le Cameroun risquerait fort de perdre son autonomie financière. C’est un point dont nous reparlerons plus tard à propos des rapports du budget du Cameroun et du budget de l’État.
Mais, si la question a pu se poser récemment –non seulement pour le Cameroun, mais pour d’autres Territoires d’Outre –Mer –de revenir sur le décret de 1946 qui, depuis la fin de la guerre, a donné l’autonomie financière à ces Territoires, c’est parce que lorsque ces derniers se
trouvent en déficit, c’est la métropole qui paie et que, entre collectivités publiques tout comme entre particuliers, c’est toujours en fait celui qui paie qui commande. Si la métropole est obligée de payer une partie des dépenses normales du Cameroun, elle reprendra
progressivement et par la force même des choses, les droits tutelle qu’elle avait autrefois restitués. « Vous voyez qu’elle est l’importance extrême de l’équilibre budgétaire. Cela commande absolument la liberté politique,
et ce qui est vrai au Cameroun vis-à-vis de la métropole est vrai aussi de la France dans ces rapports avec l’étranger. »
En parlant du budget dans ses rapports avec l’économie générale, le grand technicien financier disait notamment : « Le budget, je vous l’ai dit, est d’abord un acte de prévision de recettes. Mais le volume de ces recettes dépend étroitement de la situation économique générale.
Cela est évident pour les recettes douanières, par exemple, qui sont directement fonction de l’activité des échanges extérieurs, mais c’est aussi le cas pour les impôts directs, assis sur les revenus des contribuables,
parce que ces revenus augmentent ou diminuent selon que l’activité générale des affaires s’accélère ou ralentit.
« Mais le volume des dépenses dépend aussi de l’économie. Vous savez qu’en période de hausse de prix, par exemple, les dépenses de l’État augmentent comme celles des particuliers. Et je tiens à insister sur ce point que l’on oublie trop souvent. Ainsi, l’une des causes du
déficit de l’année 1951 provient du fait suivant : au moment de la préparation du budget en octobre 1950, l’on pouvait difficilement prévoir la hausse considérable des prix qui aurait lieu au cours de l’année suivante sous l’influence de divers facteurs, notamment
la guerre de Corée.

« Les prévisions de recettes furent donc établies d’après les prix en vigueur à l’époque ; aussi, dès le début de l’année, la hausse des prix entraîna-t-elle une forte augmentation des recettes douanières par rapport à ces prévisions,
mais l’on crut pouvoir utiliser immédiatement ces recettes nouvelles pour des travaux neufs notamment, sans penser qu’une partie importante d’entre elles serait nécessaire
pour équilibrer les augmentations de dépenses (marchés, fournitures, traitements) qu’allait aussi entraîner cette hausse des prix.
« L’on comprend ainsi que le budget puisse être un baromètre de la situation économique. À travers lui, on peut mesurer la santé générale de la collectivité. Lorsqu’il y a équilibre budgétaire ou excédent budgétaire cela veut dire en général que tout marche bien.
Et quand il y a des déficits prolongé, cela signifie que le pays vit au-dessus de ses moyens et que la catastrophe est certaine; D’ailleurs, l’on peut mesurer à travers le budget du Cameroun les progrès économiques accomplis depuis la guerre. En 1938 et 1952 le volume du budget
calculé en Francs constants a plus que triplé et jusqu’en 1950 tous les exercices se sont soldés en excédent, cela veut dire que jusqu’en 1950 tout au moins, les revenus des contribuables avaient suivi la même progression.
Par contre, de déficits importants ont eu lieu en 1951 et 1952. Le Territoire avait donc, à l’époque, dépassé ses possibilités. Pour rétablir sa situation, il lui faut maintenant diminuer ses investissements, c'est-à-dire adapter sa progression à celle des revenus. »
Voila les graves observations en même temps que les graves conseils de l’éminent financier. Vous voyez donc, Monsieur le Président, Messieurs, combien il nous importera de réorganiser notre économie, d’augmenter ses ressources, de la développer au maximum, pour qu’elle devienne
plus rentable, c'est-à-dire plus simplement, pour qu’elle apporte aux citoyens et à notre Etat l’argent sans lequel on ne peut rien.
Autrement, nous risquons de perdre un jour notre liberté et notre indépendance. Dans le domaine économique comme dans le domaine social, l’un réagissant d’ailleurs constamment sur l’autre, nous ne pouvons nous dissimuler les graves difficultés auxquelles doit
faire face aujourd’hui le Cameroun, ni négliger les obstacles qui restent à écarter pour le proche avenir. Ces difficultés tiennent principalement au fait que l’économie camerounaise a été jusqu’à présent axée de manière trop exclusive sur l’agriculture et sur un seul produit
agricole : le cacao. Cette constatation nous trace la voie à suivre dans les prochaines années, voie que la précédente administration avait d’ailleurs déjà nettement définie et dans laquelle elle s’était résolument engagée.
‐ D’une part nous devons faire tout ce qui est notre pouvoir pour écarter le danger que présenterait la monoculture du cacao, car l’expérience vient de nous montrer à quel point les fluctuations des prix de ces produits sur le marché mondial pouvaient
affecter notre économie et nos finances.

‐ D’autre part, il est nécessaire que nous poursuivions vigoureusement aussi bien l’industrialisation du pays que la recherche et l’exploitation de ses ressources minières. Plus notre économie sera diversifiée, moins nous aurons à
redouter le retour de situations aussi préoccupantes que celle que nous avons connue en 1956.

Augmenter l’éventail de nos productions ne constituera pas le seul remède à nos maux présents; il nous faudra également produire plus, produire mieux et produire à meilleur marché
dans chacun des secteurs intéressés. Cette politique, simple en soi, facile à définir dans ses grandes lignes , sera d’application moins aisée et ce n’est qu’en y consacrant des efforts constants et une volonté suivie que nous parviendrons à le mettre en œuvre.
Je crois qu’il faut cependant faire preuve d’un optimisme raisonné en ce qui concerne nos chances de succès. Nous disposons de moyens sérieux d’aboutir. En matière d’agriculture notamment, il existe des secteurs de modernisation. L’Assemblée territoriale du Cameroun a eu raison,
Monsieur le Président, Messieurs, de critiquer sévèrement la plupart de ces secteurs, tels que le S.E.M.A.C. Mais j’estime que des ajustements convenables, c'est-à-dire une nouvelle orientation, une réorganisation de ces organismes et leur coordination dans le sens désiré par
nos populations pourront leur permettre d’être un instrument de travail un instrument de travail précieux et approprié. Nous savons aussi que les sommes nécessaires à leur fonctionnement seront disponibles grâce aux apports du FIDES. Si chacun des Camerounais participant à
l’effort de production , veut se pénétrer de la nécessité de travailler en liaison et en confiance avec les autorités et les techniciens compétents pour améliorer ses méthodes de travail et par là même son rendement et sa productivité , si chaque planteur peut en même temps
comprendre que la qualité des produits livrés est une autre nécessité , il ne fait de doute que les conditions psychologiques de la réussite seront réunies et que nous pourrons regarder l’avenir avec espoir.
Espoir, car le but de notre politique économique n’est autre que de hâter l’amélioration du niveau de vie du peuple camerounais. Ce niveau, que je considère encore insuffisant, ne sera relevé que par un effort d’ensemble, continué et développé au fur et à mesure des années et
des moyens. Pareil effort suppose une adhésion consciente, sinon enthousiaste de tous les citoyens camerounais à l’œuvre commune. Il suppose aussi que chacun d’eux voudra, par son travail et par son application obtenir de véritables résultats pour que son non seulement
son revenu personnel mais encore les ressources collectives qui seront redistribuées sous forme de d’intérêt économique et social, soient augmentées de manière appréciable.
Tout ceci suppose enfin qu’il règne au Cameroun un climat de concorde et que la paix et l’ordre publics y soient assurés. C’est à cette condition que le paysan se penchera volontiers sur sa terre ; c’est également à cette condition que devant les résultats obtenus, nous pourrons
convaincre la France de ne pas nous ménager son aide financière et technique et les capitaux privés de venir s’investir au Cameroun. Quant à cette aide et à ces capitaux, faut il souligner combien ils nous sont encore indispensables ?
Notre infrastructure est à peine ébauchée, notre industrie sort tout juste des limbes. Aujourd’hui que nous acceptons de nouvelles et lourdes responsabilité, que nous souhaitons conduire le peuple camerounais vers ses destinées, pourrions-nous nous permettre de bouder les uns et
les autres sans risquer d’hypothéquer sérieusement l’avenir ? Il faut que tout le monde sache notre désir d’aller de l’avant en matière économique , de poursuivre et de développer la tâche entreprise par l’autorité de tutelle .
Pour y parvenir, nous sommes déterminés à faire appel au concours des hommes et des capitaux de la métropole, ou d’autres pays, qui souhaitent s’associer à nos entreprises.
L’économie, c’est le travail. Il y a interdépendance. Pas d’économie saine sans travail assidu, pas de bons travailleurs sans bonne économie. J’ai parlé du plan social. Nous souhaitons apporter toute l’attention qu’ils méritent aux divers problèmes que pose le sort des masses
laborieuses. Au premier rang de ceux-ci viennent – et ils s’interpénètrent profondément – les salaires et le coût de la vie. Le monde du travail surveille toute modification susceptible d’affecter ces domaines auxquels est lié sa propre existence et dont dépend son niveau de vie.
Nous ne pensons pas en ces matières, pouvoir accomplir des miracles ; mais nous nous appliquerons à prévenir – par tous les moyens légaux à notre disposition - toute augmentation du coût de la vie et à procéder aux réajustements des salaires que rendraient possibles
l’accroissement de la productivité et le développement de la production. Cependant, nous avons le devoir, encore une fois, de mettre en garde le monde du travail contre le tort que lui causerait les revendications excessives, constantes et injustifiées,
et nous nous refusons à lui faire de fallacieuses promesses que nous ne serions pas en mesure de tenir.
Nous sommes en effet conscient du lien qui existe entre l’économie et le social entre la production, les salaires et les prix entre la masse des ressources disponibles qui constitue le revenu nationale et la part de ce revenu qu’il est possible de consacrer aux paiement des
salaires. Toute autre attitude de notre part serait contraire à l’honnêteté et ferait, en fin de compte, tort à ; la classe ouvrière en sacrifiant à des satisfactions immédiates mais non durables, son avenir qui serait alors assombri par des menaces de chômages et de misère.
Nous aurons sûrement agi dans son véritable intérêt si nous lui donnons les moyens de vivre décemment avec son salaire et si, par notre action dans le domaine économique, nous lui assurons un emploi stable au cours des prochaines années.
Mais comme je l’ai déjà promis, nous avons l’intention de reconsidérer le cas des travailleurs chargés de familles afin de leur apporter un complément de salaire que justifie les charges supplémentaires auxquelles ils ont
à faire face. La situation actuelle de la Caisse d’allocations familiales du Cameroun doit nous permettre de parvenir o nos fins sans avoir à relever le montant des cotisations. Ainsi, en matière économique comme en matière sociale, une tâche ardue qui nécessitera toute volonté
et toute notre attention, est devant nous. Il est évident que nous ne parviendrons à la mener à bien qu’avec l’appui de l’Assemblée législative et du peuple Camerounais. Si cet appui ne nous est pas refusé,
nous pensons que le Cameroun se trouvera alors dans une situation favorable à ce progrès que ses habitants appellent de tous leurs vœux.
Le nouveau statut du Cameroun qui est réellement un statut de large émancipation, d’une grande autonomie au sens littéral du terme, ne nous donnera pas la richesse, le bien –être ou le relèvement du niveau de vie sans travail. Concevoir ainsi l’indépendance,
ce n’est pas seulement une dangereuse démagogie mais un exécrable crime. Ce statut nous permet de rechercher et d’exécuter désormais, nous-mêmes, les formules qui nous plairont pour améliorer notre vie, pour mettre notre pays en valeur au profit de tous ses habitants.
J’ai exposé devant vous, Monsieur le Président, mes chers collègues, les grandes lignes du programme d’action que nous nous proposons de poursuivre. Ces lignes sont générales, elles ne sont pas limitatives. Elles embrassent les domaines les plus vitaux.
Il existe d’autres matières qui nous préoccuperont également au plus haut point, par exemple, la réorganisation rapide et le bon fonctionnement de la justice appelée autrefois indigène. La réforme est impérieuse. Il me reste à vous dire, avant que vous ne m’adressiez
vos observations, qu’en ce qui concerne les intérêts de l’Assemblée législative du Cameroun et ses prorogatives ainsi que ceux de ses membres, ce sera pour nous un devoir de les préserver et de les respecter.
Nous pensons déjà à la création d’une caisse de retraite pour les membres de l’Assemblée législative camerounaise, comme il en existe dans certains pays. De telles institutions doivent, à notre avis, débuter avec l’installation et le fonctionnement de nouvelles instances.
Je pense que notre que notre éminent Président sera de cet avis et qu’il nous apportera le précieux concours de son expérience.

Le lundi 13 mai j’avais au cours de mes consultations reçus en audience diverses délégations : les groupes de l’Assemblée législative ,
les parlementaires du Cameroun présents à Yaoundé, une délégation de la Chambre d’Agriculture et de l’Élevage , une délégation de la Chambre de Commerce , une délégation des missions catholiques , une délégation des missions protestantes,
ainsi qu’une délégation de l’Association religieuse des musulmans , conduite par leur chef spirituel . Car nous entendons rester l’homme de tout le monde.
Je regrette de n’avoir pas pu convoquer les représentants des syndicats : je n’avais pas eu à temps les renseignements les concernant. La majorité de ces délégations et de ces personnalités m’avait donné de vifs encouragements.
Plusieurs groupes de l’Assemblée législative m’avaient promis sincèrement leur soutien. C’est ce qui m’a autorise, lundi soir, à donner mon acceptation définitive à M. le Haut-Commissaire de la République française au Cameroun de former,
de qualité Premier Ministre, le Gouvernement camerounais.

Monsieur le Président, mes chers collègues, je sollicite donc votre confiance.

J’en ai terminé.

André Marie MBIDA,

Gouvernement du 16 mai 1957

Premier Ministre Chef du Gouvernement

André-Marie Mbida

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