Histoire de la Cour suprême du Cameroun
Etude rédigée par Darly Kouamo, docteur en droit
Un regard rétrospectif sur la Cour suprême du Cameroun met trois phases en évidence. La création, la mutation engendrée par le fédéralisme,
et la consolidation résultant du retour à l’état unitaire.

Contexte de création
Le pluralisme judiciaire est effectif au Cameroun. On y observe une coexistence des juridictions de droit moderne appliquant le droit Civil et la Common Law et des juridictions traditionnelles
appliquant la coutume. Ceci étant, le système judiciaire camerounais est doublement hybride. D’une part, l’on note la cohabitation des juridictions de droit écrit avec celles de droit « traditionnel », lesquelles jugent selon les us et coutumes locales3 . D’autre part
il est empreint des vestiges de son passé colonial, de ce fait, il est la conjonction des strates juridico institutionnelles introduites par la France et la Grande-Bretagne, et dans une certaine mesure l’Allemagne4 .
La justice coloniale a contribué non seulement à la formation du droit positif camerounais, mais aussi à celle des institutions judiciaires contemporaines dont elle en fait intégralement partie5 . Ce pluralisme judiciaire s’observe également dans l’articulation structurelle de
la cour suprême qui prend réellement corps avant l’accession du Cameroun à l’indépendance.
En effet, quelque temps avant la proclamation de l’indépendance du Cameroun, la Cour suprême du Cameroun oriental a été créée par l'article 35 de l'Ordonnance n° 57-86 du 17 décembre 1959.
Elle remplaçait la Cour de cassation française qui jusque-là faisait office de juridiction suprême, du moins pour le droit écrit, car en droit traditionnel, c’était la Chambre spéciale d’homologation qui tenait lieu d’instance suprême6.
La chambre d'homologation avait été instituée par le décret du 31 juillet 1927 et statuait sur l'homologation ou l'annulation des jugements rendus par les tribunaux indigènes7 .
La Cour suprême du Cameroun Oriental ainsi créée est la plus haute juridiction en matière judiciaire
et administrative. Il lui est reconnu la compétence de connaitre en cassation, des pourvois dirigés contre les arrêts rendus en dernier ressort par les cours d’appel. Elle était dès lors la juridiction suprême de la partie francophone du Cameroun8 .
Cependant, des doutes persistent sur son autonomie réelle.

En effet, la Constitution du 4 mars 1960 consacre son titre V à l’autorité judiciaire. L’article 41 dispose que le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Bien plus, l’autorité judiciaire est assujettie, tant en ce qui concerne son organisation que le statut de ses personnels, à un acte de l’exécutif. Cette configuration va perdurer,
et même dans le contexte des mutations qui surviendront à travers le processus de réunification du Cameroun francophone avec le Cameroun anglophone.
L’empreinte du fédéralisme

Le 11 janvier 1961, le Cameroun sous tutelle britannique jusque-là rattaché au Nigeria, est appelé par les Nations unies à une consultation sur le devenir de ses institutions, et la partie sud du territoire se prononce pour une indépendance et
son rattachement à la République du Cameroun.

Le 1er octobre 1961, la partie méridionale du Cameroun sous tutelle britannique (Cameroun occidental) et la République du Cameroun sont unies sous le nom de République fédérale du Cameroun. Cette mutation de la forme de l’Etat aura
des incidences sur l’organisation judiciaire. Ainsi, sera créé au Cameroun occidental, la Court of Appeal de Buea par une ordonnance fédérale le 16 octobre 1961, qui fera office de Cour Suprême du Cameroun occidental. Il y a donc rupture du cordon
avec la Court of Appeal de Lagos (Nigéria) jusqu'alors compétente sur le territoire du Cameroun anglophone. L’on aura donc l’application au Cameroun de deux systèmes juridiques, le droit francophone et la common law.
Par ailleurs, il sera observé une régression du système de droit traditionnel dans la partie francophone. En effet, même si les matières de droit traditionnel pouvaient être dévolues aux juridictions suprêmes,
l’on note l’absence des assesseurs dans ces juridictions, qu’il s’agisse des juridictions d’appel ou de la Cour suprême dans le Cameroun francophone. Alors que dans la partie anglophone du Cameroun, le législateur en 1979 tient compte du caractère traditionnel du procès en
prenant des dispositions de représentation coutumière9. Cette défiance à l’endroit du droit traditionnel sera conforté par la jurisprudence de la Cour suprême. Il sera jugé que la coutume constitue un simple fait « dont la constatation appartient au seul juge de fond et
à laquelle la cour suprême ne saurait contredire, dès lors qu'elle n'est pas contraire à l'ordre public, ni aux principes généraux du droit ». Bien plus, la Cour suprême va cantonner la place du droit traditionnel en le subordonnant au droit écrit.
Elle jugera à cet effet que dans les matières où il a été légiféré, la loi l'emporte sur la coutume . Cet arrêt marquera une empreinte forte dans le droit camerounais car il pose explicitement la suprématie du droit écrit sur le droit coutumier.
Avec la proclamation de la République fédérale du Cameroun, il sera créé une Cour Fédérale de Justice, instituée par la loi n° 61/24 du 1er septembre 1961, loi portant révision de la Constitution du Cameroun.
Ainsi,
la Cour fédérale de justice fera office de juridiction constitutionnelle. Elle sera chargée d’apprécier la constitutionnalité et la légalité des textes. Elle fera également office de juridiction des conflits, elle sera chargée de régler les conflits de compétence pouvant
s'élever entre les cours suprêmes des Etats fédérés. Elle sera en outre chargée de l’interprétation du droit fédéral; et de traiter du contentieux administratif.

Cependant, la multitude des institutions étatiques liées à la structure fédérale de l’Etat sera source de nombreuses
difficultés. Il sera reproché à ces institutions, de générer des lenteurs administratives, mais également d’alourdir le budget de l’Etat, de par les besoins de financement inhérents. C’est pourquoi le 20 mai 1972 après un référendum, l’Etat fédéral devient un Etat unitaire.
Toutes les institutions du nouvel Etat unitaire subissent une transformation conforme à sa nouvelle structure et à sa constitution. Il sera réalisé une synthèse des deux systèmes judiciaires en présence. Ce qui va engendrer la gestation de la Cour suprême du Cameroun dont
l’organisation et les attributions seront fixées par l’ordonnance n°72/4 du 26 Aout 1972 portant organisation judiciaire modifié à plusieurs reprises dont la dernière en date est la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006.
La Cour suprême du Cameroun qui remplace la Cour fédérale de justice sera bâtie sur les vestiges de la Cour suprême du Cameroun oriental. Son siège sera maintenu à Yaoundé, avec la même configuration. Elle sera constituée d’une Chambre judiciaire, d'une Chambre administrative et
plus tard d'une Chambre des comptes12 . Elle va même faire office de juridiction constitutionnelle, ceci, de façon transitoire jusqu’au 7 février 2018, date de la mise en place effective du Conseil constitutionnel. Son indépendance et
son autonomie fonctionnelle seront progressivement marquées avec l’affirmation constitutionnelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire. En effet, le constituant de 1996 érige un pouvoir judiciaire, en lieu et place de l’autorité judiciaire qui avait prévalu jusque-là.
La justice est désormais élevée au rang d’un pouvoir constitutionnel à côté du législatif et de l’exécutif. L’article 37 (6) de la constitution du 18 janvier 1996 attribue le pouvoir judiciaire aux seules juridictions classiques en l’occurrence « la Cour Suprême,
les Cours d’Appels et les Tribunaux ». Compte tenu de sa place au sommet de la hiérarchie de l’ordre judiciaire, il est permis d’affirmer que la Cour suprême du Cameroun incarne désormais le pouvoir judiciaire.
La Cour suprême érigée au sommet du pouvoir judiciaire,
participe de par son action transversale, comme les autres pouvoirs constitués, à la régulation de la vie sociale. Elle est garante de la bonne la gouvernance économique et surtout de la promotion et la protection des droits de l’homme.
De par ses attributions consultatives et contentieuses, elle concourt au fonctionnement harmonieux des institutions de la République.
La Cour suprême du Cameroun avait essentiellement une structure francophone, elle connaitra une mutation notamment au niveau de la Chambre judiciaire. En juillet 2017, le Parlement camerounais va approuver le projet de loi sur la création d’une nouvelle section sein de
la Chambre judiciaire de la Cour suprême : la section de Common Law. Cette section connaîtra le contentieux lié aux matières de la Common Law. Dans cette liste non exhaustive, on trouve le droit des personnes et de la famille, le droit des obligations,
le droit de la preuve, les régimes matrimoniaux et les successions, la procédure civile et commerciale. Avec cette réforme, la Cour suprême du Cameroun retrouve désormais sa particularité de juridiction hybride.
Les costumes d’audience arborés par les membres de la Cour suprême du Cameroun traduisent l’hybridation qui a été réalisée. L’on a les robes et les parements que les magistrats arborent aussi bien à l’audience qu’au cours des rencontres solennelles, quasi similaires à celles de
la Cour de cassation de France. Au lieu de la toque, les membres de la Cour suprême du Cameroun ont opté pour la grande perruque issue de la tradition britannique.

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