Thread by @colinlebedev

Imaginons. Imaginons que la Russie lance une opération militaire sur le territoire ukrainien. La vraie question n'est pas de savoir si l'Ukraine a des capacités militaires de répliquer. Dans tous les cas de figure, l'opération serait un suicide pour le pouvoir russe. 🧶 1/12

Une invasion passerait comme une lettre à la poste auprès des républiques autoproclamées, qui sont de fait contrôlées par Moscou et où les séparatistes auraient voulu, comme la Crimée, être annexés sans combats. La population ordinaire de ces territoires ne se voit pas ... 2/12

... forcément revenir dans le giron de Kiev, et souhaite avant tout que la vie se normalise. Moscou semble à beaucoup un protecteur plus solide, un meilleur avenir pour les enfants.
Mais les choses seront différentes si l'armée russe met les pieds en territoire ukrainien. 3/12

La lassitude de la guerre et la critique de Kiev est très présente chez les Ukrainiens. Mais si Moscou attaque, par Kharkiv ou ailleurs, cela réactivera immédiatement la légitimité du pouvoir autour de l'idée de la défense du pays contre une agression inadmissible. 4/12

L'image d'une Russie cherchant à exterminer les Ukrainiens (depuis la famine de 1930) sera relégitimée et consolidée. Mêmes critiques de leur pouvoir, les Ukrainiens tiennent plus que jamais à leur pays, et la nécessité de la défendre est imprégnée dans les esprits. 5/12

L'Ukraine a appris également (de ses erreurs) l'importance de la stratégie des élites locales dans les régions frontalières pour mettre en place la défense. Les bataillons d'autodéfense se structureront très vite. Pas d'effet surprise cette fois-ci; la société est prête. 6/12

Même en cas de succès militaire, Moscou se heurterait donc à une résistance locale sans précédent et subirait de lourdes pertes.
La Russie n'a pas les ressources pour y faire face. Elle n'apporte aucun message politique à la population pour la convaincre de rejoindre Moscou. 7/12

Mais une agression contre l'Ukraine serait un désastre également en politique interne. Le Kremlin martèle que les Russes et les Ukrainiens sont un seul peuple. De fait, les pays ont des liens. Les Ukrainiens sont des voisins proches, avec une intercompréhension linguistique. 8/12

Intervenir en Ukraine n'est pas intervenir en Syrie. Un massacre de civils en Syrie laisse les Russes indifférents. Une intervention au Kazakhstan peut passer aussi: c'est loin. Mais une action armée russe contre des civils ukrainiens, non. Même à renforts de propagande. 9/12

Le soutien à la guerre en Ukraine, même cadrée comme guerre contre l'OTAN, est improbable. Des cercueils russes revenant d'Ukraine - qui ne pourront pas être cachés comme en 2014-2015 - auront plus d'impact encore que les cercueils revenant de Tchétchénie. 10/12

La guerre ne ressemblera pas à l'action rapide et indolore en Crimée. Elle ouvrira une plaie béante, coûteuse et durable. Une crise majeure à l'intérieur du pays serait très probable, surtout que les griefs contre le pouvoir sont déjà nombreux. 11/12

En dehors même de la réaction possible des Occidentaux, une intervention militaire en Ukraine ne peut être qu'un désastre. Les Russes le savent, les Ukrainiens aussi. Il est important que nous le sachions également. C'est tout pour moi. 12/12, end 🧶.

Post-thread. Tout ceci étant dit, je pense que les chances d’une attaque militaire de l’Ukraine sont faibles, non pas pour ces raisons, mais parce que la Russie est bien meilleure dans des opérations hybrides et la déstabilisation que dans les opérations conventionnelles. ➡️

➡️ Nous aurons encore plus besoin d’une expertise accrue sur la Russie et les pays de la zone pour appuyer la décision et gagner en résilience. Je prêche pour ma paroisse, oui.