Thread by @carnetsol

#ConcertSurSol #66

Quelle expérience étrange !

Circé de Desmarest & Saintonge, que j'espérais depuis près de 20 ans (et reportée deux fois à Versailles), un décalque LULLYste un peu paresseux… joué dans des conditions… inhabituelles.

👉 Je vous raconte ?

¶ Reporté début 2020.

Reporté début 2021.

Donné après les annulations de Georges Dandin dans ces mêmes lieux.

Laurent Brunner annonce : « Véronique Gens a tout donné pendant ces cinq jours d'enregistrement, mais maintenant elle est souffrante et donnera juste la réplique ».

(Finalement elle a très bien chanté, mais à petit volume.)

L.B. poursuit : « le synopsis du programme est faux, rien à voir avec l'œuvre ».

J'ajoute que tous les chanteurs ne sont pas crédités – et de mauvaises attributions (Blocker chante Polite, Arnaud Richard est Phoebetor).

¶ L'œuvre : c'est un privilège de découvrir des choses enfouies, on ne le répètera jamais assez. Même lorsqu'on ne les trouve finalement pas extraordinaires.

Circé, c'est beaucoup de quasi-plagiats de LULLY (exacte même écriture en beaucoup d'instances),

comme les scènes de jalousie dont l'harmonie et les procédés rythmiques sont empruntés littéralement à Armide (Ouverture, Enfin il est en ma puissance, postlude du V), dont le Sommeil est un décalque d'Atys, dont l'acte IV de torture est copié (dramatiquement) de Thésée…

Mais contrairement à Didon qui sublimait cela par une inspiration de première farine (et de pâté de foie supérieur), dans Circé j'entends plutôt le Desmarest de Vénus & Adonis, lisse, dénervé, très homogène, peu saillants en prosodie et en mélodie.

Dommage.

¶ Quelques beaux moments cependant :

✓ le chœur à fugato 'Fais durer ses plaisirs' à la fin du II ;

✓ le trio du Sommeil (le prélude est fade, mais le trio vocal splendide, beaucoup plus riche qu'Atys) ;

✓ la mort d'Elphénor, récitatif assez nu et plutôt saisissant (racontée en réalité à l'acte suivant, comme celle d'Athamas dans Philomèle) ;

✓ la petite chaconne d'accompagnement du duo amoureux Éolie-Ulysse, délicieuse,

✓ et la grande scène finale de Circé, ébouriffante – pour le coup, ça s'inspire d'Armide mais la musique est vraiment de Desmarest, et use des procédés plus libres de la nouvelle génération, avec une ligne de chant originale et expressive, un grand moment.

¶ Pour l'interprétation, c'était plus… étrange.

J'ai bien sûr beaucoup aimé Cécile Achille (que je suis depuis le CNSM, jolie voix bien faite et vraiment investie dans l'expression) et surtout Vénus (la voix la mieux projetée, une choriste non créditée 🚩 ),

Gens remarquablement timbrée, même si le volume sonore est beaucoup plus faible que d'ordinaire (de la méforme de grand luxe, j'ai entendu bien pire !).

Il faut s'habituer aux manières très XIXe de Courjal (couverture en [eu], rubato, allègements en soufflets…), mais la présence vocale est tellement extraordinaire…

Dans son apparition spectrale, le grave est tellement riche, soyeux et généreux qu'il donne l'impression de s'accompagner lui-même !

¶ Et c'est maintenant que ça devient totalement lunaire.

L'orchestre ne parvenait pas à jouer ensemble ni à suivre les chanteurs !

À de multiples moments, ce n'était carrément pas la bonne partie qu'ils jouaient en même temps !

Gros décalages, le chef cherchait à rattraper mais ses gestes étaient inefficaces, les musiciens et les chanteurs le regardaient perdus, sans en tirer l'aide espérée.

On voyait dans les entrées les pupitres le regarder, se tendre, tenter d'entrer au bon moment… et rater.

Ce sont de très bons professionnels, hein, ça ne ressemblait pas à du Schönberg. Mais chez des professionnels de ce niveau, je n'avais jamais vu un tel effondrement collectif.

C'était tellement la pagaille l'orchestre a dû s'interrompre au début d'une danse, ils ne jouaient pas du tout les mêmes trucs. Et ils ne l'ont pas fait sourire aux lèvres et en s'adressant au public comme ça arrive 'ah ah, on s'est fait avoir, allez on reprend' :

ils étaient abattus.

Et Gens, l'une des chanteuses les plus capées depuis que l'on enregistre ce répertoire, totalement perdue dans son final de bravoure, commence en même temps qu'une *ritournelle* (dix mesures en avance, elle a le violon sur sa partition pourtant !).

Elle aussi regardait le chef sans rien y comprendre. Et lui faisait des signes, qui n'étaient pas compris.

Remarque semi-ingénue d'un camarade à l'entracte : 'c'est une audace propre à Desmarest, autant de liberté dans la prosodie par rapport à l'accompagnement musical ?'.

J'ai pourtant adoré Les Nouveaux Caractères dans Grétry



ou Rameau (ces couleurs dans Les Surprises de l'Amour !), ou Leclair (la recherche des figures propres aux cordes dans Scylla & Glaucus).

Ils ne sont pas n'importe qui.

Alors, pourquoi ?

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¶ Je dis peut-être en quoi c'est un problème ?

Il ne s'agit pas de relever les fautes pour montrer qu'on est meilleur musicien (ce qui n'est pas le cas ), mais ici tout le monde pataugeait tellement que le travail sur le texte, le naturel dramatique, la passion théâtrale

étaient parasités par ces événements qui détournaient l'attention – et le final, pourtant sommet de la partition, s'est totalement effondré, plus personne n'était en place, plus personne ne croyait pouvoir s'en tirer, tout était à côté (rythmiquement).

Et Gens a fini par débiter son texte en murmurant, n'essayant plus d'incarner.
Donc oui, ça se ressentait pour le public, on avait l'impression d'une session de déchiffrage alors que Brunner avait annoncé une semaine de répétition (et que le concert aurait dû être donné en 2020).

¶ Pourquoi ce problème ?

Je tente quelques hypothèses plausibles et cumulables, mais si vous êtes au courant des variantes causes, je suis très intéressé – par pour se moquer, simplement pour comprendre les mécanismes à l'œuvre.

a) Le manque de répétitions. On nous aurait un peu menti, ou ils ne seraient pas très efficaces, et ils s'étaient arrivés au concert sans avoir préparé tout l'opéra.

D'où l'impression de déchiffrage et les erreurs. (L'enregistrement du disque se poursuit après le concert.)

b) Les reports.

Peut-être que moins de répétitions ont été programmées mais que l'effectif a beaucoup changé entre 2020 et 2022.

Beaucoup de nouvelles têtes, de petits jeunes jamais vus – en réalité, si on compare à la vidéo de Grétry : *personne* en commun.

c) Le covid.

Il est très probable qu'entre le début des répétitions et le concert, beaucoup de musiciens aient changé, y compris le jour même.

Cela expliquerait le manque de préparation et la perplexité devant les gestes du chef ou l'incapacité à suivre les chanteurs.

d) Le chef.

D'Hérin étant un excellent directeur d'ensemble, mais pas formé avec la technique des chefs invités qui peuvent monter un concert compley en deux services de trois heures, il n'a pas pu communiquer rien qu'avec les gestes.

(Et les musiciens, hors continuo, semblaient bien tendres.)

Au demeurant, très belle soirée de découverte, bien chantée (Mutel a remarquablement mûri !). Mais il manquait d'aisance et de travail sur la déclamation pour faire vivre véritablement cette œuvre un peu secondaire. 😳