Thread by @colinlebedev

Je repense à ma visite au musée de l'arme nucléaire à Pervomaisk, au sud de l'Ukraine, en juillet 2013. Une ancienne base de lancement des missiles nucléaires, reconvertie en musée suite à l'abandon volontaire par l'Ukraine de l'arme nucléaire en 1994. Petit 🧶 1/12

Tous mes abonnés ne sont pas familiers de l'Ukraine, alors un rappel. A la dissolution de l'URSS en 1991, l'Ukraine se retrouve être la 3e (!) puissance nucléaire mondiale en termes de nombres d'ogives. Elle a des sites de stockage, des bases de lancement, des militaires. 2/12

L'abandon unilatéral de l'arme nucléaire par l'Ukraine est entériné par le mémorandum de Budapest en 1994. En deux ans, les ogives sont rapatriées en Russie. En 1996, l'Ukraine ne dispose plus de l'arme nucléaire. Une des bases militaires est reconvertie en musée. 3/12

Au milieu des champs, dans la chaleur de l'été ukrainien de 2013, la base de missiles est un îlot hors du monde. Les abricotiers ploient sous les fruits et les abricots trop mûrs viennent s'écraser sur la carcasse des missiles qui rouillent sur le champ d'exposition. 4/12

Des hommes d'âge moyen, en shorts et en claquettes, nous accueillent. Ce sont les guides du musée, des anciens officiers des divisions d'élite, les anciens opérateurs de cette arme nucléaire soviétique. Faisant désormais visiter aux enfants la zone de lancement. 5/12

2013. L'Ukraine est un pays imperturbablement pacifique. Ces anciens officiers haussent les épaules: c'est sûr, ce n'est pas la gloire de jadis, regardez le délabrement. Mais ils disent être heureux de n'avoir jamais eu à appuyer sur le fatidique bouton. 6/12

Cinq mois plus tard, les Ukrainiens se retrouveront sur le Maïdan. Huit mois plus tard, la Russie annexera la Crimée et orchestrera une campagne de séparatisme dans les républiques du Donbass. Peu de temps après, les forces armées russes attaqueront le territoire ukrainien. 7/12

Le mémorandum de Budapest - par lequel l'Ukraine abandonne l'arme nucléaire - n'a pas valeur d'un traité. Il a été signé par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, les USA et le Royaume-Uni. Les Etats y déclarent respecter la souveraineté territoriale des autres. 8/12

Certes, l'engagement est uniquement moral. Nul n'est tenu à la morale. Personne n'avait l'obligation de défendre l'Ukraine lorsque sa souveraineté a été violée. Mais quand on parle d'"humiliations" subies par un pays, ce n'est pas à la Russie qu'il faut penser en premier. 9/12

En 2013 à Pervomaisk, les enjeux de la Guerre froide semblent loin, très loin. Il y a le soulagement d'un conflit révolu, d'une guerre qui n'a pas eu lieu. Lorsque nous demandons aux officiers: auriez-vous appuyé sur le bouton? (en fait, il y a plusieurs boutons)... 10/12

... ils nous répondent: "des officiers américains en visite nous ont posé la même question. Et on se pose forcément la question." Finalement, ils ne savent pas. Personne ne sait. Ca a sonné comme une note d'espoir et une note d'inquiétude. 11/12

Ma pensée va donc ce dimanche matin vers l'engrenage qui est en train de se mettre en place dans l'est de l'Ukraine. Vers les opérateurs des boutons. Et vers les Ukrainiens paisibles qui n'ont jamais pensé qu'une telle chose pouvait arriver à leur pays. 12/12, end 🧶