Vous avez peut-être vu passer ce petit extrait d’une conférence de mars dernier donnée par Sandrine Rousseau à l’UCL. Elle y parle des #sorcières et de leur répression... et dit à peu près n’importe quoi. Un thread, coécrit par @CathKikuchi et moi ⬇️! #histoire#medievaltwitter
La conférence en entier est accessible ici, et elle parle des sorcières à partir de 20’10. C’est un thème particulièrement à la mode depuis quelques années, notamment dans les milieux militants.
L’idée que les sorcières seraient des résistantes au patriarcat, dans un « mouvement » de lutte, réprimé par une violence tous azimuts est en réalité largement tiré d’un livre cité dans cette conférence : Caliban et la sorcière, de S. Federici.
Dans ce livre, S. Federici essaie à tout prix, quitte à déformer la réalité historique, de faire de la répression des sorcières une sorte d’aube du patriarcat et du capitalisme (lié également à l’esclavage et à la colonisation).
« Caliban » a été déjà amplement critiqué pour ses nombreuses erreurs et imprécisions. Sous une forme scientifique, l’autrice présente un récit malhonnête, reposant sur des erreurs grossières. Cf cette critique (très critique ^^) blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blo…]
D’autres ouvrages comme ceux Starhawk, ou plus récemment de Mona Chollet, reprennent tout ou partie de ce raisonnement.
Mais ce récit de la chasse aux sorcières est historiquement faux, et voilà pourquoi.
S. Rousseau évoque « 150 000 femmes brûlées ». Les spécialistes proposent plutôt un maximum de 100 000, et plutôt 50 000-80 000 entre le XVe et le XVIIe siècle (ce qui est déjà considérable).
Il est tout à fait faux de dire qu’on torturait et brûlait vif pour un oui ou pour un non. Les procédures étaient longues, la torture était règlementée, les procès pour sorcellerie pouvaient être très coûteux. Evitons de tomber dans le fantasme d’une violence débridée…
De nombreuses accusées n’ont jamais été torturées. D’autres ont pu se défendre et gagner leur procès. De toute manière, le plus souvent, les sources ne nous renseignent pas sur la fin des procédures (et oui, c’est frustrant !) Cf ce super fil :
S. Rousseau dit ensuite « « C’était un régime de terreur absolue, il suffisait qu’une seule personne vous accuse pour être brulée vive ».
Là encore, c’est totalement faux. Une accusation ne suffit pas à ouvrir un procès, a fortiori à condamner quelqu’un !
Même si c’est vrai que les Inquisiteurs sont très attentifs à la « rumeur », càd à l’opinion publique, à ce qui se dit de telle ou telle personne. Mais bon, il ne suffit pas d’aller taper à la porte du curé local pour faire cramer sa voisine... !
Dire que c’est » un régime de terreur absolu » reprend tout le discours militant autour de la chasse aux sorcières, mais est très exagéré. Il n’y a pas de « guerre contre les femmes », et les femmes ne vivaient pas dans la peur du procès...
« 80% des victimes sont des femmes » : ça, en revanche, c’est vrai. C’est même le gros changement du XVe siècle, alors qu’avant les sorciers étaient surtout des hommes. Et, de fait, ça participe bel et bien d’un nouveau rapport aux femmes qui s’installe alors peu à peu en Europe.
« Les victimes ne dépendaient pas des hommes. C’étaient soit des femmes qui vivaient seules, donc probablement des lesbiennes, soit des veuves... »
Passage hyper malaisant, l’assimilation femme vivant seule = lesbienne étant terriblement maladroite et anachronique
Même si oui, il y avait bien des femmes aimant les femmes/couchant avec des femmes/ne couchant qu'avec des femmes au Moyen Âge, et même des femmes vivant en couple. Mais de là à dire que la moindre femme seule est une lesbienne, c'est bien sûr très maladroit.
Mais du coup, qui étaient les victimes ? C’est vrai que souvent ce sont des femmes un peu en marge, dont des veuves ou des célibataires. Mais, parfois, ce sont aussi des femmes parfaitement intégrées à la communauté, mariées, mères, qui travaillent, etc
Désolé de jouer aux historiens casse-pied, mais c’est souvent plus compliqué que ça ! On ne peut pas réduire les femmes condamnées pour sorcellerie à une seule caractéristique.
« Les victimes étaient des guérisseuses [...] comme elles accouchaient les femmes, elles étaient assez puissantes ».
C’est mal dit mais c’est plutôt vrai. Derrière la répression des sorcières joue la construction d’un monopole masculin des savoirs médicaux
Les hommes cherchent bel et bien à évincer les femmes de la médecine (mais aussi d’autres domaines socio-économiques et aussi de la magie savante – si si, ça existe, pensez à Nostradamus !) et y parviennent en attaquant la réputation de celles qui l’exercent.
Mais ce n’est pas le seul critère. Il y a des effets d’entraînement : on condamne des sorcières dans le village d’à côté, donc on se met à avoir peur qu’il y en ait chez soi aussi. Le roi s’en mêle : il veut affirmer son autorité, donc prend sur lui d’arrêter quelques sorcières
Conclusion : « ces femmes pouvaient transmettre une parole de résistance et on a cassé cette résistance par le mouvement des sorcières ».
Là on est dans du pur fantasme (mais, encore une fois, S. Rousseau ne fait ici que répéter les thèses de S. Federici).
Déjà, parler de « mouvement des sorcières » est très maladroit. Cela laisse entendre que c’est quelque chose d’organisé, voire de structuré, ce qui est faux.
En réalité l’amplification de la chasse aux sorcières est un phénomène ultra complexe, qui répond à des causes à la fois économiques, théologiques, ecclésiologiques, étatiques. Mais ça ne vient pas d’une volonté unique : ce n’est pas, précisément, un mouvement
Enfin, invoquer une « parole de résistance » des femmes est totalement imaginaire. C’est prêter aux victimes de ces procès une cohérence qu’elles n’avaient pas, en gommant leurs différences. Beaucoup sont accusées d’être des sorcières sans avoir jamais revendiqué ce qualificatif.
Aujourd’hui en revanche, être sorcière est revendiqué dans certains mouvements féministes. Mais ne plaquons pas notre conception de la sorcellerie sur le passé ! Faire de ces femmes des « résistantes » est une relecture très abusive du passé au prisme de nos préoccupations.
Merci d’avoir suivi ce thread. En images, quelques livres récents sur la sorcellerie : il s’agit d’un sujet d’études passionnant, qui nourrit de nombreuses recherches, et pas du tout d’un objet figé.
Pour en savoir plus, quelques ressources :
- le livetweet d'un colloque sur le crime de sorcellerie
Update : beaucoup de réflexions hyper intéressantes sur la légitimité/pertinence de ce fil. On a essayé de porter une critique mesurée et surtout pas personnelle. Evidemment on condamne toute forme de harcèlement qui utiliserait nos propos.
Update 2 : on me signale (merci !) que l'émission de Mediapart est disponible sur youtube, voilà le lien :
Update 3 : énormément d'échanges entre collègues notamment sur la pertinence de ce qu'on peut appeler rapidement le fact-checking historique.
Je partage ici les remarques de @ChopelinP qui me semblent parmi les plus intelligentes de ce qui s'est dit.
Encore une fois, @dr_l_alexandre utilise la référence au Moyen Âge pour diaboliser les écologistes contemporains. Cette fois, il compare l'éco-angoisse d'ajd aux "peurs des chrétiens de l'an mille".
Or il se trouve que ces peurs... n'existent pas. Petit thread ⬇️ #medievaltwitter
L’idée de base est simple : autour de l’an mil ou de l'an 1033, donc mille ans après la naissance ou Passion du Christ (vous suivez ?), les chrétiens en Occident auraient été pris d’une peur panique de voir arriver la fin du monde (c'est ce qu’on appelle le millénarisme).
Cette idée se trouve sous la plume de certains auteurs du XVIIe siècle. Elle est surtout popularisée, ensuite, au XIXe siècle, notamment par Jules Michelet, qui écrit par exemple « Cet effroyable espoir du Jugement dernier s'accrut dans les calamités qui précédèrent l'an mille »
Le Moyen Âge, une époque "obscurantiste" ? Pas du tout ! Au IXe siècle, Alcuin, conseiller de Charlemagne, rédige un traité d'énigmes mathématiques destinées à ses élèves. On vous en propose quelques-unes... A vous de jouer ⬇️ ! #histoire#medievaltwitter
Un homme et une femme, pesant chacun une charretée, et deux enfants, pesant chacun une demi-charretée, veulent traverser une rivière. Ils ont un bateau qui ne peut transporter qu’une charretée.
Combien d’allers-retours le bateau devra-t-il faire ?
Un marchand veut acheter 100 animaux en dépensant exactement 100 shillings. Le prix des animaux est de 5 shillings pour un chameau, 1 shilling pour un âne et 1 shilling pour 20 moutons.
Combien de chameaux, d’ânes et de moutons doit-il acheter ?
La critique de T. Lentz de notre ouvrage sur le Puy du Fou (chez @les_arenes, avec @LarrereMathilde et @GLancereau) est affligeante. Un point en particulier se distingue : Lentz se moque en imaginant un travail similaire au nôtre pour Disney. Or cette comparaison est idiote ⬇️
Bon d'abord on notera que cet argument a également été utilisé par E. Bastié par exemple (source : ici
). C'est assez révélateur : les réacs se répètent (il faut dire que penser par soi-même c'est fatiguant).
Cet argument, en réalité, n'en est pas un. C'est une reductio ad absurdum, une manière de critiquer un argument en le poussant à l'extrême, de partir d’une proposition fausse pour montrer que le raisonnement ne marche pas.
« Le Puy du Faux ». Ce livre écrit à 4 (@LarrereMathilde, @GLancereau, Pauline Ducret et moi-même), publié par @les_arenes, est consacré à la manière dont le Puy du Fou, célèbre parc d’attraction, déforme et instrumentalise l’histoire à des fins politiques. Un thread ⬇️!
Pourquoi le Puy du Fou ? Car le parc met en avant son lien à l’histoire, ne serait-ce qu’avec ces immenses affiches où le slogan dit « l’histoire n’attend que vous ». A la différence du parc Astérix, l’histoire est la moëlle épinière du parc. Cela méritait bien une analyse... !
En août 2021, nous sommes donc allés visiter le Puy du Fou. Trois jours durant, on a vu tous les spectacles (plusieurs fois !), mangé dans les restaurants, étudié les goodies dans les boutiques. En prenant frénétiquement des notes sur nos téléphones ou sur nos carnets...
Parmi les sanctions prises pour répondre à l’invasion de l’#Ukraine par la #Russie, on trouve le bannissement du réseau #Swift. Au Moyen Âge, faute d’économie mondialisée, il fallait trouver d’autres moyens de punir les souverains qui enfreignaient les règles... Un thread ⬇️!
En 1208, le roi d’Angleterre Jean sans Terre (oui oui, c’est le méchant dans Robin des Bois) se fâche avec le pape. Le motif de la brouille est classique : le roi veut imposer son candidat comme archevêque de Canterbury, le pape veut garder la main sur ce poste prestigieux.
Cela fait plus d’un siècle que rois et papes se disputent sur cette question : on appelle ça la « querelle des Investitures ».
Aujourd'hui sort « Zemmour contre l’Histoire », chez @Gallimard. 19 chapitres, rédigés par un collectif d'historiens et d'historiennes, pour opposer aux mensonges de Z* un savoir ferme, appuyé sur des sources. Je suis fier d'y avoir participé et je vous le présente. Un thread⬇️ !
Voilà la table des matières de l’ouvrage. Ces textes, rédigés par des spécialistes de chaque période, ont été relus, repris, corrigés collectivement. C’est aussi ce qui fait la force de l’histoire : un savoir construit collectivement, via le regard critique des pairs.
Pourquoi ce livre ? Parce que Zemmour ment. Il ment sur Clovis et sur Dreyfus, sur Pétain et sur Voltaire, sur Simone de Beauvoir et sur la croisade, sur Maurice Audin et sur Vichy. Dès qu’il parle d’histoire, il ment.