Thread by @CaluGuillaume

Changement climatique et insectes, quelles relations et enjeux pour la biodiversité comme pour les activités humaines ? Dans ce nouveau thread consacré au déclin des insectes, je vous propose d'étudier les liens entre climat et entomofaune 🐜🥵🌡️🌆⬇️ (1/n)

Ce thread fait partie de la série de fils consacrés à l'impact de nos activités humaines sur les populations d'insectes. Vous pouvez retrouver l'ensemble des fils déjà publiés sur ce méta-thread 📚 (2/n)

https://twitter.com/CaluGuillaume/status/1614530002011267074

Commençons par quelques précisions. Par changement climatique, il est bien question ici du réchauffement climatique anthropique actuellement constaté par la communauté scientifique. Nos émissions de GES en sont bien les responsables. #IPCC #GIEC #ClimateChange (3/n)

Commençons par un article médiatique. En 2018, Lister et al. publiaient dans #PNAS un article sur l'effondrement d'une cascade trophique impliquant le déclin des Arthropodes et de leurs prédateurs, en relation avec le changement climatique actuel. (4/n)

pnas.org/doi/10.1073/pn…

Cet article fit couler beaucoup d'encre puisque Willig et al. (2019) publièrent également dans #PNAS un commentaire infirmant les conclusions de Lister et al. (2018). Echange tendus mais classiques en recherche scientifique. (5/n)

pnas.org/doi/10.1073/pn…

Lister & Garcia (2019) rétorquèrent fermement dans la revue #PNAS, affirmant que les arguments de Willig et al. (2019) ne se tenaient pas, analyses statistiques à l'appui ! Une polémique musclée mais saine dans la démarche critique scientifique. (6/n)

pnas.org/doi/10.1073/pn…

Pour autant, cette polémique a ouvert la voie à divers articles sceptiques quant au lien entre changement climatique et populations d'insectes, alimentant hélas la mécanique pernicieuse de fabrique du doute sur l'évident déclin actuel des insectes. (7/n)

Aussi la question se pose : quel est l'état de l'art concernant le facteur climatique sur les populations d'insectes ? Dans ce fil bibliographique, je vous propose une réponse que je poursuivrai au fil des différents articles consultés à ce sujet. (8/n)

Le lien entre changement climatique et populations d'insectes n'est pas un sujet si récent que cela. Déjà en 2011, Liebhold et al. publiaient sur le site du Climate Change Resource Center une note à ce sujet. (9/n)

fs.usda.gov/ccrc/topics/in…

Ces scientifiques forestiers notaient alors qu'à mesure que les températures moyennes augmenteraient en Colombie-Britannique, la vigueur des arbres serait amoindrie et divers insectes phytophages ravageurs risqueraient de voir exploser leurs populations. (10/n)

C'est le cas de l'Adelges tsugae, ou puceron lanigère de la pruche, un Hémiptère dont l'augmentation des températures minimales hivernales devrait favoriser l'expansion. (11/n)

Les relations entre changement climatique et insectes ravageurs peuvent cependant être bien plus complexes. Zieraphera dineana, Tordeuse grise du mélèze, est un Lépidoptère (papillon) qui cause de terribles ravages sur les mélèzes lors de leur stade larvaire de chenilles. (12/n)

Cet insecte connaît des épisodes de pullulation redoutables pour les mélèzes de moyenne montagne. Les températures élevées dans les Alpes européennes seraient défavorables aux densités de ses populations, mais pour autant accéléreraient les cycles de pullulation. (13/n)

Pour autant, ces deux exemples introductifs démontrent à eux seuls la complexités des interactions entre changement climatique et populations d'insectes. Alors, qu'en s'avons-nous de manière plus globale en 2023 ? Pour y répondre, penchons-nous sur deux articles repères. (14/n)

En 2021, Halsch et al. ont publié dans la revue #PNAS une review intitulée "Insects and recent climate change". Dans cette analyse bibliographique basée sur 2264 études, ils essaient de mieux comprendre comment les insectes réagissent au changement climatique anthropique. (15/n)

Pour plus de pertinence, leurs investigations n'incluent au final que les études qui englobent au moins 10 ans d'échantillonnage continu, examinent 10 espèces ou plus d'insectes et analysent les données climatiques d'une manière ou d'une autre. (16/n)

Le changement climatique n'est bien sûr pas un phénomène homogène à l'échelle de la planète, il entraîne des écarts de variables météorologiques toujours plus exacerbés, et ses conséquences sur les populations d'insectes s'en ressentent tout aussi diverses et complexes. (17/n)

Le suivi insectes du transect de Shapiro dans le nord de la Californie, rapporté dans cet article, en est un bon exemple. Il montre une évolution progressive face au RC. Les indices de population standardisés chutent tandis que les insectes montagnards gagnent en altitude. (18/n)

Mais ces résultats qui englobent 100 - 142 espèces de papillons (selon l'analyse couverte) remettent aussi en question certains schémas attendus de réponse biotique au changement climatique : l'hétérogénéité microclimatique montagnarde complexifie les réponses observées. (19/n)

Ainsi des populations d'insectes montagnards peuvent tout aussi bien descendre en altitude en raison des fluctuations micro-climatiques provoquées par le réchauffement climatique global. Le système est presque chaotique ! (20/n)

Pour autant, les auteurs s'interrogent aussi sur les limites mêmes de leurs analyses : comment l'évolution des conditions climatiques interagit-elle concrètement avec d'autres facteurs négatifs tels que la perte d'habitat, les espèces envahissantes, les pesticides, etc ? (21/n)

Rajoutez à cela toute la difficulté d'étudier l'impact du réchauffement climatique sur les insectes présents dans chaque biome terrestre, et ce suivi global de l'entomofaune devient presque une mission impossible ! (22/n)

En réalité, l'impact d'événements météorologiques extrêmes ou de périodes météorologiques prolongées en dehors des normales saisonnières aura certainement des effets négatifs plus constants sur toutes les espèces qu'une simple tendance globale des températures. (23/n)

La menace croissante du changement climatique mettra à l'épreuve la résilience des populations. Néanmoins les insectes ont une arme secrète : contrairement aux gros animaux, ils peuvent rapidement répondre aux variations de leurs environnements. Mais serait-ce suffisant ? (24/n)

Pour mieux interpréter toute la complexité de l'impact du changement climatique sur les populations d'insectes, penchons-nous cette fois-ci sur une review publiée en 2022 dans Ecological Monographs. (25/n)

Le changement climatique actuel provoque différentes variations de conditions météorologiques (et donc abiotiques) susceptibles d'affecter les populations d'insectes. Mais plus en détails, à quoi faut-il s'attendre ? (26/n)

Trois grandes catégories de changements aux impacts identifiés sont ainsi listés : les effets graduels à long terme, les événements extrêmes et l'intervention ou remédiation anthropique. Voyons cela de plus près. (27/n)

Sur le long terme, les changements perceptibles du réchauffement climatique dépendent beaucoup des réponses spécifiques de chaque biome : les écosystèmes tempérés, boréaux et polaires se réchauffent plus vite que les subtropicaux et tropicaux. (28/n)

De même, les saisonnalités et variations journalières sont affectées. L'hiver se réchauffe plus rapidement que toute autre saison et les nuits se réchauffent dans le monde entier. (29/n)

Chez les Insectes qui sont ectothermes, la hausse des températures peut accroître leur métabolisme, mais aussi augmenter leurs coûts métaboliques. Croissance et taux de reproduction augmentent jusqu'à atteindre un optimal thermique. (30/n)

Une fois ce seuil dépassé, les effets de la température sur les Insectes deviennent délétères : stress physiologique, taux de fécondité réduite, augmentation de la mortalité ... (31/n)

Si la plasticité phénotypique peut dans une certaine mesure contrer ces effets délétères du changement climatique, les autres facteurs menaçant les populations d'Insectes réduisent effectifs et donc diversité génétique au sein des espèces, menaçant ce ressort sélectif. (32/n)

Non seulement la distribution des espèces sera bouleversée, mais la phénologie des insectes s'en retrouvera perturbée. Depuis 1980, 44 espèces de papillons ont augmenté leur nombre de générations annuelles en lien avec le RC (Altermatt, 2010). (33/n)

pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20031988/

Or ces modifications auront des conséquences sur les cycles de vie de certaines espèces : les diapauses hivernales s'en retrouveront perturbés, entraînant un piège développemental par apparition d'une génération post-saisonnière inadaptée aux hivers même doux. (34/n)

Enfin, ces changements de phénologie des insectes risquent aussi de brouiller les relations inter-espèces ; les plantes-hôtes ou les espèces butinées, déjà elles-mêmes perturbées par le réchauffement climatique, peuvent rater leur "rendez-vous saisonnier" par cette raison. (35/n)

De même, les réponses différentielles entre les niveaux trophiques peuvent avoir de graves conséquences dans les réseaux trophiques et ainsi mettre en péril des populations de prédateurs, comme par exemple des oiseaux migrateurs. (36/n)

Both et al. (2006) ont ainsi mis en avant que le déclin Gobemouche noir aux Pays-Bas (90 % au cours des deux dernières décennies) est lié à une mauvaise synchronisation avec la phénologie des proies insectes en raison du réchauffement climatique. (37/n)

nature.com/articles/natur…

Nous sommes donc en présence d'une situation complexe, qui souligne à la fois le risque de collapse climatique des insectes si d'aventure les pires scénarios climatiques s'avéraient fondés d'ici 2100. (38/n)

Une situation d'autant plus préoccupante que non seulement les insectes sont au cœur du réseau trophique des écosystèmes et des agrosystèmes, mais aussi parce que l'impact du RC sur leurs populations menace aussi notre sécurité sanitaire. (39/n)

C'est notamment l'exemple du fameux Moustique tigre (Aedes albopictus) susceptible de véhiculer en France métropolitaine les virus du chikungunya, de la dengue ou du zika. (40/n)

Les insectes sont souvent considérés comme des petites choses insignifiantes, tant leur présence nous est indifférente, voire agaçante. Et pourtant, ces piliers indispensables des écosystèmes sont aujourd'hui menacés par de nombreux facteurs de déclin. (41/n)

A ceux déjà abordés dans cette série de threads, se rajoute donc le réchauffement climatique. Et la crainte qu'à l'avenir, comme le démontrent déjà Outhwaite et al. (2022), les effets cumulatifs de ces facteurs soient catastrophiques. (42/n)

nature.com/articles/s4158…

Mais quelles solutions s'offrent à nous ? Réduire nos émissions de GES, oui. Mais aussi protéger les habitats naturels des paysages, lutter contre l'artificialisation, intégrer l'agriculture dans une démarche biodiversitaire, réduire la pression des phytosanitaires. (43/n)

Nous reviendrons plus tard sur d'autres phénomènes extrêmes en lien avec le réchauffement climatique et leurs impacts sur les populations d'insectes. En attendant, merci de votre lecture et de votre attention ! (44/44)