Thread by @PommVert

Les personnes intersexes ont un besoin crucial de visibilité. Srsly, on en crève. Pourtant, on est pas mal d'inter frileux à l'idée de s'exposer ou prendre la parole. Un élément de réponse à ce paradoxe se trouve sans doute dans la honte que nous inculquent les médecins.

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Quand on est une personne intersexe, le corps médical nous apprend rapidement à avoir honte de notre intersexuation. On nous explique que c'est anormal et monstrueux, qu'on doit le cacher sans quoi nous finirons seul.e.s et rejeté.e.s de tou.te.s.

Je vais vous parler un peu de moi. Ca ne reflète pas l'ensemble des expériences intersexes. Je sais que j'ai été relativement épargné.e par rapport à d'autres. Mais peut être que ça vous permettra de comprendre un peu l'ampleur du truc.

J'ai compris qu'un truc clochait chez moi à l'adolescence, parce que pas de puberté. J'ai subi une batterie d'examens pendant lesquels je faisais face à des soignants qui me semblaient étrangement gênés sur la fin. Je les dérangeais je crois.

J'ai commencé à me dire qu'on me cachait quelque chose. Je est perspicacité dis donc. Et ça a commencé à sévèrement puer du fion quand j'ai compris que ce quelque chose se situait au niveau des organes reproducteurs. Ma mère me faisait part de ses doutes.

J'ai été opéré.e à la naissance, le chir avait dit que tout était normal. Aurait-il menti ? Il y a cette phrase, rapportée par ma mère "si à son adolescence vous avez besoin de son dossier, il sera aux archives de l'hôpital". Pourquoi on en aurait besoin si tout va bien ?

Et c'est quoi ce gribouillage illisible dans mon carnet de santé ? Qu'est ce que ce médecin a découvert de si horrible pour le garder pour lui et n'en parler à personne ? J'ai zéro piste mais j'ai de l'imagination. Est ce que j'ai une difformité ? Un monstre dans le bide ?

J'en ai fait une blinde, des cauchemars dans lesquels je me faisait dévorer de l'intérieur par cette horreur dont les médecins taisaient le nom. J'avais peur qu'on découvre mon secret et j'étais partagé.e entre la honte et le besoin de comprendre, d'apprivoiser la bête.

C'est a 17 ans, la veille du jour où j'ai subie une opération contre mon consentement que j'ai pris mes couilles et exigé des réponses. Quand j'en ai obtenues, elles furent lapidaires. Quelques mots prononcés avec gêne et l'interdiction absolue de chercher à en savoir plus.

Puis le surlendemain, j'insiste. Hors de question de quitter l'hôpital sans reponse. Alors, le nom d'un syndrome. Un nom aussi laid qu'inquiétant. Et à nouveau "Ne cherche surtout pas sur internet. Tu vas trouver des horreurs. Je t'expliquerai quand tu seras prête."

Il enfonce le clou en me montrant aux étudiants. "C'est rare, approchez plus près ! Ça a l'air normal hein ? Pourtant c'est une aberration."
Ce que je suis et qu'on me cache est fascinant. Je suis un objet de curiosité pour les médecins qui se foutent que je sois aussi un humain.

Tous ces secrets m'angoissent. On me dit de voir la psy de l'hôpital. On m'explique qu'elle a accès à mon dossier, que je n'aurai pas besoin de lui raconter. C'est honteux, il est normal que je ne sois pas capable d'en parler. Et je ferais mieux de ne pas le faire, d'ailleurs.

Incapable pourtant de garder ça pour moi, je trie donc sur le volet les élus à qui je révèle l'horreur hybride que je suis. A tout moment, je m'attends à des cris de dégoûts, qui ne viennent pas. Je fais jurer de ne pas en parler. J'ai peur et j'ai honte.

Alors je me blesse. A mort la bête. Crève l'hybride. J'essaie avec l'énergie du désespoir de faire fuir le monstre. Je me rends compte avec horreur que le monstre c'est moi.

Je rencontre mon médecin traitant, pour faire le point. Je lis dans ses yeux autant de dégoût que de fascination. Ses questions sont intrusives, ses remarques déplacées. J'aimerais disparaître. Je ne la consulterai plus, et éviterai les autres médecins. La honte, toujours.

Le temps passe. J'ai apprivoisé le monstre, j'ai un badge Intersex Pride sur mon sac. Mais toujours l'angoisse sourde quand je vais devoir informer un médecin de ma variation. Et de trop nombreuses fois, le malaise de ces soignants. Les yeux se baissent, les bouches grimacent.

Vous n'avez pas honte ?
Vous n'en parlez à personne je suppose ?
Et votre copain, ça le dérange pas, vous êtes sûr ?
Vous savez que vous êtes pas vraiment normale ?
Ça doit être terrible pour votre mère...
On imaginerait pas une chose pareille en vous voyant, pourtant.

A chaque fois, la piqûre de rappel. Tu dois absolument cacher ce que tu es. Aberration on a dit.
Et si j'ai pas envie de me taire ? Si j'en suis fier.e, moi, de ce que je suis ?
Alors c'est pire, tu n'as meme pas la décence d'avoir honte...

C'est ça que fait l'approche pathologisante des médecins. Nous apprendre à avoir honte. Ne surtout pas montrer qu'on existe. C'est pratique, ça justifie les mutilations. Il faut normaliser, sinon vous serez stigmatisé ! La stigmatisation, tu en es l'apôtre, tocard !

Comme ça on ne se rebelle pas. On ne parle pas. Et si on se tait, ce sont les médecins qui ont l'intégralité de la parole et peuvent perpétuer leur vision biaisée de nos corps. Si on se tait, on ne se regroupe pas. Si on se tait, on ne lutte pas.

Nous n'avons pas à avoir honte d'être intersexe. Nos corps sont aussi valables que les corps dyadiques. Nous avons le droit d'être visibles, le droit d'être fier.e.s, le droit de lutter. Les monstres, les aberrations, ce sont nos tortionnaires. C'est à eux d'avoir honte.