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Depuis le coup en Bolivie, une histoire que j'ai vécu avec @JuliePacorel me hante. Je vais la raconter ici. Elle démontre ce que a représenté Evo Morales pour les peuples amérindiens, les limites, aussi, de sa politique et le pouvoir que cette extrême droite n'a jamais cédé.
Je vous préviens, ça va être trop long. Pour une fois, on s'en fout.
Cela remonte à 2009, lors de la réélection d'Evo Morales. C'est une histoire de lutte, d'exploitation, d'espoirs en berne.
Une ligne dans un article évoque des cas d'esclavage du peuple Guarani dans l'Alto Parapeti au sud-est du pays. Avant de vérifier sur place, nous faisons une étape à Santa Cruz.
Là, après la Paz, c'est le choc. Les Amérindiens sont absents du centre-ville. Les seuls que nous rencontrons vendent des glaces, cirent les chaussures.
Nous rencontrons des organisations de peuples amérindiens qui nous racontent que malgré Evo Morales au pouvoir, le rapport de force ne s'est pas forcément inversé.
Nous discutons aussi avec Ruben Costas ancien dirigeant du Comité civique de Santa Cruz, l'organisation de Luis Fernando Camacho. Ses propos font froid dans le dos. Son conservatisme, son racisme, il le porte en bandoulière.
Parmi ses propos rances, une phrase m'est restée en mémoire : « C'est la mode des minorités. Vous avez Sarkozy, il y a Obama, nous avons Morales. Cette mode passera. »
Nous sommes avertis. J'arrive au cœur de l'histoire.
Nous arrivons à Camiri. Des villageois d'Itakuatia, sont prêts à nous amener chez eux, à 4 heures de piste de là. Nous restons plusieurs jours à Itakuatia. Nous dormons à côté de l'école avec 4 écoliers, des poules et un foutu coq qui chante à 4 heures du matin.
Dans ce village et jusqu'en 2008 (je dis bien 2008), les Guaranis sont exploitées par le grand propriétaire terrien « Chiqui » Chavez.
« Les grands propriétaires terriens nous ont toujours considéré comme des animaux », nous raconte « Don » Cornélio. De la bouillie de maïs jetée dans une mangeoire, des habits donnés une fois l'an, voilà le salaire.
Il faut attendre 1995, pour que les Guaranis touchent l'ombre d'un salaire. 30 centimes d'euros la journée, 5 k de sucre par mois. Pas pour tous. Un mot trop haut, le quota travail pas rempli et « Chiqui » Chavez s'arroge le droit de ne rien donner.
« Nous étions des esclaves », lâche « Don » Cornelio dans son sourire édenté. Silhouette squelettique, démarche hésitante, le cinquantenaire n'a rien d'un chef charismatique. Ses collègues l'écoutent pourtant en silence, acquiescent aux rares affirmations, l'aident à se déplacer.
« Don » Cornélio est le chef, c'est lui qui a mené la lutte. Il a appris à lire à Camiri avec l'arrivée de Morales au pouvoir. Il ne se sépare jamais d'un minuscule livre, la constitution. « J'ai des droits », répète t-il.
Le discours du président aymara, Evo Morales, parvient jusqu'aux plateaux et vallées de l'Alto Parapeti. La redistribution des terres est sur toutes les lèvres. Les communautés se réunissent, s'organisent.
Arrive 2008, l'an zéro de la communauté d'Itakuatia.
Le 29 février, des employés de l'Institut national de la réforme agraire (Inra) s'engagent sur le chemin tortueux menant à Itakuatia. Ils sont chargés d'enquêter sur les conditions de travail. Les 15 fonctionnaires n'arriveront jamais à Itakuatia.
Ils ont été pris en embuscade par les propriétaires, auxquels sont venus prêter main-forte des membres du groupe d'extrême-droite Union Juvenil Crucenista.
Le 4 avril, nouvelle offensive, le vice-ministre du territoire, en charge de la redistribution des terres, prend part à l'expédition. Les propriétaires ont dressé des barricades. C'est l'affrontement. Le Vice-ministre trouve refuge dans la caserne militaire de Camiri.
Le 13 avril, l'Inra avance une nouvelle fois sur la piste. Des manifestants d'extrême-droite ont dressé des barricades. L'avocat des Indiens est lynché, un camion de vivres est brûlé.
« Don » Cornelio ne sera plus jamais le même homme. Le 17 juillet, il tombe sur « Chiqui Chavez » et sa bande. Les coups pleuvent. «  Depuis mon mari n'est plus normal », nous murmurait son épouse Alejandrina.
Le village d'Itakuatia, est divisé en deux. Quand nous y étions en 2009, le drapeau bleu du Mas flottait au-dessus des cabanes en bois. De l'autre côté d'une rivière se dressaient des maisonnettes solides, construites par « Chiqui » Chavez pour récompenser les fidèles
Je passe vite sur le bras de fer qui a poursuivi, les péripéties judiciaires. L'Inra a pu enquêter durant un mois fin 2008. En 2009, suit la « titularisation » des terres au peuple guarani.
Mais aux dernières nouvelles, il y a deux ans, les communautés de l'Alto Parapeti pouvait cultiver des terres gérées collectivement. Ils n'avaient pas le matériel nécessaire pour cultiver toutes les terres. Itakuatia avait encore faim
Il y a aussi eu le combat contre l'installation de Total mais c'est une autre histoire.
Un fonctionnaire de l'Inra me faisait part de son sentiment d'amertume face à la lenteur de l'administration. Il me disait avoir été abandonné par ses supérieurs, par l'administration, l'Etat, Evo Morales.
Le noyautage des organismes d'Etat, ses tentatives pour demeurer au pouvoir, l'exploitation des sols, c'est cela aussi Evo Morales... Mais l'extrême droite a pris le pas sur la mobilisation hétéroclite, je crains la revanche de « Chiqui » Chavez, des propriétaires terriens
Je me demande ce que me dirait « Don » Cornélio.
Et pour l'auto-promo cette histoire est racontée dans XXI « Les hommes libres de Bolivie » tinyurl.com/yk5sfs2j et dans cet ouvrage « La Grande Revanche » tinyurl.com/yezq5u7h
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