2/ Voyage dans le temps, au 12e siècle exactement. Le siècle d’une "première Renaissance", selon l'expression d’un universitaire américain, reprise par plusieurs historiens dans le grand Jacques Le Goff et son chef d’œuvre Civilisation de l’Occident médiéval (1964). 
3/ Ce siècle se caractérise par une prospérité en Occident inédite depuis la fin de l’Empire Romain, avec des développements à la fois démographique et économique. La chrétienté évolue et la pensée s’épanouit, non plus dans les monastères, mais désormais dans les centres urbains.
4/ Le Goff parle de l’émergence d’une véritable classe d’intellectuels, les plus connus étant Pierre Abélard, Pierre Lombard et Jean de Salisbury. Pierre le Vénérable traduit le Coran. D’autres traductions de textes arabes se multiplient.
5/ C’est aussi le développement des Universités de Bologne et d’Oxford. Mais c’est à Chartres, au sein de la magnifique cathédrale au cœur de la Beauce qu’une école de pensée originale va éclore et jouer un rôle important dans l’histoire de la pensée occidentale.
6/ Tout commence à la fin du siècle précédent avec Fulbert, l’Evêque de Chartres. Fulbert stimule la curiosité intellectuelle de sa ville, s’intéresse à la logique, aux mathématiques et à l’astronomie. Le savoir de l'Espagne musulmane commence à se diffuser partout en Europe.
7/ Mais c’est dans la première partie du 12e siècle que les choses s’accélèrent. Bernard de Chartres, philosophe et humaniste, fonde l’école de la cathédrale. Il a notamment accès à certaines traductions d’Aristote et surtout du Timée de Platon.
8/ Bernard est l’auteur de la fameuse déclaration : "nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers".
9/ Thierry de Chartres, considéré comme le frère de Bernard, se distingue également dans cette véritable renaissance du 12e siècle. Ce théologien et philosophe platonicien, passionné de mathématiques, lecteur de Pythagore, rédige un ouvrage consacré aux arts libéraux.
10/ Les arts libéraux correspondent alors au savoir que l’homme doit posséder pour approcher Dieu. Ils se composent du Trivium et du Quadrivium. Le Trivium, c’est la science du langage : grammaire, dialectique, rhétorique.
11/ Le Quadrivium, c’est la science des nombres : arithmétique, géométrie, astronomie et musique. Les penseurs qui fréquentent l’école de Chartres sont convaincus qu’avec ces sciences, il est possible, par la raison, d’identifier et de comprendre les lois de la nature.
12/ Guillaume de Conches, l'un des disciples de Bernard et Thierry, encourage l’investigation rationnelle pour expliquer les phénomènes physiques, plutôt que de s’en tenir aux explications surnaturelles : "la cause de chaque chose doit être recherchée".
13/ Rejetant justement la paresse intellectuelle, les "philosophes" de Chartres considèrent que "l’homme est un Univers en raccourci" et qu'il est donc possible, voire nécessaire de comprendre le fonctionnement de l’Univers, sans pour autant renier Dieu.
14/ Ils aspirent à déchiffrer le monde qui les entoure et à réconcilier le divin du savoir humain. Les théologiens de la Cathédrale de Chartres favorisèrent ainsi le questionnement, la rationalité et les mathématiques.
15/ La relecture chartraine de Platon et de ses perspectives sur Pythagore constitue une tentative nouvelle de démarche scientifique. Cette démarche n’est certes pas autonome et reste liée à la une volonté de réconciliation entre les mathématiques et Dieu.
16/ Mais Chartres marque bien une étape vers la pensée "moderne". Le médiéviste britannique Richard Southern écrit dans Rethinking the School of Chartres : "Chartres allait devenir un lieu plaisant. La libéralité géniale de ses comtes, l’absence de tensions politiques...,
17/ … la liberté de sa société ecclésiastique (…) allaient contribuer à créer une atmosphère de bien-être propice à l’enseignement. La Cathédrale de Chartres occupe une place à part dans l’image que nous devons avoir du 12e siècle".
18/ Vers la fin de ce 12e siècle, Chartres perd toutefois son influence. La pensée scolastique et sa relecture d’Aristote prennent partout le relais dans les Universités et lieux d'enseignement.
19/ Le 13e siècle, sera celui de la philosophie d’Albert Le Grand et surtout de celle de son disciple, Thomas d’Aquin. L’ampleur de la monumentale Somme Théologique de Thomas d’Aquin va éclipser les autres écrits théologiques.
20/ Il est cependant toujours possible de se replonger dans ce 12e siècle rayonnant en visitant la Cathédrale de Chartres et en observant notamment les sculptures de sa façade ouest. Elles représentent Platon Aristote, Cicéron, Boèce, Euclide, Ptolémée, Pythagore...
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