#Thread sur l’action du Ministre des finances le plus connu de l’histoire de France, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). Tellement connu (et mythifié) qu’en 2020, des responsables de droite comme de gauche préconisent encore une politique dite "colbertiste".
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2/ D’abord, le personnage. Pour certains, il fut un ambitieux ministre, désagréable, glacial (Madame de Sévigné le surnommait le "Nord"), sans originalité, mais soucieux de s’enrichir en même temps qu’il finançait les rêves de grandeur du jeune roi Louis.
3/ Pour d’autres au contraire, à la suite de Voltaire puis des hagiographes de la IIIe République qui voulurent en faire un symbole de réussite sociale, il incarne le fils de marchands, parvenu à la Cour de France à force de travail et de labeur,
4/ capable de redynamiser l’économie française, soutien indéfectible de l’industrie et de la science, unificateur du royaume, promoteur de la marine et du commerce extérieur, défenseur de la grandeur de la France. Comme souvent, la vérité se situe entre les deux.
5/ Jean-Baptiste Colbert, né en 1619 à Reims au sein d’une riche famille de marchands et banquiers champenois, use de ses relations pour entrer au service de Michel Le Tellier, alors secrétaire d’Etat à la Guerre pendant la Régence d’Anne d’Autriche.
6/ Repéré pour sa capacité de travail et sa discrétion, il est engagé par Mazarin en 1651 pour gérer sa fortune personnelle. Sur son lit de mort (1661), Mazarin dira au jeune Louis : "Sire, je dois tout à votre Majesté, mais je m'acquitte de ma dette en lui présentant Colbert"
7/ Après avoir fait arrêter le richissime intendant Nicolas Fouquet, Colbert devient le principal ministre de Louis XIV. Nommé Contrôleur Général des Finances en 1665, il est également Secrétaire d'État de la Maison du Roi et Secrétaire d'État de la Marine.
8/ Il reprend alors les principes du ministre d'Henri IV, Barthélémy Laffemas, et s'occupe de tout : collecte des impôts, douanes, poids et mesures, forêts, marine, mines, industrie, agriculture,
9/ organisation territoriale, organisation de la justice, administration, travaux publics et urbains (on lui doit par exemple les portes Saint-Denis et Saint-Martin, la colonnade du Louvre et le Jardin des Tuileries) et même la protection des enfants illégitimes du Roi Soleil !
10/ De 1661 jusqu’à sa mort en 1683, Colbert est guidé par un objectif : donner à la France une indépendance économique et financière. Pour cela, il s'appuie sur les "théories" mercantilistes : politique protectionniste, soutien des manufactures royales, expansion coloniale.
11/ Comme ses prédécesseurs et ses contemporains, il est convaincu que la France s’enrichira si la balance commerciale est excédentaire et si le produit des impôts s’accroît, ce qui passe par une refonte des douanes, l’octroi de monopoles et l’amélioration de l'industrie.
12/ La politique de Colbert fut-elle une réussite ou un échec ? Difficile de revisiter l’histoire en conservant une objectivité selon que l’on soit interventionniste ou au contraire partisan du libéralisme.
13/ Indéniablement, le ministre de Louis XIV est parvenu en deux décennies à remettre de l’ordre dans l’organisation et les finances d’un royaume épuisé par des décennies de guerres civiles et en état de quasi-faillite à son arrivée au pouvoir.
14/ Même si ses conceptions économiques sont banales à son époque, l’ampleur et l’intensité de ses actions sont inégalées et peu de ministres d’ancien régime, aussi bien en France qu’en Europe, n’eurent une telle influence sur la destinée d’une nation.
15/ Sa vision de la gloire du royaume dépasse le seul sujet économique et implique à la fois culture et science. Fondateur de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1663), surintendant des Bâtiments et Manufactures (1664), il est élu à l’Académie Française en 1667.
16/ Il créé l’Académie des Sciences (1666) ainsi que l'Observatoire de Paris (1667) où il fait venir deux des plus grands savants de l’époque, Huygens et Cassini. Il est également le créateur de l'Académie d'Architecture (1671).
17/ La gloire du Roi Soleil doit beaucoup à son contrôleur général des finances car sans l’énergie et la discipline de Colbert, il lui aurait été impossible de financer Versailles ou d’entretenir tous ses artistes et écrivains qui firent rayonner la France au 17e siècle.
18/ Pour autant, les effets positifs de sa politique économique ne furent pas durables. La France ne parvint jamais à devenir aussi riche que la Hollande, voire l’Angleterre. Première puissance démographique d’Europe, elle ne devint jamais l’économie dominante du continent.
19/ Si le labeur personnel de Colbert est indiscutable, son interventionnisme agaça les milieux d’affaires. On connaît le fameux propos du marchand Legendre (rapporté plus tard par Turgot) répondant au ministre sur ce qu’il pouvait faire pour eux : "laissez-nous faire" !
20/ L’équilibre financier retrouvé ne survécut pas à Colbert. Louis XIV qui allait encore vivre trente-deux ans après la mort de son célèbre ministre, ne trouva plus de successeurs capables de veiller à son train de vie et de maitriser les finances du royaume.
21/ A peine Colbert disparu, les déficits se creusèrent à nouveau, en particulier du fait des guerres initiées par le roi de France. On sait aussi que l’économie demeura fragile et les Français durent affronter deux famines effroyables pendant les hivers 1694-1695 et 1709-1710.
22/ A la mort de Louis XIV, la France était à nouveau exsangue. Si Colbert n’est qu’indirectement responsable des politiques de ses successeurs, on peut s’interroger sur la pertinence d’une vision et d’une action économiques qui ne survivent pas à leur initiateur.
23/ Colbert, avec son "Code Noir", est également responsable de l’extension de l’esclavagisme dans les colonies. On peut enfin lui reprocher son enrichissement colossal ainsi que son népotisme puisqu’il plaça plusieurs membres de sa famille à des postes importants.
24/ Le colbertisme ne fut en rien une théorie économique originale, mais la mise en pratique la plus aboutie et la plus élargie des conceptions mercantilistes, en phase avec les aspirations d’un monarque soucieux de la gloire de son royaume.
25/ Il reste, entre autres, une citation du ministre qui trouve une résonance toujours pertinente au 21e siècle : "l'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris".
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