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[Thread Red Dead]
Pour ce 3e thread, je suis comme d’habitude mon actualité, sous le signe cette fois de l’Old West : je signe le livre La Saga Red Dead chez @ThirdEditions. C'est donc l'occasion de vous parler #openworld avec quelques infos que vous retrouverez dans le livre.
Il convient de préciser que les informations sont ici condensées. Les réflexions peuvent sembler incomplètes, le livre étant évidemment plus riche. Ce n’est pas pour vous le faire acheter (un peu, Ok), le sujet est juste trop long pour un thread Twitter.
thirdeditions.com
Je pars du principe que certains jeux réussissent plus que d’autres à allier gameplay avec mondes semblant conçus d’un seul trait, et non pas par niveaux de difficulté ou d’étapes de complétion. Le chapitre du livre se nomme “Breath of the Wild West”, certains apprécieront !
À l’E3 2005, #Rockstar dévoile une vidéo mystère titrée "Old West Project" pour accompagner le lineup de la PS3. Dans les esprits, #GTA San Andreas, sorti un an plus tôt, est toujours présent et décuple tous les fantasmes. #GTAIV sortira en 2008, et sera une claque mémorable.
Mais surtout, le principe de l’open world prendra un envol qui n’était alors que simplement esquissé dans #GTAIII. Alors quand Rockstar tease un potentiel retour de Red Dead Revolver, les fans sont en ébullition. Quoi de mieux que le western pour exprimer l’art de l’open world ?
Revolver n’en était pas un et accumule les poncifs qui, sur la longueur d’un jeu vaste et ambitieux, seraient difficilement justifiés. En effet, GTA opte pour une forme de réalisme dans sa représentation et son moteur, et tout porte à croire que cet Old West Project fera de même.
La vidéo parle d’elle-même : Avec ses plaines, ses montagnes lointaines, sa ville abandonnée et, déambulant fusil à l’épaule, un homme à cheval, elle dénote avec les clichés associés au western. Du haut d’une colline, l’homme observe l’horizon du vaste monde qui s’ouvre à lui.
Historiquement, il faut comprendre que GTA IV change de moteur. Il s’agira désormais du fameux RAGE, conçu sur les bases du moteur AGE d’Angel Studios, sur lequel Revolver a été conçu, mais surtout des GTA-like en 3D avant même la 3D chez GTA, comme #MidtownMadness.
Concrètement Take-Two (maison-mère de Rockstar Games) a racheté stratégiquement Angel Studios car il s’agissait de développeurs surdoués (le portage de #ResidentEvil2 sur N64 est une prouesse historique), mais aussi pour son moteur-maison ultra performant.
Il est donc intéressant de noter que l’influence d’Angel Studios basé à San Diego (USA) est absolument évidente sur GTA, qui est un jeu originellement de GMA Design basé en Écosse : Les phrases en voiture avec Midtown Madness et le tir à la 3e personne avec Revolver.
Cela prête à débat et je m’expose aux tirs nourris des fans, mais par esprit de provocation j’aime à dire que oui, #GrandTheftAuto doit au final tout autant à #RedDead que Red Dead doit à GTA ! C’est purement rhétorique évidemment, et passionnant à creuser.
Au-delà des aspects techniques, la définition de l’open world est ici un point important. Étant un thread Twitter, développer ce qui mériterait un livre entier n’est pas possible… Première idée à éradiquer : le jeu vidéo en « monde ouvert » n’est pas un genre.
Par une observation traditionnelle, le concept d’open world est intimement lié à l’idée d’un univers graphique étendu, dont on n’imposerait pas de direction particulière pour avancer. Mais en réalité, l’ouverture du monde est avant tout celui du libre arbitre.
Il suffit d’observer lesdits jeux en monde ouvert : le sont-ils vraiment ? La Terre est-elle seulement ouverte ? Elle ne l’est en réalité pas du tout : elle est "finie", son territoire n’est pas illimité. Non, je ne joue pas sur les mots : un monde n’est jamais totalement ouvert.
Faire ce que l’on veut sur un terrain de jeu aux dimensions finies est la vraie définition de ce que j’appelle la « libération ludique de l’expérience » : le tapis du salon est votre « open world » pour jouer aux LEGO, il est limité, mais votre imagination, elle, est infinie.
Dans l’histoire des open worlds, tout nous rappelle cette notion qui trouve un terme très utile en anglais, "open-ended", reflètant cette dualité pour exprimer une finalité incertaine : certes le monde est fermé, mais les limites sont lointaines. Cela suffit à créer l’illusion.
Il ne faut pas chercher loin les exemples éloquents : Alone in the Dark en 1992 ou Resident Evil en 1996 qui s’en inspire, se déroulent dans un "monde" aux contours très délimités : un manoir. La progression ne suit pas de logique de linéarité, c’est donc un vrai monde ouvert.
D’autres exemples expriment cette notion en la situant dans une expérience de huit-clôt relatif qui sert le gameplay. Rapture dans #Bioshock ou Yokosuka dans #Shenmue relèvent du même fantasme vidéoludique : le joueur est libre. Ce sont des open worlds en puissance.
L’illusion vient aussi par la modération des mondes créés : dans la série The Elder Scrolls, il est intéressant de voir que les mondes ont drastiquement baissés en taille au fil des opus. Arena ('94) propose l’intégralité de Tamriel, soit plusieurs millions de kilomètres-carrés !
Skyrim (2011) n’est qu’une province de Tamriel, soit des dizaines de milliers de fois plus petit. Mais plus riche, plus beau, plus cohérent, proposant des lieux uniques et pas juste des milliers d’endroits créés par génération procédurale. Au final, il est bien plus crédible.
On retrouve une idée similaire dans Elite en 1984 : le jeu propose 2048 planètes dans seulement 22 ko de programme avec l’utilisation de formules algorithmiques pas si pointues que cela. Ainsi, ils pouvaient mathématiquement créer jusqu’à 282 000 000 000 000 galaxies !
Mais l’éditeur préféra un chiffre restreint pour parfaire l’illusion et ne pas, par un contenu trop vaste, amener le joueur à comprendre la supercherie. Si vous avez vu le film Le Prestige de Christophe Nolan, vous comprendrez cette notion : le doute doit subsister pour y croire.
La taille ne fait pas tout (si si), le concept de libération ludique de l’expérience doit aussi se refléter dans l’action du joueur. Parmi les exemples plus ou moins célèbres : #Zelda. Dans le premier opus de 1986, le monde est totalement accessible dès le départ.
Avec cette liberté non acquise mais innée, dans le cœur du système de jeu de Zelda depuis plus de 30 ans, somme toute relative mais pourtant bien réelle, le héros Link peut parcourir les donjons dans un ordre relativement libre. Le gameplay, lui, en donne les perspectives.
En s’inspirant de préceptes innovants de jeux antérieurs comme Dragon Slayer (1984) et The Tower of Druaga (1984), l’exploration de l’univers fait avancer le scénario et non l’inverse, trouver les mystères en interagissant librement avec le décor est une avancée importante.
Pour beaucoup, le monde de Redemption (2010) est « vide ». Il s’agit en fait d’un univers truffé, et je n’exagère pas, de choses à voir, à faire, avec lesquels interagir. Même chose que dans le premier Zelda : vous passez devant des bosquets et des murs qui font mine de rien.
C’est à vous d’être pro-actif, de brûler les bosquets, de détruire les murs, pour dévoiler des mystères. Cette notion de libre-arbitre et d’implication du joueur pour révéler la richesse de l’univers ne fonctionne évidemment que si le joueur le veut.
Tout cela se rejoint sous la même notion d’autonomie du joueur : l’exploration et la découverte sans logique imposée, la maîtrise de certains aspects du jeu sans avoir à tous les intégrer, et l’acceptation ou non des quêtes, de l’histoire, des rencontres. C’est ça, l’open world.
Redemption 2, bien plus que son prédécesseur, s’inscrit dans cette mouvance. L’intégralité de la carte (à part New Austin, accessible lors de l’épilogue) est disponible dès le départ sans limitation d’accessibilité pour le joueur, qui jouit alors d’une liberté rare.
Une mécanique que l’on retrouve dans InFamous, Far Cry, The Elder Scrolls, Assassin’s Creed Origins/Odyssey, etc., mais leurs territoires suivent des niveaux de difficulté il est parfois impossible d’avancer dans les quêtes annexes même si techniquement tout est accessible.
Ne vous aventurez pas trop loin dans les territoires de hauts niveaux dans AC, y vaincre les ennemis est impossible, alors qu'ils sont accessibles. Comme le gameplay est centré sur l’assassinat / la complétion, l’intérêt de s’y rendre est donc nul, cette liberté est fallacieuse.
De ce fait, RDR2 n’indexe pas la notion d’exploration avec celle de la difficulté et permet au joueur de faire ses propres choix, de suivre ou non l’histoire principale, d’aider ou non des habitants, avec tout ce que cela peut intégrer comme dimension de moralité.
Puisque la profondeur de la narration et du scénario passe aussi par la cohérence de l’univers, le début des années 2000 voit se développer deux titres que tout oppose, les séries Zelda et The Elder Scrolls, qui connaissent ensemble une révolution de leur paradigme.
La série de Bethesda offre aux joueurs la merveille Morrowind en 2002, qui domine alors l’industrie par sa beauté inexprimable dans lequel se perdre est une expérience qui redéfinit les notions de narration – et de contemplation – dans le jeu vidéo.
Mais comme dit plus haut, la taille des mondes ouverts de TES n’a fait que baisser : il est plus simple de se perdre dans Arena en 1994 que dans Morrowind. Daggerfall en 1996 possède même 15 000 lieux à explorer sur 160 000 km² ! Morrowind ne tient « que » sur 27 km²…
Peut-on alors dire que l’expérience est moins riche ? Non. Le monde est plus dense, plus riche, plus varié. Et encore trop grand pour certains. Avec le temps, les cartes de la série TES n’augmenteront pas en taille, et RDR ne cherchera pas spécialement à les battre.
Parenthèse d’importance avant de continuer : comment calcule-t-on la taille d’un open world ? C’est une question complexe. Il existe plusieurs types de calcul pour déterminer la taille des cartes, cela fonctionne bien quand le moteur graphique est le même d’un jeu à l’autre.
Attention alors à ce type de vidéo : elles sont belles, mais il existe plusieurs techniques et les chiffres annoncés sont à prendre avec précaution. Les plus belles vidéos posent problèmes, car elles deviennent aussi des références pouvant être trompeuses.
Entre différents titres de différents développeurs/moteurs, aucune référence très précise ne peut être prise au premier degré : cela dépend de l’échelle du jeu (du personnage vs. son environnement, de la taille de ses enjambées, de la représentation globale du monde…).
Ici, la comparaison est faite entre deux séries (TES et Redemption) qui ont une échelle un peu près équivalente en termes de représentation du monde, mais il convient de ne pas prendre les dimensions comme des valeurs absolues, mais comme des indicateurs « sensoriels » in game.
Par exemple, il est dur de faire un rapprochement du genre avec Zelda : le personnage est plus petit mais court plus vite, le monde est à son échelle mais sûrement pas à celle de John Marston ou d’Aloy. Au final, le débat sur la taille des cartes peut vite devenir confusant.
Reprenons. Avec Arena et Daggerfall, quel intérêt d’avoir un monde de taille « réelle » s’il n’est pas explorable de par ses dimensions gargantuesques ? Sans la main du développeur et de l’auteur, ces automatismes paraissent d’ailleurs rapidement ennuyeux, routiniers.
Revenir à une formule plus humaine, plus écrite, plus scénarisée, est le vrai génie de Morrowind, tout en incluant un gameplay basé sur l’exploration d’un monde mystérieux mais aux lieux uniques, non répétitifs, baignés d’une lumière et d’une musique ensorceleuses.
La série de Bethesda est alors la première variation connue d’un monde à l’allure organique et réaliste, et est ce qui se rapproche le plus de Red Dead Redemption quand le titre sort en 2010, alors que le quatrième opus de TES est encore dans tous les esprits (Oblivion, 2006).
En parallèle à la révolution de Morrowind, les développeurs de Nintendo parachèvent l’épisode de Zelda qui sortira en décembre 2002. The Wind Waker dispose d’une carte colossale, qui prend place dans un monde englouti par les océans, avec tout un réseau d’îles à explorer.
Certes, la majorité de l’environnement est une étendue d’eau à traverser, les évènements aléatoires s’y déroulant sont relativement peu nombreux, mais surtout la fonction organique du jeu ne transparait pas réellement, avec sa démarche cartoonesque.
Cet opus de la série Zelda reste un essai intéressant, car disposant de donjons fabuleusement conçus et d’un storytelling original puisque que le royaume d’Hyrule a disparu sous les eaux et les îles sont en réalité des anciens sommets de sa topologie.
Cette mythologie et la mécanique saluable des phrases de gameplay en font un monde ouvert qui exprime la volonté de toujours mettre le joueur, dans la peau de Link, au centre de l’idée de libre-arbitre.
De '02 à '17, le saut temporel est prodigieux pour les équipes de Nintendo. La saga culte se voit enrichir de titres comme Twilight Princess, Phantom Hourglass ou A Link Between Worlds, mais aucune trace d’un titre qui aurait pour vocation d’emprunter l’idée de gigantisme de TWW.
Breath of the Wild explose la convention de la série qui a toujours su garder un sens linéaire à sa narration et l’évolution de l’action. Ce nouveau titre redéfinit en effet les préceptes initiaux, tout en gardant l’essence du titre phare de Nintendo.
La liberté est l’une des plus fondamentales pour un jeu vidéo dit de narration, en plus de proposer un monde à la fois organique, cohérent selon le schéma de son réalisme global, et n’obligeant en aucune sorte le joueur à suivre l’histoire ou à grimper en niveaux.
D’ailleurs, il va jusqu’à rétrograder l’affrontement considéré comme « final » contre Ganon en une étape elle-même largement dispensable. Exit alors les donjons souvent longs et complexes, qui laissent place à des sanctuaires courts et à l’architecture unique.
Là aussi, aucune obligation pour vivre l’aventure pleinement, y compris narrativement. En réalité déjà présenté comme tel dans The Elder Scrolls, ce parti pris va amener Nintendo à concevoir un open world le plus proche possible de l’idée de liberté accordée au joueur.
Et n’est-ce pas un hasard si l’équipe de développement japonaise admet avoir exploré de fond en comble le monde de Skyrim à l’époque du développement de Breath of the Wild et celui de Red Dead Redemption 2 pendant la création de Breath of the Wild 2 ?
D’un extrême à l’autre, le titre de Rockstar se situerait finalement un peu à la croisée des mondes ouverts. Car, avant BotW, Redemption n’accordait déjà aucune importance au niveau de difficulté, aux armes puissantes et aux boss de fin de niveaux/jeu.
Son monde ouvert souffre même en 2010 des mêmes critiques que l’on peut lire ici et là quant à BotW : considéré comme tantôt classique, tantôt plutôt vide, il est en réalité un entre-deux de ce que tend à produire l’industrie du jeu vidéo à cette époque.
Son développement débute en pleine révolution GTA, une série qui voit son concept retravaillé depuis ses bases avec le troisième opus et le passage à la 3D, et qui marque un nouveau départ pour les open worlds.
Mais un peu comme TES et TWW, RDR doit avant tout proposer une expérience de jeu qui va dépasser les pures notions de gameplay d’action, genre déjà très présent dans le catalogue de l’éditeur. Imaginer quelque chose de différent est par conséquent une priorité.
Les aventures de John Marston vont alors bénéficier du meilleur des mondes ouverts de l’époque, au moins dans leur définition objective. Elles s’y dérouleront dans un environnement connu car réel et historique à mi-chemin entre storytelling soutenu et libre-arbitre assumé.
Les open worlds de la période du développement de Redemption vont essentiellement se diviser en deux catégories. La première est symbolisée par la multiplication des objectifs secondaires « à cocher », et de nouvelles productions vont rapidement faire dominer cette mécanique.
Assassin’s Creed en 2007 propose de superbes paysages du Moyen-Orient et des déplacements à cheval, ce qui se rapproche du western, mais les ennemis sur la carte sont tous identiques et les objectifs de complétion sont déjà très présents et incohérents avec le monde.
Trouver des drapeaux crées par l’Animus est une formulation peu esthétique pour fidéliser. Le spectre de la génération procédurale de ces jeux dits à « checklist », comme Just Cause, rend plus facile l’approche du game design à la fois pour les développeurs et pour les joueurs.
Ce sont alors des quêtes aléatoires se générant toutes seules et des ennemis réapparaissant rapidement pour offrir une expérience de jeu infinie. L’exploration est alors induite par la nécessité de compléter des actions prédéfinies et cocher les cases au fur et à mesure.
Le scénario et la cohérence de l’univers sont relégués au 2nd plan. Une fois toutes les cases cochées, le jeu est symboliquement terminé comme si le Dieu du gameplay l’avait décidé, emportant avec lui la motivation du gamer qui, par conséquent, passera à un autre jeu à compléter.
La formule perdure : dans AC Odyssey (2018), le joueur peut s’attaquer à un nombre impressionnant de camps et forts militaires, mais les architectures ne changent pratiquement pas, et la plupart des camps sont même strictement identiques les uns des autres…
La 2nd catégorie est plus proche de l’esprit assumé par TES qui, malgré des séquences d’action très prenantes, pousse plutôt le joueur à découvrir ce qui se cache "derrière la montagne" dans une démarche plus nébuleuse tournée davantage vers la notion de quête de la connaissance.
Mais les héros de TES n’ont pas de personnalité, de nom ou de visage, puisque customisables par le joueur et par conséquent pas moins charismatiques que Link. Ces titres vont alors inscrire leur scénario dans une démarche un peu en dehors des réalités émotionnelles.
Cela n’a cependant pas d’importance, puisqu’au final le véritable héros de The Elder Scrolls est son monde. Un monde habité, respirant par lui-même, d’une richesse inouïe, qui se présente d’une manière unifiée comme une seule et même entité cohérente.
Chaque action a une conséquence, non seulement de l’ordre de la moralité, mais aussi des relations de cause à effet sur les plans de l’esthétique, du gameplay et de l’expérience globale de jeu, qui n’est pas découpée en plusieurs zones à accessibilité ou difficulté variable.
En somme, un monde offrant une vision organique, agissant d’un seul mouvement cosmique global et dont le joueur n’est en rien le point central. C’est précisément l’un des points fondamentaux de Red Dead Redemption, et surtout – surtout ! – de sa préquelle.
Cette idée de représentation organique intervient aussi dans l'interaction que le héros a avec son monde. Dans Skyrim, le joueur prend en main l'avatar dans un village enneigé où les habitants vaquent à leurs occupations. Il n’est qu’un passant, rien de plus, rien de moins.
A contrario, Link ou les héros de titres plus tournés vers l'action semblent être le centre de l'univers, que les PNJ attendent patiemment dans un cadre très restreint comme les seuls éléments perturbateurs de leur routine. Leur monde « vit-il » sans ses héros providentiels ?
La question se pose, car même quand on accorde au joueur la liberté de faire ce qu'il veut, la répercussion sera plus effective quant à la prise en main de l'avatar qu'à l'évolution du monde en lui-même, à l'image des sanctuaires de Breath of the Wild.
La complétion de ces lieux ne fait pas ou peu évoluer le héros et ne développe que peu le fond historique, car relégué à une fonction de mécanique physique pure. BotW possède donc lui aussi la dimension « checklist » noyée dans une carte du monde servant d'écran de fumée.
Néanmoins, Skyrim et Breath of the Wild disposent d'un fond narratif quasiment identique : celui de l'élu devant passer par plusieurs épreuves pour se révéler, comprendre qui il est et, in fine, trouver sa place dans un monde qu'il convient d'explorer. Nintendo assume.
Mais c’est bien le trop-plein d’activités qui conduit des titres à devenir contraignant pour le joueur quand ce dernier va plutôt chercher une forme d’intimité avec sa propre démarche de jeu, cette fameuse "libération ludique de l’expérience" évoquée pour les LEGO.
Il est atteint d’une certaine façon par BotW, mais le jeu se perd dans sa volonté d’offrir une liberté totale dans un monde aux interactions finalement peu nombreuses au regard de la grandeur de sa carte. Ceci est un avis personnel que ne partage par exemple pas @Cactuceratops.
Pire, il mécanise à l’extrême ses sanctuaires tout en caractérisant une nature de jeu où tout serait possible mais où rien ne serait nécessaire, pas même l’évolution du héros par le biais desdits sanctuaires, n’offrant en définitive qu’une liberté vide de sens narratif.
En totale opposition, Redemption installe d'entrée un univers qui ne cherche pas à être parcouru pour simplement cocher des cases. Les frontières entre les régions sont naturelles, les ennemis n'ont pas de niveaux associés à leur difficulté.
L'ensemble de l'interaction offerte par l'expérience de jeu ne tourne pas autour de la toute-puissance de l'avatar (Just Cause, Assassin's Creed) ou de sa stature héroïque en quête de révélation pseudo-divine (Zelda, The Elder Scrolls). Les destins de John et Arthur le prouvent.
L’Ouest de la fin du dix-neuvième siècle ne subit pas son héros, et par définition sa structure même n’est pas mécanisée en vue de recevoir la visite de l’avatar, d’où l’impossibilité d’escalader quoi que ce soit, au-delà des problématiques de réalisme.
Il y a la volonté de ne pas proposer un monde factice avec trop de quêtes, par cohérence avec le western, synonyme de grands espaces et de solitude, mais aussi pour créer un schéma différent des mondes où les éléments de narration respirent à plein nez la génération procédurale.
Ce parti pris est alors renforcé dans Redemption 2, qui reprend point par point les qualités de son aîné mais en les développant jusqu’à leur paroxysme. Le monde est ainsi organique, dans le sens de sa représentation et du comportement des différents éléments le constituant.
Des centaines d’espèces animales parsèment l’univers, sont observables mais aussi entièrement interactifs, le tout disposant d’une profusion de détails et des variables conditionnelles pour apporter l’illusion d’un monde vivant sans règles binaires le définissant.
Au joueur, s’il en a le courage, de chercher à percer la nature du monde, qui semble être unifiée d’un seul et même système, évoluant d’un seul mouvement global, sans transition, sans évènement isolé dans le temps et l’espace qui apparaîtrait comme un cheveu sur la soupe.
Dans AC Origins et Odyssey, certains effets météorologiques semblent parfois se confondre. Ces incohérences sont le fait de générations procédurales hasardeuses, qui n’entachent pas l’expérience de jeu, mais vont à l’encontre de la rhétorique de Rockstar.
Tout à une fonction et une logique dans le monde de RDR, qui va agir et réagir comme un véritable écosystème, vivant par lui-même, et que le joueur ne fait que traverser. Au milieu de cet environnement, alors que le monde vit sa vie, le joueur n’a pas le droit de cité.
Les PNJ ne l’attendent pas pour agir, les animaux ne vont le détecter que par des stimulus auditifs et olfactifs, implicitant la stature de l’avatar qui n’est pas au centre de tout, mais qu’un pion parfois perdu devant l’immensité des éléments.
La position du joueur change alors du tout au tout en comparaison aux mondes ouverts du genre action, où le gameplay prévaut sur toutes les notions de réalisme qui sont simplement inutiles et même contre-intuitives dans l’expérience de jeu.
Au milieu de tous ces choix de développement et de mise en scène œuvrant pour l’esthétique de narration et d’exploration du monde de Redemption, quelle place pour la notion de liberté et, plus que tout, celle de singularité de l’expérience ?
Contrairement à Breath of the Wild, John ou Arthur ne peuvent couper des arbres et utiliser les branches pour en faire des armes. Contrairement à Assassin’s Creed, ils ne peuvent escalader n’importe quelle montagne ou bâtiment pour aller où bon leur semble.
La notion de liberté souvent évoquée pour Redemption est un faux-ami qu’il convient de pondérer. Il est évidemment impossible de « tout faire » dans le diptyque de Rockstar : il n’en a jamais eu l’intention.
Le « grand tout » que représente son monde, car cohérent, vivant et unifié, instaure cependant l’idée de proposer une expérience qui ne doit pas obliger le joueur à suivre une liste préétablie d’actions pour profiter de la dimension organique du jeu.
La lenteur de RDR permet précisément de prendre conscience de ce qui est invisible et la plupart du temps inhabituel car inexistant ailleurs, et par définition inattendu. Il ne s’adresse pas aux joueurs complétistes et propose une expérience de jeu tournée vers l’introspection.
Pour ceux qui prendront le temps d’assimiler cette lenteur, une réalité sous-jacente s’ouvrira. Accepter son rythme permet de comprendre ses subtilités, sa cohésion, l’ordre et le désordre, ses interactions naturelles et sa dimension, plus que jamais, intensivement organique.
Paradigme quasi-intellectuel et donc assez surprenant de la part d'un éditeur comme Rockstar, cette logique n'est pas propre à Red Dead Redemption. Un autre titre vient couronner la singularité de l'expérience du sempiternel « cowboy solitaire ».
Death Stranding de Hideo Kojima, dans la formulation de la lenteur, amène le joueur à ressentir le vide, à peser chaque action sur un terrain accidenté et dangereux. Chaque action, aussi anodine soit elle, provoque un sentiment d’accomplissement hors du commun.
Placer une échelle idéalement sur une portion de falaise est une victoire. Cela tranche de façon radicale avec les kilomètres parcourus sans mal dans Zelda, AC ou TES. Réapprendre à concevoir, en tant que joueur ou développeur, un monde dans ses aspects les plus futiles.
Le paradoxe de cet accomplissement est lorsque cette simple échelle va jusqu’à aider des milliers d’autres joueurs à prendre la bonne direction, comme autant de fantômes présents dans un univers à la fois fermé de l'intérieur mais indiciblement ouvert sur le monde.
C'est en cela que l'audacieuse expérience de Red Dead Redemption et de sa préquelle apporte une forme de singularité dans la profusion de mondes ouverts de leurs époques respectives.
Celle de vivre des aventures extraordinaires car à taille humaine, par le prisme de héros ordinaires et qui ne sont que les métaphores du temps qui passe dans des mondes n'étant pas à célébrer par leur immensité ou leur opulence, mais simplement par leur justesse.
Félicitations si vous avez tenu jusque-là ! Et un grand merci à @Cactuceratops, script doctor d’exception ! Il s’agit bien sûr d’un "Reader's Digest" du chapitre dédié au monde de Red Dead. Si cela vous a plu, vous savez ce qu'il vous reste à faire...🤠
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