Le saviez-vous ? Les plateformes de streaming sont peut-être en train de mettre un terme à une guerre dévastatrice pour la création musicale : la loudness war #thread [biais cognitifs et course aux armements inside]
Cette guerre de la lourdeur repose sur un biais cognitif bien connu des psycho-acousticiens : lorsque le volume sonore d'une pièce de musique augmente, on tend à avoir l'impression que la qualité du son augmente.
Ce n'est peut-être pas en soi un biais, car il y a une bonne raison à cela : avec un niveau plus élevé, on entend plus de détails qui participent à la qualité du son.
Ce phénomène est assez facile à corriger : si la musique que vous écoutez est trop faible, vous n'avez qu'à augmenter le son !
Ca devient un biais quand on compare deux enregistrements. Vous êtes en voiture, vous avez préparé une petite compilation de mp3 à écouter en route. Le premier de la liste a un niveau assez faible, le deuxième plus fort.
Dès les premières secondes du deuxième, vous aurez l'impression que la musique est meilleure, qu'elle a plus d'énergie, qu'elle est plus dansante, etc.
Les producteurs de musique préfèrent donc être dans le deuxième cas que dans le premier. Il ont donc envie d'augmenter le son de leurs productions. Mais il y a une limite : le 0dbfs
C'est la limite à partir de laquelle le signal crée une saturation numérique, qui produit des 'clics' très désagréables, et qui donnent une impression de son 'amateur'.
A ce stade, vous devriez penser que l'équilibre de ce jeux est simple : tout les producteurs devraient monter le niveau jusqu'à 0dbfs, et donc avoir le même niveau sonore. Hélas... c'est un tout petit peu plus compliqué.
Car lorsqu'on dit que l'on monte le niveau à 0dbfs, en fait, on ne parle que des crêtes. Le volume sonore d'une œuvre musicale n'est pas plat.
Par exemple, prenez un morceau de rock à 120bpm dans lequel la grosse caisse ferait 'boom' sur le 1er et 3eme temps de la mesure et la caisse claire ferait 'tchak' sur les 2ème et 4ème.
boom tchak boom tchak boom tchak boom tchak boom tchak
Dans cet exemple, on a une crête toute les demi-seconde. Mais même si le son d'une grosse caisse peut durer assez longtemps, c'est surtout son attaque qui est forte, et elle ne dure que 10 ou 20 millisecondes.
Monter le niveau à 0dbfs, cela signifie avoir 20 millisecondes à 0dbfs suivies de 480 millisecondes plus faibles. Dans cette situation, les producteurs ont recours à une arme potentiellement destructrice... [tadada...]
La compression !
La compression est un outil qui permet de réduire l'écart entre les pics et les creux d'un son. Utiliser un compresseur permet de remonter les 480 millisecondes entre un 'boom' et un 'tchak' sans augmenter le volume du 'boom' et du 'tchak'.
Ainsi, entre deux morceaux dont les crêtes sont à 0dbfs, le plus compressé des deux donnera une plus grande impression de lourdeur ('loudness').
Pendant des années, la guerre de la lourdeur a désigné cette tendance à accroitre au maximum la compression pour donner une plus grande impression de volume sonore que les concurrents.
Or, à la différence de 'monter le son', augmenter la compression altère la qualité intrinsèque de la musique, en réduisant la dynamique. Reprenons notre exemple de rock 'boom-tchak'.
Le fait que le son diminue entre l'attaque de la grosse caisse et l'attaque de la caisse claire est une qualité musicale. L'amateur de rock aime se prendre une petite claque dans la tronche toutes les demi-secondes pour se maintenir éveillé.
Une compression excessive lui donnera, au contraire, une impression de platitude à l'opposé de ce qu'il recherche.
L'idéal est donc une compression modérée, quitte à augmenter un peu le son du lecteur cd pour avoir de la lourdeur en plus. Mais si un titre peu compressé est joué juste après un titre très compressé, l'auditeur aura cette sensation de moindre qualité sonore.
Le résultat de cette guerre est une compression supérieure à l'optimum, au détriment de la qualité musicale.
C'est là qu'arrivent les plateformes de streaming.
Pour éviter les désagréments provoqués par les changements de volume ressentis par leurs utilisateurs, les plateformes retraitent le son des titres qu'elles diffusent afin de leur imposer le même niveau de 'loudness', mesuré en tenant compte aussi bien des pics que des creux.
Si bien que si votre morceau ultra compressé passe après un morceau qui l'est moins, son volume global sera baissé par spotify ou youtube pour éviter une augmentation de 'loudness'.
Résultat : non seulement vous ne paraitrez pas plus 'fort' donc meilleur, mais en plus vous semblerez moins musical, car votre morceau n'aura plus aucune dynamique.
La conséquence est en train de se faire sentir sur les pratiques des producteurs.
Il y a quelques années, les logiciels de production musicale en pointe vantaient la qualité de leur 'loudness meters', outils qui permettaient de guider les ingénieurs du son pour augmenter toujours plus le volume ressenti.
Aujourd'hui, le must, ce sont les 'dynameters' (ex ) qui vous permettent de cibler le genre de dynamique qui ne sera pas affectée par la correction apportée par telle ou telle plateforme.
Ces outils ne vous indiquent même pas votre niveau de 'loudness', puisque de toute façon, c'est la plateforme de streaming qui va vous imposer son propre standard en la matière.
La fin de la guerre n'a pas été apportée par un accord entre les parties, ni par la règlementation, mais par un acteur inattendu de l'industrie musicale, le distributeur lowcost.
Le streaming n'a peut être pas fait que du bien à l'industrie musicale, mais si elle permet aux amateurs de rock de se reprendre deux claques dans la tronche par seconde, on lui devra quand même un grand progrès. #fin
