Thread by @Cernach

C'est un peu tard, mais, ayant été inspiré par le reportage sur les pyramides dans France 5, je vais commencer ici un fil sur la question du tombeau de l'abbé de l'Epée qui a soulevé d'importants débats au cours du XIXe siècle. Voici ce qui devrait intéresser @lebizarreum1

Donc, le 23 décembre 1789, l'abbé de l'Epée, de son vrai nom complet Charles-Michel de l'Epée, né le 24 novembre 1712, meurt à 77 ans, après s'être consacré aux enfants sourds depuis 1760. #histoiresilencieusedessourds

A ce moment-là, c'était une célébrité. De nos jours, les médias en auraient consacré des minutes de reportage. Mais, cela survient à un moment de révolutions. 14 juillet était déjà passé !

Dans ce contexte troublé, où la société traditionnelle des ordres est balayée. Conservateur, digne représentant de l'ancienne France, janséniste donc opposant, il est également le pur produit de l'esprit des Lumières. C'est donc un homme très complexe.

Ainsi, il meurt dans sa maison, située sur la rue des Moulins, démolie lors des travaux du percement de l'avenue de l'Opéra. Des plaques en conservent la mémoire du lieu depuis 1889 lors du 1er congrès international des sourds. Visible à l'entrée de la rue Thérèse.

Deux jours plus tard, est organisé son enterrement. Son cercueil est placé dans l'église de St Roch, l'église du quartier où sont également enterrés Le Nôtre, ou encore Diderot. C'est une église de premier plan, dont la construction a été inaugurée par Louis XIV !

Donc, il est enterré dans le caveau de la famille Le Roche, nom de l'épouse de son frère, située dans la chapelle St Nicolas.

La cérémonie qui a accompagné cet enterrement a été grandiose, bien plus que ne l'aurait voulu l'abbé. De grandes personnalités comme La Fayette, Champion de Cicé et bien d'autres sont venus lui rendre hommage.

Donc son corps est descendu dans le caveau, dans un cercueil de bois et de plomb comme c'est ainsi à l'époque. Et c'est ce plomb qui va causer d'énormes ennuis aux occupants de l'église quelques années plus tard....

Ainsi, en 1793-1794, l'église est transformée en un atelier de fabrication de munitions. Où trouver ce plomb ? Ben, dans les tombeaux, pardi ! Ainsi, on les récupère, en laissant de côté les restes. Puis, le 13 vendémiaire, Bonaparte fait bombarder les royalistes réfugiés dedans!

Donc, seulement 4 ans après sa mort, le corps de l'abbé de l'Epée s'est trouvé sorti de son cercueil. Cependant, je m'interroge sur l'état de ce corps après 4 ans dans une boîte de plomb, sachant que celui de Louis XIV était bien conservé, ou encore Louise de Quengo en 2015 !

Cela devrait être un cadavre en putréfication qui en serait sorti. Donc, ce qui se passe ensuite est ignoré, vu que le statut de l'église est aussi troublée jusqu'à la Restauration...

En. 1834, Ferdinand Berthier, éminent militant sourd, à cette époque, jeune professeur, s'interroge sur le devenir du corps de l'abbé. Il a écrit un ouvrage en 1840 sur l'histoire des sourds : biusante.parisdescartes.fr/histoire/medic…

Face à l'absence d'information, et au fait que cette figure est quasiment oubliée en 1840, Berthier se décide de se mettre en quête de sa tombe.

Donc, dans son second livre, en 1853, il décrit les étapes de sa quête, ses recherches dans les archives etc... books.google.fr/books?id=tDcBA…é+de+l%27epée+tombe&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjVycCD76XsAhUU4OAKHbXuBQ8Q6AEwAHoECAEQAg#v=onepage&q=berthier%20abbé%20de%20l'epée%20tombe&f=false

Ce qui est intéressant, c'est qu'en 1840, la famille de l'abbé n'existe plus, et les témoins de son enterrement sont quasiment tous morts. Que faire ? Berthier a publié dans la presse une demande de témoins de cet enterrement. Cela lui a permis de retrouver de ...

des personnes qui ont travaillé avec l'abbé en gardant des enfants, en les instruisant avec lui : "Elle nous apprit que c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps de l'abbé de l'Epée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à aucun d'autres".

Donc, c'est séparé d'autres serait ce corps ? Mystère et boule de gomme... Car elle assure qu'une messe en son mémoire est toujours assuré dans la chapelle... Afin de vérifier, Berthier se rend à l'église et questionne le gardien de l'époque qui confirme l'emplacement.

Donc, "vite, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur ! Il n'y a pas un instant à perdre!". Berthier et ses compagnons vont donc ouvrir le sol de la chapelle : "la pierre qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus ..."

Ce n'est pas du tout à l'indiana jones ! J'imagine mal Berthier fuir la boule de pierre !

" et les premiers ossements ont été découverts". A ces mots, on voit que les corps ont été tout simplement posés sur le sol du caveau. Berthier n'en dit pas plus à cette page. Dans un journal du 6 juin 1838, c'est écrit : Plus de cercueil de plomb ! De la poussière et quelques os

Ensuite, après avoir réuni une commission, on décide de revenir dans le caveau le 21 juin 1838. On y creusa la terre (on y apprend donc que le sol du caveau est en terre), et on y retrouve d'autres ossements et d'autres débris de vêtements.

"Il ne nous paraissait plus douteux qu'un eccesiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Epée ?" gros doutes... on demande donc à la seule témoin en vie d'avoir vue l'abbé dans son cercueil.

Il est écrit : "Elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir appartenu au vénérable instituteur".. Un procès-verbal est donc écrit selon ses déclarations (on ne retrouve pas ce PV à ce jour...) et Berthier prit un morceau d'étoffe comme relique.

Ensuite, on réunit une commission pour décider de faire quoi que ce soit du tombeau, et les discussions tournent essentiellement dans la création d'un monument en son honneur au-dessus du caveau.

Mais, Berthier ne dit mot de ce qui advient vraiment des squelettes dans le caveau. Sont-ils laissés sur place ? Quel est leur état ? Etc... Cela a alimenté un débat à la Belle Epoque, où certains crient à l'imposture, disant que Berthier aurait été abusé.

Par sa volonté de retrouver sa tombe, Berthier aurait pris ses voeux pour de la réalité. Cependant, d'autres comme Henri Gaillard ont expliqué que Berthier a fait ce qu'il a pu, et que probablement, les restes de l'abbé y est, mêlés à d'autres : gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt…

On voit la phrase "ossements et débris, à l'exception de quelques fragments que les témoins emportèrent comme reliques, furent renfouis, et le caveau fut refermé." Il n'a donc jamais été rouvert depuis ce 23 juin 1838.
Que sont donc devenus ces reliques ? Nul ne le fait.

Berthier a déclaré en 1853 que le fragment de tissus ne le quitte jamais. Il est donc probable qu'il soit enterré avec lui dans le cimetière de Sagy, en Bourgogne, où il y est toujours.

V'la ce court fil sur la tombe de l'abbé de l'Epée, et son monument, construit en 1840.

Bonne nuit !