C'est parti pour le LiveTweet !

Pascal Ferry reçoit Hervé Le Crosnier, enseignant chercheur à Caen, fondateur de la maison d'édition C&F @hervelc pour parler traçage numérique et données personnelles dans le cadre du festival #Numok2020
P. Ferry : Aujourd'hui, les informations que nous livrons sur Internet sont depuis longtemps exploitées, et nous savons (Bernard. E. Harcourt etc.), que nous sommes porteurs d'un désir d'exposition : un désir de servitude toute volontaire qui nous expose cette servitude numérique
Quel est l'historique de nos navigations ?
H. LeCrosnier : Le numérique tend à remplacer nos relations de présence directe, mais en même temps n'en a pas la qualité et nous le sentons spécialement en cette période.
L'ambiguité de Google et des GAFAM est la tension entre l'espace public et l'espace privé.
Dans cet espace cryptopublic qu'est Facebook par exemple, la trace que nous y laissons n'appartient qu'à Facebook : là est le paradoxe !
Pour qu'il y ait une communication sociale, il faut que l'intermédiaire ne regarde pas le contenu de la communication (le facteur ne lit pas le courrier !). L'individu garde une part de lui à sa libre disposition.
Gmail lit-il notre courrier ? Non, mais il lit nos métadonnées : à qui nous écrivons ? combien de fois ? à quel sujet ? Autant d'informations exploitables qui, par leur quantité, finissent par nous désigner : QUI nous sommes, et ce qui nous caractérise.
Qqpart, on peut donc, grâce au big data (méthodes statistiques), nous retrouver. Ca c'est ce qui se passe entre le prestataire de communication et nous.
MAIS : un tiers peut intercepter les contenus de nos communications, par décision de justice par exemple. Mais cela pose pb à partir du moment où les services de renseignement vont surveiller l'ensemble de la population : c'est une activité illicite.
J'aime à parler de "médias sociaux" : les réseaux sociaux ce sont notre vie, notre famille, les cercles relationnels dans lesquels nous nous inscrivons.
Or, le média social constitue un point central de surveillance collectant des données sur nous mais ne les recommuniquant pas -> le média social s'en sert pour nous envoyer des informations de son choix : publicité, sélection de ce qui apparait à la une.
Le rôle d'un média social n'est pas de nous dire quoi penser, mais de nous dire à quoi il faut penser.
Cela a forcément un impact sur le mental des gens : d'après des études, la manière de ne pas être déprimé par le média social est d'y être actif, d'y participer. Mais cela a le désavantage de nous transformer en cobaye.
En 2014, le personnel de Facebook a étudié l'impact de la contagion émotionnelle engendrée par ce média social et a pu s'appuyer sur des études internes pour aller démarcher des entrepreneurs.
Depuis que cette étude a été publiée, on va constamment vers des tentatives d'amélioration de cette contagion émotionnelle, dans le but de faire réagir les gens, de mieux les cibler, de susciter leur engagement.
On va donc proposer des choses qui gardent captifs les gens, mais aussi des choses qui favorisent leur engagement sur le média : contenu salace, défis absurdes, controverses et mensonges, fake news.
"Behaviours of Users Modified, and Made into an Empire for Rent." (Jaron Lanier)
On a un problème qui s'appelle l'Industrie de l'Influence, qui contribue à faire de nous des profils. C'est un rêve de publicitaire.
Le client est celui qui paye : le média social se développe donc au service du client. Quel prix devrions-nous payer pour avoir la paix ?
Problème : on a un marchandage, gratuité = publicité. Mais ce n'est pas nouveau. La réalité est la construction d'industries dont la valeur principale émane de la captation des traces.
Nous subissons du ciblage très précis et cela a pour conséquence la baisse du coût de la surveillance de masse. Qui a besoin d'une surveillance peu chère ? Les Etats, notamment démocratiques (cf la situation actuelle aux USA).
Comment nous traque-t-on ?
- Les trackers (les cookies) : mais présence de tiers cookies (d'où tentative de mise en place d'une règle d'e-privacy qui a subi de fortes oppositions de la part des industries de l'influence)
"Prétendre que votre droit à une sphère privée n'est pas important parce que vous n'avez rien à cacher, n'est rien d'autre que de dire que la liberté d'expression n'est pas essentielle, car vous n'avez rien à dire." (Edward Snowden)
Comment s'y opposer ?
- L'humour
- La construction de communs (Wikipédia, OpenStreetMap...) qui puisse servir à toutes et tous
- La contribution à de nouveaux services en qui nous ayons confiance, des services qui ne tracent pas (Contributopia)
- La simplification de la circulation des informations au travers de licences Creative Commons.

Mais soyons réalistes, cela ne suffira pas à nous rendre notre vie privée.
On pourrait imaginer des modèles de la régulation : RGPD, e-privacy (décapité en partie)...
Des lois de sécurité globale vont ceci dit à l'inverse des objectifs d'une loi de protection des citoyens.
Le deuxième modèle de la régulation est le marché : application de lois anti-monopoles.
Un autre pôle est la manière dont le code définit les usages : nudge, incitation informatique via l'interface usager.
Comment les Etats peuvent-ils faire face à ces grands hébergeurs de données ? L'administration a-t-elle accès à leurs serveurs ?
Hervé Le Crosnier répond à P. Ferry que les Etats pourraient théoriquement nous protéger s'ils étaient des Etats sociaux.
L'Etat devient au service des entreprises si possible nationales, car leur développement va compenser le manque d'engagement de l'Etat social.
Mais tous les Etats auj se vivent comme en guerre, ce qui introduit la 'nécessité' de la surveillance des populations et une sorte de capitulation face au devoir de protection des données.
Par ex : on a des données de santé massives, qu'on veut rendre libres pour permettre la recherche, c'est donc un projet collectif de société, MAIS Microsoft est le seul à être capable d'héberger de telles masses de données. On est donc dépendant.
P. Ferry : est-ce que la régulation n'a pas ouvert la voie pour s'insérer, être une protection supplémentaire, entre l'usager et ces producteurs de données ?
Hervé le Crosnier : RGPD a été qqch que j'ai défendu, mais il a été détourné par les entreprises.
Il faut donc aller beaucoup plus loin. Rappelons également l'existence de la CNIL, organisme indépendant de l'Etat, mais qui ne suffit pas.
On a remplacé cette logique du projet collectif par des logiques individuelles et individualistes qui viennent à primer.
A notre échelle individuelle, ce qu'on peut tenter de développer est la cryptographie : l'idée qu'au lieu d'envoyer en clair nos messages, il faut les chiffrer. Pour reconstruire les messages à partir de la version chiffrée, il faut mettre en oeuvre un gros travail de calcul.
Il n'y a pas de marché de la donnée : c'est contraire aux droits humains. De plus, les données que je laisse, je ne sais pas ce qu'elles sont au fond, puisqu'elles vont être scrutées et reconstituées par d'autres entités.
P. Ferry : Quels effets sur les jeunes de l'intériorisation de ce regard omniprésent sur leur vie privée ? Y-a-t-il des études à ce sujet ?
H. Le Crosnier : Il y a certainement des études. D'une part, je pense que les adolescents ne savent pas, ne sont pas conscients qu'on regarde derrière leur épaule. On ne s'est pas posé la question des effets des technologies sur les enfants (ex caméra dans les crèches)
Cela dit la sociologie des usages montre que nous ne sommes pas si naïfs que cela.
P. Ferry : Cette activité de reconstitution des vies est extrêmement lucrative : les Etats s'y intéressent-ils ?
HLC : Les individus ne veulent pas être tracés, mais les Etats ne font rien car ils disent que ce serait l'apocalypse, qu'on n'aurait plus les moyens d'assumer le développement de l'économie numérique. Cpdt, récemment un travail a montré que la qualité des données est médiocre.
Le jour où les annonceurs s'en rendront compte, la bulle des données éclatera et on aura un certain effondrement.
P. Ferry : au fond, sommes-nous si rétifs à ce traçage ? Le désir d'exposition de soi fait partie de nos modes de relation sociale, et nous incite à une sorte de censure par rapport à l'usage de ces données.
H. Le Crosnier : La question n'est pas tant dans le contenu que dans les intermédiaires et l'usage de nos contenus. Mais que les gens s'exposent, ce n'est pas très grave : c'est la vie ! Il faut juste être vigilant que ce ne soit pas utilisé par d'autres.
La société civile est porteuse de potentialités fortes, la Quadrature du Net par exemple suit les évolutions en la matière, et il faut s'investir dans cet intérêt pour ces questions.
"Le droit fondamental, c'est qu'on me fiche la paix."
Sur ces bonnes paroles, clôture de ce LiveTweet ! Merci à toutes celles et ceux qui nous ont suivi et à bientôt pour un futur #NumokLive
#Numok2020

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