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21 Nov, 39 tweets, 6 min read
Une brève histoire... LA SUITE en thread👇🏾
Après avoir vaincu la circulation et la chaleur suffocante, Paulelle et Gnilane arrivèrent au rond-point de Liberté 6. Leur première escapade fût infructueuse. Elles étaient entrées dans une boutique où les trois quarts des produits annoncés étaient «finis» selon la vendeuse.
Celle-ci, légèrement dépigmentée - on le devinait en observant la noirceur de ses phalanges sur ses doigts clairs - avait répondu avec nonchalance à chacune de leurs questions, confortablement installée dans un petit fauteuil, les yeux rivés sur une vieille télé accrochée au mur.
Les deux amies étaient ressorties de la petite boutique un peu contrariées par l’attitude désinvolte de la vendeuse.
Pour éviter de multiplier de telles déconvenues, elles décidèrent de se séparer momentanément.
Cette opération devait les aider à mieux explorer les recoins de ce marché qui était rapidement devenu très populaire. Il était issu de la sédentarisation de quelques marchands ambulants qui vendaient leurs pacotilles aux automobilistes bloqués dans les embouteillages.
Il y en avait souvent sur ce rond-point où se rencontraient pas moins de 14 voies et des centaines de voitures aux heures de pointe; aménagement urbain singulier qui faisait dire aux mauvaises langues que toutes les voies ne menaient pas à Rome mais bien à Liberté 6.
D’abord embryonnaire, le marché était né naturellement et avant d’étaler ses tentacules tout autour du rond-point. Sa présence créa une nouvelle catégorie temporelle, celle du provisoire-permanent.
Non officiel mais réel, pas tout à fait installé mais déjà utilisé comme repère, informel mais taxé par les autorités locales, le marché du rond-point de Liberté 6 était un espace unique, un lieu fait de contradictions insurmontables.
Voitures, poules, mendiants, acheteurs, policiers, cuisinières, trafiquants, pickpockets et honnêtes commerçants s’y disputaient quotidiennement chaque mètre carré.
Des vendeurs de lingerie exposaient leur marchandise à côté des étals de plantes médicinales. Les produits cosmétiques bas de gamme, prisés par les jeunes femmes des couches modestes y pullulaient, importés depuis le Nigéria, l’Inde ou la Turquie.
Ils donnaient ainsi aux bonnes, aux étudiantes précaires et aux maîtresses de maison sous-éduquées leur part de cette mondialisation qui leur voulait du bien en leur apportant un nouveau teint à bas prix.
On y croisait également des enfants-talibés marchant pieds-nus, eux sur qui l’indifférence de tous ruisselait comme la pluie sur un sol imperméable.
Constamment aggressés par les rayons du soleil, ces enfants à la tête crasseuse, aux abcès purulents et aux pieds sales restaient à l’affut de la moindre pièce que pouvait leur jeter un bon samaritain voulant se donner bonne conscience.
Tout ce beau monde allait et venait, vaquait et marchandait, criait ou priait dans un concert incompréhensible de bruits et de sons. Excroissance tout à fait fidèle de l’imposant marché voisin de Grand-Yoff, celui du « rond-point 6 » avait ce brin d’anarchie et de folie en plus.
Alors qu’elle marchandait auprès d’un jeune commerçant pour acheter quelques bijoux, Paulelle fût attirée par l’odeur qui s’échappait d’un petit kiosque situé à quelques mètres d’elle. Il était occupé par une dame d’un certain âge.
Elle vendait de l’encens, ce matériau dont les milles et unes odeurs pouvaient embaumer des nuits ou, manifestement, créer des enclaves parfumées dans les marchés insalubres. Là où les mouches se reproduisent en masse et les gargottes déversent l’eau huileuse de leur vaisselle.
Paullèle mit fin à son marchandage tout en promettant de revenir. Ce petit mensonge convenu mais élégant chez les Sénégalais laissait l’honneur sauf à l’acheteur potentiel tout en ménageant la suceptibilité du vendeur.
L’odeur de l’encens l’attirait de manière irrésistible. Elle se dirigea vers ce petit kiosque dont l’extérieur était tapissé d’autocollants faisant la promotion de produits éclaircissants, de systèmes de transfert d’argent et d’hommes politiques en quête de notoriété.
- Bonjour Tata, ça sent bon par ici, dit Paulelle en s’approchant du kiosque. C’est du gowé ou du ... ?
- Du pur gowé ma fille, rétorqua la vendeuse. Il vient du Mali.
- Je n’ai jamais senti quelque chose d’aussi envoûtant. Et pourtant ma mère adore l’encens. Il y en a souvent à la maison.
- Tous les encens sentent bons, reprit la vendeuse en mélangeant d’autres essences. Mais leur effet sur nous dépend souvent de nos émotions...
Etonnée par cette phrase qui s’emblait s’adresser à elle en particulier, Paullèle resta silencieuse pendant quelques secondes. Ce que remarqua la vendeuse qui l’interpela à nouveau.
- Tu as l’air pensive ma fille. On dirait que tu as des soucis.
- Non, non, je vais bien, se défendit Paullèle.
- Oui tu m’as l’air brave et pieuse, dit la vendeuse d’une voix douce. La tristesse que tu supportes est juste trop lourde pour tes jeunes épaules.
A ce moment précis Paullèle fut envahie par la peur. Qui était donc cette dame pour dire qu’elle était triste ? Brave ? Pieuse ?
Elle eut envie que Gnilane fut à ses côtés pour la sortir de cette discussion inconfortable. Elle afficha néanmoins un calme de façade pour éviter de nouvelles remarques de la vendeuse, puis lui dit :
- Ah Tata, on est passé du gowé à ma tristesse ! Tu es comme ça avec toutes tes clientes ?
- Je m’excuse de t’avoir offensée ma fille, dit la vendeuse. Je voulais juste aider.
- Merci. Le gowé me suffira. J’en veux pour 3000 francs, répondit séchement Paullèle.
La vendeuse souleva un sac d’encens et en tira un autre qui était soigneusement dissimulé et entouré de film plastique. C’était la réserve de gowé. Elle ouvrit délicatement le sac d’où s’échappait désormais une odeur qui envahissait davantage les abords du kiosque.
Cette odeur, se dit Paullèle, ressemblait à celle que sa mère portait sur elle et sur ses boubous lorsqu’elle se rendait à un mariage ou un baptème.
-Tata Ngissali tu vas nous tuer, s’écria une voix. Ton gowé là, y en a pas deux, il sent trop bon ! Dès que tu l’ouvres son odeur imprègne mes habits. Et quand je rentre à la maison ma femme me demande tout le temps si je suis passé chez ma maîtresse. Alors que j’en ai même pas !
Ces mots d’un jeune vendeur de friperies qui arrivaient d’Europe par conteneurs entiers firent éclater de rire clients et vendeurs. Poursuivant ses gestes méthodiques, la vendeuse Ngissali lui dit d’une voie gaie :
- Toi Cheikhouna, va raconter tes histoires à ta femme et laisse moi tranquille. Tu crois que je ne te vois pas causer souvent avec la bonne qui vient ici toutes les semaines acheter de l’encens pour sa patronne ? Tu lui as même déjà donné des habits, je t’ai vu.
Les rires reprirent de plus belle. Paullèle s’était laissée prendre au jeu de ce dialogue par cantines interposées comme il y en a souvent dans les marchés dakarois. On y venait pour acheter des habits, des gris-gris ou de l’encens mais aussi pour profiter de ces moments de vie.
- Oh Tata, Khadija ferait tourner la tête de n’importe quel homme, reprit Cheikhouna, avouant presque sa culpabilité.
- Mon frère, on dirait que ta femme sent l’encens de Tata mais aussi le coup que tu vas lui faire, dit Paullèle en riant.
- Bilaay j’aime ma femme mais Khadija je pourrais lui donner mon arrivage d’habits tout entier, elle est magnifique. Quelle beauté straordinaire !
- Ah ça c’est vrai, dit un jeune vendeur ambulant de café. Je l’ai vue deux fois Khadija mais elle est trop belle, au nom de Dieu !
- Toi vends moi du café et arrête de rêver, réagit Cheikhouna, un brin jaloux. Tu crois que Khadija va te suivre pour que tu la soûles de ton café qui donne mal à la tête !
-Je m’en fiche de ton avis ! Diallo Picc a commencé par vendre de petits oiseaux non ? Il s’en est plus que bien sorti au final. Donc mon café là, j’y crois ! D’ailleurs tu me dois 300 francs, espèce de dragueur.
-Boy, vends moi du café, je te paierai tout ce que je te dois après
Laissant les jeunes débattre sur la réussite, le café et la fidélité, Tata Ngissali, comme tous l’appelait affectueusement, prit un pot de confiture recyclé pour mesurer la quantité de gowé qu’elle devait vendre à sa cliente.
Elle en remplit trois pots, les reversa à chaque fois dans un sac avant d’en rajouter une dernière poignée. Cet ultime geste offrant un surplus au client était courant dans les marchés. C’était un geste venu des temps anciens, un geste dont on pensait qu’il pouvait bénir la vente
- Merci Tata, fit Paullèle en prenant possession du sac d’encens. S’il tient ses promesses, je reviendrai en prendre in shaa Allah.
- Tu n’en trouveras pas deux comme celui-ci. On se reverra sans doute. Que Dieu te bénisse ma fille.
- Amin et merci Tata. Quant à toi Cheikhouna, arrête de regarder Khadija sinon je te dénonce à ta femme !
- Ne t’inquiète pas, pour l’instant je la laisse à Boy Café le futur millionnaire, dit-il.

FIN
Ko gassi, muñ leen, imaginez la suite lol et merci pour vos encouragements.

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