Petite histoire du soir. Ça se passe à Paris, rue de Belleville, tout en haut sur la colline, entre Jourdain et Pelleport. Sur le pas de la porte d’un restaurant abandonné aux murs tagués et collés d’affiches, vit un type nommé Brahim.
Qu’il vente, qu’il pleuve, Brahim est toujours là, engoncé dans ses couvertures, sous ses strates de vêtements, le regard souvent perdu au loin. Tout le monde le connaît dans le quartier. J’ignore son histoire. Je sais qu’il a 42 ans, qu’il est échoué ici depuis 4 ans.
La semaine dernière, Brahim a disparu. Le petit radeau de bric et de broc qu’il s’était construit pour survivre aussi. Volatilisé. C’était étrange de passer ici sans le voir. Peut-être avait-il enfin accepté un hébergement d’urgence ?
Le lendemain de sa disparition, quelqu’un a affiché une sourate du Coran sur la porte du restaurant. D’autres passants ont allumé des petites bougies là où il vivait. Un autel de fortune pour une vie de misère. Brahim était donc mort dans la rue. A 42 ans.
Le soir, de petites grappes de gens se sont formées devant l’autel, on a parlé de Brahim, de sa présence silencieuse, il ne faisait jamais la manche. Tout le monde était triste, choqué. Il était là hier, il n’est plus là aujourd’hui. On se sent impuissant, coupable, ridicule.
Le lendemain, d’autres gens ont allumé d’autres bougies, d’autres petits attroupements, d’autres silences en sa mémoire : deux jours de deuil de quartier pour Brahim, c’est pas Maradona, mais quand même, j’en connais des plus à l’aise dans leur appart qui auront moins.
Et puis le troisième jour, Brahim a fait mieux que Maradona. Il a fait comme Jésus. Il n’est pas mort. Je suis passé devant l’entrée du resto abandonné. Plus de bougie. Un message à la place avec une photo de Brahim dans un lit d’hôpital posé par le Collectif Les morts de la rue.
« Mesdames, messieurs, je suis à l’hôpital pour me soigner. Comme vous le constater sur cette photo, je suis en vie. J’ai appris que vous vous êtes manifestés à l’endroit où je vivais, je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à mon égard et vous salue. Merci à tous. »
Une autre affiche, plus parisienne, moins chaleureuse, signée par des habitants de l’immeuble, disait en d’autres mots plus protocolaires, ceci : « Et arrêtez avec vos bougies de merde, vous allez foutre le feu à notre immeuble bordel. »
Voilà, ça sonne un peu comme un conte de Noël, mais c'est bien vrai. Longue vie à Brahim.

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13 Nov
La pandémie fait de nous des victimes passives forcées d'apprendre la patience devant un mal arbitraire venu de nulle part. Ces histoires de complots font de leurs promoteurs des hérauts, muent les victimes en acteurs debout et incrédules. (1/4)
C'est peut-être pour ça qu'elles attirent tant de gens ? A l'incertitude scientifique, aux tâtonnements politiques, à la lenteur virale, on préfère les certitudes offertes par une manipulation qui identifie une cause, un dessein, et on se lève contre ça, on agit. (2/4)
Dès lors la pandémie a un sens et c'est plus facile puisqu'un ennemi est défini. Au reste, la peur de se faire couillonner est légitime. Les affaires, les manipulations bien réelles mises au jour par le passé ont sapé la confiance envers les institutions et les médias. (3/4)
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13 Nov
Thread-détente. Je vous ai déjà parlé de mon père, qui s'est fait un jour passer pour un ministre. J'aimerais vous raconter une brève anecdote sur ma très chère mère, qui n'est pas en reste question bamboche, mais dans un autre genre. Russe.
Ça se passe début septembre 1996. La plupart d'entre vous joue avec ses crottes de nez. Je vis chez ma mère en banlieue parisienne. Je viens d'achever une maîtrise de droit et réciproquement. J'ai pas envie de devenir juriste. J'attends les résultats du concours de l'ESJ Lille.
J'ai 85 ans, je suis recroquevillé sur moi-même, en PLS intérieure, devant le Minitel. Je rafraichis la page toutes les cinq minutes. Rien. Toujours rien. Rien. Toujours rien. Rien. Toujours rien. Rien.
Read 16 tweets
6 Jul
L’attente du remaniement ministériel me rappelle une histoire que m’a racontée mon père. Elle date d’un autre siècle. L’année du Grand bleu de Besson. 1988. J’étais un ado effronté et mon père, journaliste sportif au JDD.
Le dimanche 8 mai, François Mitterrand est réélu. Chirac donne sa démission. Rocard est nommé Premier ministre. Le gouvernement doit être formé incessamment sous peu.
Comme aujourd’hui, les rédactions attendent. Attendent. Attendent. Mardi, pas de gouvernement. Mercredi, pas de gouvernement. Les journalistes n’ont pas Twitter pour raconter des conneries et tuer le temps, mais ils ont un meilleur jouet : le monde réel.
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19 Apr
Voilà un an, j'ai vécu pendant six mois dans un meublé au deuxième étage d'une maison claire plantée sur une rue pavée à Télégraphe. L'appartement d'une vieille dame affaiblie, partie dans un Ehpad. J'ai vécu dans ses objets, dans ce qu'elle avait accumulé au fil du temps.
Je n'ai jamais croisé cette dame. Mais je connais son goût pour les brocantes, les tableaux, les oeufs de toutes les tailles, les objets d'art, je connais ses disques vinyles de Rachmaninov et Julien Clerc, ses photos, sa jeunesse, sa beauté, ses romans, un peu son histoire.
Celle d'une petite fille juive de Belleville sauvée du nazisme dans des circonstances que m'a racontées sa cousine, ma voisine du dessous, Léna. Les planques, les Justes, la fuite et les cachettes.
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13 Apr
Je viens de boucler une interview de Philippe Klein pour le prochain @ParisMatch. Klein, c'est le docteur français qui a vécu la crise à Wuhan. Il trouve que le discours de Macron est un discours de temporisation dicté par des carences de moyens et de méthode.
Pour Klein, Macron veut freiner l'épidémie au lieu de l'arrêter. Le début des tests systématiques sur les patients à partir du 11/05 ? "Inacceptable d'attendre autant après tant d'efforts déjà".
Il déplore le manque de méthode en France. On devrait identifier, localiser et isoler les patients suspects. On leur dit de rentrer chez eux. Et ils propagent le virus. Sur les 1,5 millions de cas suspects repérés par les généralistes, 15% sont à l'hôpital et 85 % dans la nature.
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6 Apr
L’alarme anti-incendie de mon voisin du dessous crache une douce mélodie psalmodiée : elle est en mode batterie faible. Il est confiné à 400 km de Paris. Ça rajoute un peu de sel à ce confinement parisien dans lequel je commençais à trouver mon petit confort. Au secours.
News : j'ai passé la nuit la tête coincée entre deux oreillers. A 5h du mat', j'ai déchiré mes draps pour tisser une corde, suis descendu en rappel, j'ai cassé la fenêtre au marteau et j'ai arraché le détecteur avec les dents. (Le proprio m'envoie ses clés par la Poste).
Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip bip... Bip bip.
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