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27 Nov, 18 tweets, 4 min read
Très intéressant documentaire diffusé par @ARTEfr, ‘L'Odyssée de l'écriture’, sur l'histoire de l'écriture, en trois parties (1 “Les origines”, 2 “L'Empreinte des civilisations” et 3 “Une nouvelle ère”), visible sur leur site jusqu'au 19 janvier: arte.tv/fr/videos/RC-0… •1/17
J'ai vu la première partie hier, qui est intéressante et très bien expliquée, sur les origines de l'écriture d'une part, et de l'alphabet de l'autre. Mais je n'y ai pas appris grand-chose de plus que ce que je savais déjà. Je n'ai pas encore vu la troisième partie. •2/17
Par contre, j'ai trouvé la deuxième partie absolument fascinante. Elle se penche sur les supports et techniques d'écriture entre l'antiquité et le développement de l'imprimerie à caractères mobiles et sur l'impact que ceux-ci ont eu. J'essaie de résumer: •3/17
J'avais juste l'idée simpliste «livre avant l'imprimerie = extrêmement cher», mais (surprise!) il s'avère que c'est plus subtil. Sous l'antiquité romaine, à partir de la conquête d'Égypte, donc de la disponibilité du papyrus, les rouleaux n'étaient pas si chers que ça. •4/17
Écrire sur papyrus avec un calame va vite (le documentaire montre un calligraphe le faire). Les Romains avaient des librairies qui vendaient des ouvrages pas très cher, et aussi des bibliothèques publiques. La proportion lettrée n'était pas du si faible. •5/17
Mais avec le Moyen-Âge, le support dominant en occident passe du papyrus au parchemin, le mode d'écriture du calame à la plume taillée, et ce support (cher et long à produire) et cet outil rendent difficile d'écrire rapidement. •6/17
Du coup, le livre devient un objet de luxe, richement et artistiquement décoré. Ce n'est pas juste le résultat de ce qu'il n'y avait pas d'imprimerie, mais aussi des spécificités du support. Qui tend à produire une écriture soignée et extrêmement régulière. •7/17
En Chine, le support est le papier, fabriqué à partir de l'écorce de mûrier (Broussonetia papyrifera), écrit au pinceau (écriture calligraphique) ou, depuis les Táng, imprimé par des blocs de bois gravés. Le secret de la fabrication du papier est bien gardé. •8/17
Mais après la bataille de Talas de 751, les ʿAbbāsides obtiennent ce secret. Samarcande devient un haut lieu de la fabrication du papier pour le monde arabe. La technique est un peu améliorée (le support doit être poli pour s'adapter au calame des calligraphes arabes). •9/17
Maintenant, ce que le documentaire souligne, et qui m'a frappé, c'est que ces différences de support et de mode d'écriture, à travers leurs effets sur le style calligraphique, vont avoir un impact dans le développement de l'imprimerie. •10/17
Les caractères du livre occidental médiéval sont extrêmement réguliers, et c'est justement cette caractéristique qui va rendre possible l'imprimerie à caractères mobiles: mieux, c'est considéré comme une caractéristique désirable pour un beau livre! •11/17
Gutenberg peut donc lancer l'impression d'une bible qui reprend le style attendu d'un livre de qualité pour l'époque: la régularité, la similarité, des caractères. Il peut en imprimer beaucoup rapidement. L'entreprise est facilement rentable. •12/17
Au contraire, la calligraphie arabe, éminemment cursive, n'est pas du tout reproductible par la technique du caractère mobile. Les premières tentatives pour importer cette technique dans le monde arabe ou ottoman ont été des échecs: … •13/17
… un psautier imprimé par les occidentaux au début du 16e, et un dictionnaire à Constantinople au début du 18e, mais ils sont de mauvaise qualité typographique et la technique ne rencontre guère de succès. •14/17
Il n'est pas envisageable d'imprimer le Coran avec une qualité aussi mauvaise, or c'est le livre qui aurait été le plus demandé et qui aurait permis de rendre l'entreprise rentable comme Gutenberg l'a fait avec la Bible. •15/17
Et comme on peut penser que l'imprimerie à caractères mobiles a été une condition essentielle au développement scientifique et technique qui a suivi, le support d'écriture (parchemin ou papier), via le style calligraphique qu'il a engendré, a joué un rôle important! •16/17
Voilà ce que j'ai retenu, en espérant ne pas avoir trop déformé (et que le docu lui-même ne soit pas trop simplifié!). Je n'avais jamais pensé à tout ça. Et sinon, ce documentaire, en plus d'être intéressant, est joli par les exemples de calligraphie qui sont montrés. •17/17
Pour la complétude de Twitter, la suite de ce fil (où je parle de la 3e partie) est ici:

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29 Nov
Je viens de regarder l'épisode de la série “Quand l'Histoire fait dates” consacré à la bataille de Talas en 751: arte.tv/fr/videos/0861… — je dois avouer mon inculture (et/ou mon européo-centrisme) en ce que je n'avais pas entendu parler de la bataille de Talas… •1/6
… Du moins jusqu'à la semaine dernière, parce que j'ai appris son importance justement avant-hier, ce qui m'a permis de dire à mon poussinet «quoi? tu ne connaissais pas la bataille de Talas‽ j'en parlais justement avant-hier avec ta mère». 😅 •2/6
Ceci dit, l'importance de la bataille semble un peu disputée. Patrick Boucheron, dans cette émission, en fait une date-clé dans le développement des deux empires musulman et chinois et dans l'histoire de l'Asie centrale, et même dans la conversion des Turcs à l'Islam. •3/6
Read 6 tweets
28 Nov
Je viens de regarder la troisième partie, qui est aussi très intéressante (quoique un peu moins que la deuxième). •1/10
Il y est question des langues qui ont changé d'alphabet, à commencer par le turc, par décision d'Atatürk, mais aussi l'Ouzbek (arabe traditionnellement, puis latinisation à partir de 1928, puis cyrillique à partir de 1940, et maintenant retour à l'alphabet latin). •2/10
Mais aussi des tentatives de latiniser le chinois, avec le «Latinxua Sin Wenz» dans les années 1930 (je n'en avais jamais entendu parler). Par contre, bizarrement, le documentaire parle peu de la simplification des idéogrammes chinois. •3/10
Read 10 tweets
24 Nov
Je trouve détestable la présentation du fil ci-dessous (à répéter «bullshit» et «mensonges» et finir par une photo de chat(‽)), mais le point central est juste et peut-être mal compris: l'espérance de vie a priori des personnes décédées covid est autour de 11 ans. 🧵 •1/22
Je fais régulièrement un calcul de l'âge moyen de décès et de l'espérance de vie moyenne des personnes décédées du covid en France depuis le début de l'épidémie, et actuellement je trouve: âge moyen 80.8 ans, espérance de vie moyenne 11.1 ans. •2/22
(Petits caractères: calcul sur la base de la répartition par âge et par sexe des décès hospitaliers publiées sur Géodes et de tableaux d'espérance de vie par âge et par sexe. J'interpole par des fonctions continues affines par morceaux. Détails ⤵️ •3/22
Read 22 tweets
24 Nov
This is maybe worth underlining: epidemiologists care about the logarithmic derivative of the number of cases (or deaths, whatever), because it measures epidemic growth, whereas ordinary people care about the ordinary derivative, because it measures the risk to them. •1/8
(The logarithmic derivative isn't quite the same thing as the effective reproduction number — there's also the question of the serial interval — but the two are quite connected, see thread below.) •2/8
The logarithmic derivative z′/z makes sense to look at because, during an exponential growth phase z ∝ exp(k·t), it's constant (k; while the ordinary derivative z' too grows exponentially): it measures relative growth per unit time, and tells us how the epidemic develops. •3/8
Read 8 tweets
23 Nov
OK, maybe this is a stupid question… Why are there a gazillion inspirational motorcycle videos on YouTube, set to the music of ‘In The End’ by Linkin Park, and having the title “This is why we ride” (which confusingly is the name of a different song by a different band)?
Maybe this one started it (it has over 19M views, which I understand is a large number) and the others are copycats? I have no idea.
I mean, there's nothing in the lyrics of ‘In The End’ which suggests any particular connection with riding motorcycles or with the phrase “This is why we ride”. So why so many videos with this exact title and set to this exact piece of music?
Read 4 tweets
21 Nov
The case of a population whose susceptibility follows an exponential distribution is particularly interesting to compare with the classical SIR case (which assumes a fixed, i.e. Dirac δ distributed) susceptibility: ⤵️
(The exponential distribution is the particular case where the shape parameter k is 1 of the Γ distribution mentioned in the above-quoted tweet. The Γ distribution on susceptibility has the nice and natural property that it remains of like kind as the population gets infected.)
‣ In the classical case (fixed susceptibility) SIR model, the herd immunity threshold is 1 − 1/R (where R is the basic reproduction number) and the (unmitigated) final attack rate is 1 + W(−R·exp(−R))/R (where W is Lambert's transcendental function).
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