Thread by @Pierreschneider

Quelques arguments sur les matières à enseigner dans le tronc commun d'un lycée, et pourquoi PowerPoint ne me semble pas stupide a priori. (1/7653235)

L'instruction publique a pour but de donner à l'élève *qui en est capable* les facultés nécessaires pour devenir un homme libre et vertueux, et un citoyen responsable. Libre = instruit, connaissant le monde et la place qu'il y occupe, raisonnable et capable de communiquer.

Le début de cette instruction, tout le monde le connaît, c'est lire, écrire, compter. C'est le rôle du primaire et, de plus en plus, semble-t-il, du collège, hélas.

Le vrai rôle du collège devrait être d'augmenter l'instruction, en profondeur (donc français et maths) comme en largeur, par l'ajout de matières qui contribuent à la culture générale.

Le collège est le lieu où l'on apprend les frises chronologiques, les éléments d'une fleur, les caractéristiques du climat continental, la liste des films de Tarkovski (non j'déconne), bref tout ce qui servira de base quinze ans plus tard aux conversations de machine à café.

A la sortie du collège, l’élève est donc censé être instruit pleinement, et connaissant le monde et sa place, quoi que de manière esquissée seulement.

Le collège apprend suffisamment ce qui doit rester quand on a tout oublié. Le lycée va ailleurs et, à mon avis, son objectif est d'apprendre à raisonner, à démontrer, à construire et expliquer un point de vue, à analyser, bref le lycée est l'endroit des idées.

C'est donc au lycée que l'on doit devenir un peu le professionnel de chaque matière, un peu historien, un peu mathématicien, un peu biologiste. Je n'évoque pas l'enseignement des langues vivantes ni le sport, deux désastres qui mériteraient un fil à part.

(et je réserverai mon ire quant au dessin industriel en prépa à des temps plus cléments. Mais sérieusement, çe sert à quoi?)

Le lycéen doit quitter le lycée en sachant : abstraire, extraire les idées, identifier leur articulation, éprouver le raisonnement, le nuancer ou le réfuter, construire et communiquer ses propres idées pour atteindre une fin donnée (convaincre, présenter, expliquer, questionner)

Il doit donc comprendre ce qui se dit et réagir de façon à être compris.

Certaines matières se prêtent à cet apprentissage du raisonnement par le biais d'analyses (de documents, d'expériences, d'œuvres) et enrichissent à la fois la pratique des idées et la culture. Exemples : histoire, biologie, latin etc.

D'autres ont directement pour objet la formation du raisonnement : les maths, la philo, le français. C'est la raison pour laquelle ces matières devraient être les reines du lycée, se trouver dans le tronc commun et, dans le cas de la philo, s'y trouver bien avant la terminale.

Quelles sont les défauts de la situation actuelle? Tout d'abord que le collège sert de classe de fin d'études pour beaucoup trop de monde. Cela se répercute : on entre inculte au lycée, et apparemment on ne sait toujours pas raisonner à la fac.

Les matières qui sont un prétexte au raisonnement, et qui n'existent au lycée que pour cela et pour préparer un éventuel débouché professionnel, sont trop abondantes. Il y a trop d'histoire, de géo, de sciences naturelles, de chimie, de physique…

…et trop de langues, dont l'inutilité est manifestée par le simple fait que personne ne parle anglais correctement à la sortie du lycée. Malgré sept ans à trois heures par semaine.

Il y a aussi des carences. A quelques exceptions près, aucun enseignement n'apprend à tenir une maison, un budget. Les "leçons de choses" n'ont pas eu de remplacement et c'est très dommage.

A part quelques filières spécialisées, je crois qu'aucun bachelier non plus ne comprend le système politique et administratif de la France et de l'Union. Aucun bachelier ne sait ni ce qu'est un vase d'expansion, ni le tiers-payant. Aucun bachelier n'a fait de droit.

Mais la carence la plus *énorme*, à part le défaut de maîtrise d'une langue étrangère, c'est qu'on n'enseigne nulle part à exprimer ses idées, à communiquer. Oh le vilain gros mot de la startup nation pleine de web designers. Et pourtant.

Exprimer ses idées au lycée se fait uniquement par l'écrit dans des exercices de dissertation que même les professeurs semblent avoir du mal à maîtriser. Demandez-leur de vous expliquer ce qu'est la fameuse "problématique", vous ne serez pas déçus.

Par contre, exprimer ses idées à l'intention d'une autre personne qu'un correcteur, PERSONNE ne l'enseigne JAMAIS au lycée et c'est une faute. Dans la vie, quand on mobilise des idées, c'est d'abord à l'oral. Communiquer clairement, cela s'apprend.

Et j'en viens donc à Powerpoint et plus généralement aux exposés et aux présentations qui sont un élément essentiel de la vie d'un adulte pour faire passer des messages. Quand j'étais petit on appelait ça "discours", c'était un truc d'adulte, long et chiant. Ca n'a pas changé.

Les "discours" ou les "présentations" sont prodigieusement chiants précisément parce qu'on n'apprend pas à en faire, à aucun moment. C'est pourtant un exercice difficile qui aurait sa place dans le cursus, puisque c'est l'exercice redoutable de la synthèse.

Dans d'autres pays, on apprend cela. Regardez les Américains, ils adorent les discours, ils en mettent dans leurs films, partout. En cinq minutes ils ont attiré votre attention, vous ont fait rire, vous ont convaincu de faire quelque chose.

Le lycée devrait nous faire parcourir la distance qui sépare un bon discours des horreurs de comices agricoles pleines de "euh" et sans aucun fond. Appelez ça cours de Powerpoint ou pas; mais autant le fond d'un discours que la forme dépendent de la maitrise de techniques.

En France on n'apprend pas ces techniques, et, non, improviser une dissertation à l'oral, ce n'est pas pareil.

Il y devrait donc y avoir des cours apprenant à mettre en forme, vite et bien, les idées sous-tendant l'exposition d'un "message" ; et des cours sur la manière de "délivrer" ce message.

La synthèse est un art difficile et la posséder au lycée est sans doute illusoire; mais les techniques pour communiquer, elles, sont faciles à maîtriser. Ce sont mes "cours de Powerpoint" en tant que tels; si on en avait, les Powerpoints qu'on connaît ne seraient pas si nuls.

Les bases des bases de la présentation ne sont pas maîtrisées en France. Un support visuel s'organise; l'attention d'un public se focalise. Idéalement le regard doit suivre des trajets simples sur un support visuel. Rien de cela n'est connu.

Et sans même parler de "slides", un discours se structure, un public s'éprouve, un orateur est tenu à certaines règles. Rien de cela n'est connu; pour l'apprendre il faut consacrer ses soirées à un club, ou son portefeuille à un consultant onéreux.

Voilà pourquoi je pense que le tronc commun du lycée doit inclure français, philo et maths, et que les "leçons de Powerpoint" qui ont chatouillé l'un ou l'autre ne sont pas une blague mais une nécessité.

Sans maîtrise de l'art de la communication, rien de ce que le lycéen a appris ne peut sortir efficacement. C'est fort dommage et cela devrait mobiliser les énarques de service au Ministere bien plus que l'apprentissage du "codage"

C'est d'autant plus important que des grilles d'évaluation qui circulent périodiquement sur twitter ont intégré l'aspect "communication" (l'attitude, l'intonation, le volume sonore et d'autres choses encore) alors que ces techniques ne sont pas, à ma connaissance, enseignées.

The end. J’ai faim.