"Mme ****, je vous laisse. A. vient vous parler. Il va falloir tenir. Vous allez peut-être avoir envie de craquer, mais il va falloir tenir. J'ai besoin que vous teniez".
On ne peut pas vivre seulement de la détestation de Blanquer. Aujourd'hui je vous raconte une histoire.
(Sa biographie l'indique, son icône le suggère, différentes personnes écrivent sur ce compte - c'est dit).
Cette histoire remonte aux années 80. J'étais jeune prof. Je discutais fin septembre avec mon proviseur de l'époque, dans la cour du lycée. Il s'appelait M., voulait qu'on l'appelle M., mais appelait toutes les profs Madame. On s'entendait bien. Je l'aimais beaucoup.
Parfois, au détour d'une phrase, les yeux de M. s'embuaient de larmes : il avait perdu sa femme d'un cancer 6 mois avant.
Puis on a vu de l'autre côté de la cour A., une de mes élèves de Terminale, qui marchait vers nous.
Tout à coup, M. s'est raidi et il a dit :
Mme ****, je vous laisse. A. vient vous parler. Il va falloir tenir. Vous allez peut-être avoir envie de craquer, mais il va falloir tenir. J'ai besoin que vous teniez".
Il est parti. A. est arrivée.
A. avait 18 ans et était sportive de haut niveau. Elle venait m'annoncer qu'elle avait un cancer, et que les médecins n'étaient pas optimistes.
Dix fois dans la conversation, j'ai failli craquer. Dix fois je me suis souvenu : il va falloir tenir. J'ai besoin que vous teniez.
À un moment, je lui ai demandé si je pouvais faire quelque chose pour elle.
"A., la seule chose dont j'ai envie, c'est d'avoir le Bac".
Je m'appelle A. aussi.
A. était une élève moyenne, très moyenne. À l'époque, la marche du Bac était plus haute qu'aujourd'hui. Être mourante n'aidait pas. Elle a commencé à 11. À la fin du premier trimestre, elle était à 8. Au milieu du second, à 6.
Elle avait commencé à 75kg. Elle en était à 55.
Alors on a commencé du soutien, elle et moi, puis des cours particuliers. De plus en plus souvent. Malgré les séjours à l'hôpital, malgré la chimiothérapie, elle a un peu remonté la pente. Ses notes ont commencé à s'améliorer.
Pas son état de santé.
Parfois elle perdait la mémoire. Parfois ses cheveux. J'ai failli pleurer pendant un exercice sur les rotations.
Moi, pas elle.
Elle n'a jamais lâché, jamais abandonné, jamais craqué.
Moi ?
"Il va falloir tenir. Vous allez peut-être avoir envie de craquer, mais il va falloir tenir. J'ai besoin que vous teniez".
Alors j'ai tenu.
En 30 ans de préparation de Bac, je n'ai jamais attendu de résultats avec plus d'anxiété que les siens.
Résultats des écrits : 8 et quelques poussières. Elle pouvait passer l'oral de rattrapage mais on était encore très loin du compte.
C'est alors que j'ai été convoquée par M.
Nous étions 3 dans son bureau. Les gens de la maison devineront qui était la troisième personne, je n'en dis pas plus, c'est la seule que l'on pourrait encore éventuellement identifier. M. m'a demandé de fermer la porte.
"Mme ****, je vais vous dire quelque chose. Si vous n'êtes pas d'accord, vous partez. Si vous êtes d'accord, vous restez. Dans les deux cas, cela ne sortira pas d'ici. Vous avez compris ?"
J'avais compris.
"Mme ****, nous allons truquer l'épreuve orale du Bac".
Je suis restée.
M. et la troisième personne s'arrangerait pour que A. ne tombe pas sur un examinateur au hasard. Cet examinateur n'allait pas l'interroger sur un sujet au hasard. Charge à moi de la préparer pour ce sujet.
Pendant la préparation de l'oral, A. et moi avons travaillé ensemble presque quotidiennement. Elle devait peser 45kg maintenant et ses yeux se creusaient dans ses orbites. Quelques jours avant, je lui ai dit que j'avais une intuition, qu'on allait bien bosser sur un exo type.
Au début, ça ne passait pas vraiment. On y a passé trois demi-journées. Ça passait. Même en changeant les paramètres numériques, l'ordre des questions ou l'agencement précis du problème, ça passait.
Je l'attendais hors de l'établissement le jour de l'épreuve. Quand elle est sortie, elle est tombée dans mes bras.
"A., tu ne devineras jamais sur quoi c'est tombé... Tu ne devineras jamais sur quoi c'est tombé..."
Pour la première fois, elle a pleuré.
Grâce à un 18 à l'oral de rattrapage, elle a eu son Bac. Une semaine après les résultats, elle est entrée à l'hôpital.
A. est décédée moins de 3 semaines plus tard.
Quand tout a été terminé, je suis retournée voir M. Je lui ai demandé comment il avait su, en septembre. Ses yeux se sont embués à nouveau et il m'a répondu.
"Mme ****, depuis 2 ans je sais reconnaître quand quelqu'un vient pour vous parler de sa mort".
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Pendant l'auto-confinement de fin d'année (les vacances de Noël) si vous voulez découvrir une chouette série à suspens, je vous conseille The Exponential, saison 3 (sur Netflix). Comme j'ai déjà vu les deux premières saisons, je vous fais un résumé.
En gros, au début les personnages principaux sont confrontés à un phénomène vaguement inquiétant qui suit ce que l'on appelle une "exponential growth", rapidement dans leurs bouches, cela devient juste The Exponential (d'où le titre).
Au début, le truc ne fait pas trop peur.
Il faut dire que ça a l'air de pas trop bouger. Ils nous font le coup du scientifique en blouse blanche qui rassure tout le monde. On sort des graphiques tout plat et les personnages vont au théâtre avec leurs femmes et réservent leurs vacances comme si de rien n'était.
C'est fou comme ce message agit comme un test de Rorschach. Qu'ai-je fait ? J'ai copié le site officiel d'un établissement privé catholique parisien bien connu en remplaçant les termes chrétiens par un équivalent musulman.
"vous participez à coup sûr au projet de l'islam radicale"
Donc citer le site d'un établissement catholique, c'est laisser entendre que les autorités discriminent les musulmans, donc participer à l'Islam radical. Très bien.
"Oui mais les Musulmans tuent des gens".
J'ai failli répondre que les Catholiques agressent des enfants, mais je me suis dit à quoi bon ? Et puis voilà que le lycée Suleyman débarque dans l'actualité.
Dans les limites générales de la loi et en gardant l'intérêt supérieur de l'enfant comme principe, je suis pour accorder aux parents une grande latitude a priori dans l'éducation qu'ils choisissent pour leurs enfants, y compris dans la transmission de principes religieux.
La France est laïque. La République doit donc montrer à l'égard de ces convictions religieuses, quelles qu'elles soient, une indifférence polie. Je n'ai donc pas de problème a priori avec l'existence ni du lycée Suleyman, ni du lycée Stanislas.
Alerte radicalisation : je viens d'identifier un établissement scolaire parisien dont le site officiel ne laisse aucune ambiguïté. Voyons plutôt :
Suleyman est un établissement musulman d’éducation dont la principale mission demeure de diffuser la parole du Prophète à travers
la vie scolaire et quotidienne. Le Prophète, véritable éducateur, est au centre de la vie de l’École, afin de permettre à chacun de viser sa propre progression et perfection. Tout homme et tout l’homme est concerné par ce chemin vers le walîy.
Durant tout leur parcours au lycée, l’enseignement de la parole du Prophète, assuré par les imams, est obligatoire pour toutes les classes. Les cinq prières quotidiennes permettent de vivre un cœur à cœur avec Allah.
Une session sur la construction de la personnalité est
Au hasard du fil ci-dessous, je suis tombé sur une construction intéressante.
Une curiosité de la théorie des groupes finis est que tous les automorphismes du groupe symétrique Sn sur n éléments sont intérieurs sauf pour n=6, et S_6 a exactement un automorphisme extérieur. 1/9
Étant très inculte en théorie des groupes, j'ignorais comment construire l'automorphisme extérieur (non-intérieur serait plus précis) non trivial de S_6. Il se trouve qu'il y a une construction géométrique assez intuitive (quoique profonde) à partir de l'icosaèdre. La voici.
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Considérons un icosaèdre régulier et numérotons ses 12 sommets avec les entiers de 1 à 6 de sorte que les sommets opposés aient le même indice. Aux isométries de l'icosaèdre près, il y a 12 manières différentes de réaliser une telle numérotation.
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Si je comprends bien le Garde des Sceaux réfléchi à une loi liberticide pour traiter les violences que la police laisse perdurer lors des manifestations contre la loi liberticide actuellement en discussion. amp.lefigaro.fr/flash-actu/vio…
Laquelle loi contient notamment un article empêchant la diffusion des violences policières perpétrées lors des manifestations contre l'avant-dernière loi liberticide.
Si l'on en croit l'expérience de la loi Avia, la nouvelle loi liberticide sera également l'occasion de tenter de réintroduire les articles anticonstitutionnels de la loi actuelle, ou peut-être de celle d'avant. On verra, les articles anticonstitutionnels ne manquent pas.