Il y a des années, cabinet d'instruction, jour de confrontation. Dossier de viol dénoncé par une jeune femme contre un ex compagnon. Selon elle il lui a infligé un rapport sexuel d'une grande brutalité pour la "punir" de le quitter. Il nie, depuis le début.
J'ai entendu cette jeune femme, qui était en pleurs, très chamboulée, comme devant les gendarmes auparavant, comme devant l'expert psychologue qui l'a examinée et diagnostiquée comme souffrant d'un sévère "syndrome post traumatique".
Elle a déposé plainte plusieurs mois après les faits allégués, qui auraient eu lieu en extérieur. Le procureur m'a saisie de toute évidence au vu du caractère massif du syndrome post traumatique et son cortège habituel de symptômes, troubles du sommeil, troubles alimentaires...
réviviscences, crises d'angoisse, repli sur soi... A la lecture du dossier on constate aussi qu'on n'a pas envie de faire connaissance avec le mis en cause, qui a précisé en garde-à-vue "au vu de mon physique, vous pensez vraiment que j'ai besoin de forcer qui que ce soit?"
Il a d'ailleurs répété ces propos lors de l'interrogatoire de première comparution à l'issue duquel je l'ai mis en examen. Commission rogatoire, expertises... Et le passage obligé, d'ailleurs réclamé par la défense, que je n'ai aucun motif pour refuser : la confrontation.
J'ai d'autant moins de raisons de refuser cette expertise que devant l'expert psychologue la partie civile a affirmé vouloir voir en face son agresseur et comment il oserait nier : l'expert a indiqué qu'elle pouvait gérer ce moment, j'ai donc convoqué madame et monsieur.
Il y a 1 hic. Elle ignore que je le sais, mais elle ment.Le lieu des faits était sous vidéo surveillance, et s'ils se sont vus ce jour là, il n'y a rien eu de sexuel. On peut observer (sans le son) une conversation tendue, 1 tentative de geste tendre de sa part à elle, éconduite.
Des témoins l'ont vue juste après, elle n'est donc pas rentrée directement chez elle comme elle l'affirme, et elle n'était pas effondrée mais en colère de son infidélité et son manque de respect. Moult autres éléments, sans ambiguïté, le démontrent : elle ment.
Je voulais le lui faire savoir lors d'1 2ème audition en "tête à tête" mais elle n'a pas honoré ma convocation & m'a fait savoir par son avocat de directement passer à la case confrontation,car elle a 1 vie professionnelle ne lui permettant pas de se libérer aussi souvent. Soit.
On se retrouve donc la, elle, lui, leurs conseils, ma greffière, & moi. Il est méprisant, tient des propos d'1 mufflerie rare. Elle est effondrée, pleure énormément, proteste lorsqu'il la traite de menteuse. Après avoir de nouveau recueilli leurs versions...Je déroule.
Je déroule l'ensemble des éléments recueillis par les enquêteurs en charge de ma commission rogatoire, qui ont tout fouiné, démontrant qu'elle ment. Elle m'accuse en pleurs de "pas la croire", mais n'explique aucun de ces éléments. Il se rengorge, je le fais taire sèchement.
J'essaye de savoir comment elle en est venue là, pas de réponse : aucune explication pouvant me démontrer que je me trompe (ça aurait été compliqué tant les éléments à décharge sont légion), rien. Elle finit par quitter mon bureau, en pleurs toujours, et en colère.
Je serai saisie d'un réquisitoire supplétif contre elle des chefs de dénonciation calomnieuse et dénonciation de crime imaginaire et elle sera condamnée pour ces 2 infractions. Il bénéficiera d'un non lieu.
Les "victimes" mentent parfois, par méchanceté, vengeance, dépit, ou pour ne pas avoir à révéler qui ou ce qui leur a vraiment fait mal, plein de raisons avouables ou pas, compréhensibles ou pas...
Se fier aux seuls sanglots qui secouaient cette jeune femme quand elle racontait son calvaire aurait pu mener la justice à commettre une grave erreur. Méfions nous toujours des apparences, et de nos croyances!
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Petite rétrospective, cette anecdote remonte à des années!!
Aujourd'hui je suis un peu stressée. Je suis juge d'instruction depuis quelques semaines & aujourd'hui j'entends pour la première fois une victime de 8 ans. Elle a dénoncé des faits de viols, & son père est en détention.
Il nie, mais le dossier comporte des éléments solides contre lui et il a été incarcéré par le JLD, saisi par mon prédécesseur, qui n'a entendu ni le mis en examen au fond ni la petite Olivia. Je le fais donc, elle est convoquée avec son avocate, que j'apprécie beaucoup.
Avant l'audition je m'entretiens avec cette dernière, qui m'indique qu'Olivia est stressée, a pas bien dormi, & pas voulu manger ce matin. Elle me dit qu'Olivia n'est pas à l'aise avec les inconnus, & encore moins avec la proximité des gens. Je note de rester derrière mon bureau.
Peu avant Noël, comparution immédiate. Dimitri est littéralement affalé sur la barre. Il se montre vaguement intéressé par ce qui se passe, il est pourtant le principal concerné : il est prévenu. Âge réel, 18 ans et 15 jours. Age ressenti... 15 ans.
Je connais Dimitri depuis quelques mois déjà, il a été placé par un juge des enfants de fort fort lointain, pour l'éloigner de sa "problématique familiale", comme son dossier le dit avec pudeur. Sa problématique familiale c'est 1 maman qui l'a eu très jeune, trop tôt, et seule.
Elle a commencé à l'élever, tant bien que mal. Mais elle a ses soucis, la solitude... qu'elle noie dans l'alcool. Puis les stup. Dimitri est alors tout petit, les services sociaux sont alertés et notent des problèmes de développement de l'enfant : il n'est pas assez stimulé.
Ils etaient jeunes. Lui à la barre des prévenus, devant le tribunal correctionnel, en comparution immédiate pour violences conjugales. Elle sur le banc des parties civiles, malgré elle. Le regard noir, braqué sur moi.
Elle a expliqué au tribunal n'être victime de RIEN. Elle a décrit ce complot familial visant a l'éloigner d'un amoureux pas bien accepté. Elle a affirmé haut et fort n'avoir pas reçu de coup, JAMAIS, que tout ça n'etait qu'inventions et mensonges.
Le président a montré les photos, de cocards, de bleus, de morsures, prises par la famille quand, épuisée et sanglotante, elle se refugiait parmi ses proches, où elle racontait les passages à tabac, les côtes cassées, les hurlements, ce huis clos abject...
Aujourd'hui mes amis a la demande de l'1 d'entre vous, le procureur & la protection de l'enfance. C'est un rôle important, qui me tient à coeur car je suis depuis fort fort longtemps un parquetier mineurs, avec des pauses, mais en gardant toujours un attrait pour cette matière.
Le parquet a en matière d'enfance une triple casquette. Il dirige les enquêtes visant des infractions commises au préjudice de mineurs : atteintes sexuelles, violences physiques ou psychologiques, défaut de scolarisation, privation de soins, mises en danger...
Quand c'est possible il travaille avec des enquêteurs spécialisés. Les enquêteurs sont de plus en plus formés à l'audition des mineurs, qui est un exercice particulièrement difficile (vécu à l'instruction, je peux en témoigner!)
Je voudrais pouvoir expliquer moi même aux victimes dont je classe les plaintes POURQUOI. Mais je n'ai pas le temps.
Je voudrais pouvoir autoriser toutes les réquisitions que me demandent mes OPJ, pour chercher la vérité.
Mais je n'ai pas les fonds.
Je voudrais pouvoir renvoyer tous les crimes aux assises.
Mais pas assez de sessions.
Je voudrais ne pas juger au TPE des mineurs devenus majeurs depuis deux ans, et pères de famille.
Mais mes JE fatiguent.
Je voudrais ne pas baisser les yeux face à cette victime de violences sexuelles au tribunal face à son agresseur 3 ans après sa plainte.
Mais mes JI fatiguent aussi.
Je voudrais ne pas entendre la voix tendue comme un arc de cette greffière épuisée, que je sens près de craquer
Aujourd'hui mes amis, la star du tribunal correctionnel : elle met les parquetiers en speed,les enquêteurs en émoi, les juges en mode grognon, elle faut grincer les avocats...Je vous présente sous vos yeux émerveillés la comparution immédiate! Son petit surnom : la compa, ou CI.
Petit auditeur qui veut faire le foufou en faisant 1 CI TU TE CALMES. Ce n'est possible que pour les délits, & pas tous : il faut 1 peine encourue d'au moins 6 mois d'emprisonnement en cas d'enquête de flagrance (faits très récents pour simplifier), 2 ans dans les autres cas.
La CI ne concerne que les mis en cause qui sont en garde-à-vue. Le procureur de permanence va décider, au vu des antécédents du mis en cause et/ou de la gravité des faits, de le faire juger le jour même, ou à la prochaine audience du tribunal correctionnel.