Quand je parle des études en détention, on me dit souvent que les personnes détenues n'ont que ça à faire, que ça doit être trop bien d'avoir tout ce temps libre pour progresser. Petite liste des difficultés qu'on rencontre quand on cherche à faire des études en prison. ⬇️
-L'accès aux cours : il n'y a pas assez de profs pour toutes les personnes détenues (là avec le virus c'est encore plus limité). L'offre est limitée. Pour le sup c'est de l'enseignement à distance. Ca peut être assez difficile de se procurer les cours et les livres.
-Je ne parle même pas de l'accès à Internet, quasi impossible ou un ordi, très difficile. Or de plus en plus les cours renvoient vers des sources Internet, demandent de remplir des docs et exercice en ligne, d'écouter des confs, de regarder des vidéos...
-On essaie de trouver des solutions parfois rocambolesques pour pallier ça, par ex mettre la vidéo sur la play d'un autre détenu qui la prête au détenu étudiant. Ou je me tape des heures de conf sur lesquelles je prends des notes pour pouvoir transmettre un support écrit.
C'est du bricolage, ça ne règle pas le problème des cours dont la validation doit être faite en ligne ou par ordinateur (traitement de texte par ex). Pour ça on n'a pas de solution à part essayer de négocier un aménagement (et ça ne marche pas toujours)
-Certaines facs à distance ont des délais abusés. Par exemple en ce début d'année scolaire on a entendu pratiquement trois mois pour avoir les cours, alors que c'étaient les mêmes que l'année dernière. C'était d'ailleurs marqué 2019-2020, la date n'avait même pas été mise à jour.
-Les journées sont remplies par des horaires non négociables. Le travail (qui souvent se chevauche avec l'école), mais aussi les promenades, les visites. Si vous voulez vous concentrer sur votre travail scolaire, il faut sacrifier autre chose
-Le manque d'argent pour certaines personnes (sachant que le travail en prison est très mal rémunéré). Rien qu'avoir les livres au programme peut coûter très cher.On essaie de se débrouiller, par exemple en créant un compte une bibliothèque extérieure, mais c'est tjs du bricolage
-Le manque de disponibilité mentale. On ne l'imagine pas, mais bcp de personnes détenues ne savent pas combien de temps exactement elles vont rester (même si le jugement a eu lieu, il y a toujours les demandes de conditionnelles, etc). C'est dur de se projeter et de s'organiser.
-Avant d'être jugé·e, la préparation du procès est prenante mentalement. Si on est en détention provisoire,on ne sait pas si elle va être renouvelée ou non. Après le procès il faut encaisser le choc, et préparer un programme de sortie, de réinsertion, demander des conditionnelles
-Paradoxalement, d'un point de vue scolaire, pour nous les profs, c'est donc beaucoup plus facile et reposant de travailler avec de (très) longues peines. Parce que ce sont les seuls cas on a un peu de stabilité (et donc de projections).
-Autre difficulté: le bruit. C'est infernal quelquefois le bruit en détention, les barreaux qui sont testés, les gens qui hurlent pour communiquer d'un bâtiment à l'autre ou qui hurlent tout court... Difficile de se concentrer sur ces études dans un tel contexte.
-Les tensions. Ca peut être impossible de mener des études si on est à plusieurs en cellule avec d'autres qui n'ont pas le même rythme.
Et tout simplement dans la vie quotidienne, il y a les conflits, les menaces, etc.
Des fois certains arrivent en cours tremblants ou dévastés. Quelquefois il y a des tensions dues spécifiquement aux études, quand on reproche à certaines personnes détenues étudiantes de "se la jouer", de se croire supérieures, d'être intellos
-Honnêtement, les études peuvent aussi aller avec certains privilèges, et une meilleure considération (de la part de l'Administration Pénitentiaire). Les détenus en études sup sont souvent aussi les auxis de la bibliothèque qui ont des privilèges en termes de déplacement
-Mais de fait faire des études en prison relève trop souvent du parcours du combattant. L'école est dans les faits un privilège et non un droit, et le virus n'a fait qu'exacerber cette situation (depuis le 2e confinement, on a le droit aux cours individuels seulement).
.@RobinCamenzind2 si tu veux rajouter quelque chose?
Points qui ont été rajoutés dans les commentaires et qui sont très justes: la petite taille et le manque d'équipement des salles de cours ou des bibliothèques (avec plein de cassettes VHS, super utiles). La difficulté d'y accéder quelquefois (décuplée par le virus)
La quasi impossibilité de faire des stages, ce qui est demandé dans de +en+ de formations. Idem pour les enquêtes. Dans quasi ttes les 1ères années de licence, on exige un projet professionnel avec un entretien. En prison, qui interviewer à part un·e prof ou un·e surveillant?
La grande difficulté à établir des sociabilités étudiantes. C'est très compliqué (les tensions, les difficultés de déplacement, le faible nombre de personnes qui font des études) d'avoir des échanges, des travaux à plusieurs, de l'entraide, etc...
J'oubliais une chose: dépendance totale aux autres. Si pour un·e détenu·e ça se passe mal avec le centre scolaire, le ou la surveillante qui gère les déplacements vers la salle de cours, c'est mort. Si ces personnes le ou la soutiennent ça peut bcp aider. C'est très arbitraire.
Si vous voulez une référence universitaire sur la question, il y a le très bon livre de F. Salane "Être étudiant en prison. L'évasion par le haut" (le livre ne parle que des personnes qui font des études sup mais fait un bon point sur l'école et l'éducation en général en prison)
Et je voudrais pour finir rendre hommage à quelques supers profs en détention. C'est auprès d'elles et d'eux que j'ai le plus appris, et que je continue à apprendre. Je sais qu'elles et ils peuvent changer la vie de personnes détenues. Certains se reconnaîtront sur twitwi 😉

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6 Feb
L'écriture inclusive, c'est quoi? Pourquoi le débat s'est-il focalisé sur le point médian et pas sur d'autres formes plus en usage? Est-elle plus excluante qu'incluante? Est-ce qu'elle permet vraiment de penser l'égalité?
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5 Feb
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Déjà que ne donner la parole qu'à des détractrices et détracteurs c'est un peu limite,sans signaler que ces personnes appartiennent toutes (sauf erreur de ma part) à Vigilance universités aussi, j'espère au moins qu'il y a eu enquête et pas juste propos rapportés @arretsurimages
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23 Jan
Très bonne surprise que la lecture de cet ouvrage de Gisèle Sapiro "Peut-on dissocier l'oeuvre de l'auteur" @EditionsduSeuil Sapiro commence par une vraie réflexion conceptuelle qui permet d'aborder de manière éclairée et renseignée de nombreux cas (Céline, Maurras, Matzneff,etc) Image
Vraiment, ce livre a un équilibre bien pensé: il est à la fois très renseigné et nuancé (Sapiro est spécialise de la question des rapports entre littérature et politique, elle a beaucoup écrit sur le sujet) et très lisible (il est court, écrit dans une langue très claire). Image
J'avais écouté certaines émissions radios qui m'avaient fait craindre que ce soit purement descriptif (on passe en revue une série de cas et finalement on ne sait pas trop quoi en penser). Ce n'est vraiment pas le cas. Je le conseille vraiment.
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3 Dec 20
Fil sur un concept du sociologue Max Weber qui est souvent compris (et utilisé) de manière erronée : celui de "neutralité axiologique", qu'on comprend souvent de manière suivante: l'intellectuel (ou le prof) ne doit pas s'engager.
Or ce n'est pas ça que dit Weber. Explications ⬇️ Image
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Weber dit qu’il y a deux domaines complètement séparés d’un point de vue logique : les jugements de faits et jugements de valeur. (Il reprend ça à Kant et aux néo-kantiens type Rickert cc @Uneheuredepeine 😉)
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