Mais bon, c'est pas tout ça, mais on avait dit qu'on allait parler de pigeons non ? Alors là normalement, j'ai 99% de gens qui font une moue dubitative parce que vous pensez à ça ⬇️
📷 Diego Delso
Pourtant, il est pas si moche non ? Mais ok, je suis un peu d'accord avec vous, il est gris, il a pas toujours tous ses doigts aux pattes... Alors je vous emmène dans un coin un peu plus exotique, à la recherche d'autres pigeons. On est parti ? Direction la Nouvelle-Guinée !
Alors pourquoi la Nouvelle-Guinée ? D'abord un peu parce que mon encadrant de thèse @cjytheb est passionné par la région, une des rares qui fait encore rêver l'explorateur et le naturaliste en chacun de nous, où il y a encore sûrement des tas de choses à découvrir.
Notamment les ornitho d'ailleurs, parce que la région est riche en espèces, dont beaucoup présentes seulement ici.
📷 Biodiversitymapping
Ai-je besoin de vous parler des oiseaux de paradis par exemple ?
📷ImageMD
Mais le point de départ de ma thèse, c'est cette carte... Publiée par Mack & Dumbacher dans Birds of Papua en 2007. Si vous la regardez dans son ensemble, l'île de la Nouvelle-Guinée ressemble à un oiseau, avec la tête sur la gauche, le cou, le corps, puis la queue de l'oiseau.
Ils comparent plein de cartes avec les aires de distributions de différentes espèces ou sous-espèces d'oiseaux, et ils constatent que ces aires de distributions ont des points communs. Par exemple, il y en a 23 qui s'arrêtent dans la partie Sud du cou de l'oiseau...
26 dans sa partie Nord, et ainsi de suite. Alors certaines limites s'expliquent facilement : la chaîne de montagne centrale approche les 5000m à son maximum, donc c'est évidemment une barrière pour certaines espèces.
Mais les pigeons dans cette histoire ? Et bien il se trouve qu'il y a 3 ? 4 ? espèces (on sait pas trop) qui ont justement une distribution qui suit ce schéma. Il s'agit des pigeons couronnés (genre Goura). Les plus gros pigeons au monde, taille dinde, 2kg.
📷Staffan Widstrand
Les espèces sont assez similaires, mais n'ont pas toutes la même crête sur la tête, ou pas les plages bordeaux / marron au même endroit suivant la partie de l'île dans laquelle ils habitent.
Il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas. Où s'arrêtent précisément les distributions des unes et des autres espèces (ou sous-espèces ?). Beaucoup de choses sur leur écologie aussi : quand et comment est-ce qu'ils se reproduisent ?
On connaît tout ou presque de leur parasites par contre ! 😅 parce qu'ils sont souvent présents en zoo où ils sont bien étudiés. Mais on perd toutes les infos sur le comportement sauvage.
On sait aussi qu'a priori ils vivent tous à basse altitude, se nourrissent au sol, et sont menacés par la chasse ou la capture pour en faire des oiseaux d'ornement. D'où leur classement vulnérable ou quasi-menacé par l'IUCN.
Mais alors, s'ils vivent à basse altitude, ces parties-là sont présentes en continu tout autour de l'île. Alors pourquoi 3 ou 4 espèces plutôt qu'une seule ? Et pourquoi ces limites d'aire de répartitions à ces endroits précis où il n'y a pas forcément de barrière aujourd'hui ?
Hé bien pour répondre à ces questions, on peut utiliser la génomique ! Oui, le fameux deuxième gros mot d'hier... Alors c'est quoi la génomique ? C'est effectivement pas très loin de la génétique, mais là on va travailler à l'échelle du génome complet !
En tout cas, on ne va plus seulement se focaliser sur un seul gène. Le domaine s'est beaucoup développé avec les technologies de séquençage qui sont apparues dans les années 2000, donc c'est vraiment tout récent (enfin, pas forcément pour nos étudiants qui étaient pas tous nés).
L'idée de ces technologies, c'est réellement d'aller lire l'ADN, la suite des 4 nucléotides différents, et de nous donner un ficher avec pleins de A,T,C ou G, dans l'ordre dans lequel ils ont été lus.
Alors vous allez me dire, il est où le lien avec les pigeons et avec les limites de leurs aires de distributions ? J'avoue ça ne saute pas aux yeux...
Mais vous vous souvenez de nos mutations de ce matin ? On a vu qu'elles arrivaient petit à petit au cours du temps. Donc si on compare deux séquences différentes, on va être capable de compter les différences entre les deux, les mutations qui les séparent.
On va donc aussi être capable de dire si deux séquences se ressemblent beaucoup et ont donc un ancêtre commun récent, ou si elles ne se ressemblent plus tant que ça, et elles ont un ancêtre commun plus ancien !
Et hop, de deux choses l'une ! D'abord on va pouvoir savoir si on a 3 ou 4 espèces, et on va aussi pouvoir savoir quand est-ce qu'elles se sont séparées les unes des autres. Et si par hasard, ça ne correspondrait pas à un événement géologique ou climatique !
Bien, on a à peu près un plan maintenant. Ne reste plus qu'à avoir des échantillons à analyser. Ha oui mais...
La Nouvelle-Guinée c'est grand. Vraiment grand. 2 400 km de long pour 700 km de large. Il faudrait une petite dizaine d'échantillons de chaque espèce, et elles sont évidemment aux 4 extrémités. Et en plus, il y a deux pays.
L'Indonésie, où il faut se rendre sur place pour faire la demande de permis de séjour avec un but scientifique. Permis pas forcément accepté, alors qu'on est prêts à partir. C'est risqué.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les permis sont plus faciles à avoir, mais où tout coûte cher, très cher. Ne regardez pas le prix d'un billet d'avion depuis la France, ça fait peur (et ça a pas dû s'améliorer).
Mais il y a heureusement une solution ! sinon je vous laissais en plan au milieu de l'histoire, c'était quand même dommage... Il y a une solution donc, et ce sont les musées !
📷 Chip Clark, @NMNH
Avec l'amélioration des techniques de séquençage, on est maintenant capable de séquencer des mammouths et des hommes préhistoriques, alors autant profiter des millions de spécimens collectés depuis Darwin et Wallace !
On fait donc appel à plusieurs musées à Paris, Londres, New-York, qui nous envoient la liste de leurs spécimens, et on fait nos courses... En fait non, pas du tout. Il faut négocier parce qu'on va devoir prélever un morceau du spécimen, il y a donc une destruction partielle...
Heureusement pour nous, le morceau dont on a besoin est tout petit (1 mm3), et on préfère le prendre sous les pattes. Pas seulement parce que ça se voit moins, mais aussi parce que pendant longtemps les animaux empaillés ont été traités à l'arsenic.
L'arsenic était utilisé pour éviter les attaques des poils et des plumes par les parasites, donc il n'était pas autant utilisé sur les parties écailleuses des pattes. Or l'arsenic dégrade l'ADN. Donc les pattes nous intéressent !
On obtient finalement un échantillonnage intéressant, avec presque toutes les régions géographiques couvertes. Des échantillons récents, et les plus anciens récoltés sur les ordres de Wallace lui-même ! 🤩
On prépare nos échantillons soigneusement, on les séquence, et c'est parti pour les analyses ! 🧬 -> 💻
Comme ce sont des échantillons anciens pour la plupart, l'ADN a vieilli à l'intérieur. Comme n'importe quelle molécule, il se dégrade avec le temps, et se fragmente en petits morceaux.
En plus, nos oiseaux ne s'étaient pas forcément lavé les pattes, ils ont été stockés pendant des années dans des musées, manipulés à main nue par les conservateurs... Bref, on n'a pas que de l'ADN de pigeon, mais un joyeux mélange.
Et comme on a séquencé tout l'ADN qui provenait de notre échantillon, on a l'ADN qui provient du noyau, mais aussi celui qui vient des mitochondries ! Ces petits compartiments de la cellule impliqués dans la production d'énergie.
Comme il y a plein de mitochondries dans chaque cellule et que l'ADN y est bien protégé, il est beaucoup facile à retrouver à analyser que celui du noyau. On a donc analysé l'ADN de la mitochondrie et aussi celui du noyau.
Parce qu'en plus ils peuvent raconter des histoires différentes ! Comme le chromosome Y qui n'est transmis que de père en fils (chez l'homme), les mitochondries ne sont transmises que depuis la mère (mais à tous les descendants).
Dans notre cas en l'occurrence, on lit la même histoire. Déjà on obtient 4 groupes bien séparés, donc 4 espèces. On a une première réponse !
Ha mais on a aussi une première surprise ! D'après la carte, on pensait que l'espèce en orange et celle en rouge étaient les plus proches, comme celles en bleu et vert. Mais notre arbre ne nous dit pas pareil !
Dans l'arbre c'est l'espèce bleue et rouge d'un côté, et orange et verte de l'autre ! Comment ça s'explique ?
Pour en savoir plus, on va essayer de dater notre arbre. On n'a pas de fossile pour ces espèces, donc pas d'info de ce côté-là. Mais on sait que les mutations arrivent assez régulièrement. Ce n'est pas très précis, mais ça donne une idée.
On se rend compte que notre groupe rouge / bleu s'est séparé du groupe vert / orange il y a environ 5,7 millions d'années. A cette époque-là, la Nouvelle-Guinée commence à sortir de l'eau, et sa cordillère centrale à s'élever.
On a donc probablement une espèce qui était présente quand l'île est apparue et a été séparée en deux par cette montagne infranchissable.
Notre espèce rouge se sépare de la bleue il y a environ 1.9 millions d'années, ce qui correspond à une phase où la tête et le cou de l'oiseau (de l'île hein, pas des pigeons !) ont été séparés par une montée des eaux.
Et finalement, nos espèces verte et orange se sépare aux alentours d'il y a 0.7 million d'années, alors que la cordillère est déjà bien en place. Dans ce cas, il y a probablement un groupe d'une des deux espèces qui a réussi à passer et qui est resté de l'autre côté.
Bilan de notre histoire, on a bien 4 espèces, et les limites entre elles reflètent non pas des barrières actuelles, mais des barrières anciennes ! Et quand (si ?) les espèces se sont retrouvées en contact, elles étaient probablement en compétition et ne sont pas allées plus loin.
Évidemment, ça serait hyper cool d'aller voir sur place, s'il y a effectivement contact et pourquoi pas hybridation ? Mais ça, c'est pour le jour où on croisera la route d'un milliardaire ! 🤞
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Allez, on est reparti ? On va parler de saucisson cet aprem ! Il est où le lien avec les pigeons ? Alors, il n'est pas question de saucisson de pigeon, ni de pigeon faisant les poubelles (bien tenté), mais il va encore être question d'évolution et de génomique.
📷 INRA dist
Le lendemain de ma soutenance de thèse sur les pigeons, je reçois un mail de mon encadrante de master qui a besoin d'un coup de main pour finir un projet. Je comptais prendre des vacances, mais ça se refuse pas, et ça me fait vraiment plaisir d'y retourner !
Le projet se rapproche de ce que j'avais fait en master (les Penicillium roqueforti des fromages à pâte persillée), mais cette fois c'est appliqué aux saucissons ! Des champignons dans les saucissons ? 😲 Oui ! je vous explique !
Hello tout le monde ! J'espère que vous allez bien ! En direct du grand Nord, il fait bien frais ce matin (-22) et ça neigeote. A cette température les flocons sont super fins, et la neige formée hyper légère. On peut mettre un coup de pied dedans presque sans résistance !
J'ai fini ma journée d'hier sur une bonne et une mauvaise nouvelle. Je vais commencer par la mauvaise, mais la bonne arrive après, promis. On commence donc par un petit coup de gueule, mais ça sera pas long et ça ira mieux après (peut-être).
Comme je l'ai dit, je m'intéresse aux oiseaux, donc je suis sur Twitter pas mal d'ornithos (chercheurs ou non) dans le monde entier. Hier, il y a eu pas mal de bruit suite à la description par une victime du viol qu'elle a subi par un ornitho particulièrement médiatique.
Bon, mais assez parlé, on pourrait peut-être rentrer un peu dans le vif du sujet, et parler un peu d'évolution. Vous êtes prêts ? On est partis pour un petit voyage dans le temps, direction fin du 18ème, début du 19ème siècle...
A l'époque, en Europe de l'Ouest, on est persuadé que le monde et toutes les espèces qui l'habitent ont été créées au même moment, par Dieu, et n'ont pas changé depuis. Tout ça il y a en gros 6000 ans.
Oui mais problème, on commence à mettre au jour pas mal de fossiles et ça soulève un peu des questions. Ils ne ressemblent pas forcément à des animaux présents actuellement. Alors quoi ? Ils sont partis vivre dans des endroits inexplorés ? Bizarre...
Hejsan ! Bonjour à tous ! En forme ce matin ? Ici c'est un peu gris (les suédois disent gråtrist : gris triste, et ça résume bien), mais ! c'est fettisdagen aujourd'hui !
Fet/tisdag c'est la traduction littérale de Mardi gras, célébré avant le Carême (qui n'est plus du tout suivi ici) en mangeant le plus gras et riche possible. La spécialité c'est le semla (un semla, des semlor) :
C'est une grosse brioche dense à la cardamome (format boule de pétanque), garnie d'une bonne couche de pâte d'amande, et allégée (si, si, ça allège l'ensemble) par beaucoup de crème fouettée.
Vu les premiers résultats, je vous prépare une petite intro générale pour demain matin. Pour ceux qui ont déjà lu tout Darwin (wahou 30% pour le moment !), je vous préviens quand on aura fini ! Et suivant l'humeur, le temps, on parlera peut-être de pigeons ? 🪶
En attendant, je vais pas trop tarder à décrocher. Être assise toute la journée devant un écran c'est bien, mais quand on n'a même plus à marcher jusqu'au labo, c'est pas top niveau santé ! Alors pour compenser, j'essaye de faire une petite heure de sport tous les soirs.
Ça fait du bien au moral, on décompresse... Et en plus, ça permet une vraie coupure entre la partie "boulot" et "maison", parce que physiquement, la distance est un peu réduite en ce moment ! 😅