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11 Mar, 21 tweets, 4 min read
Il y a fort fort longtemps, un patient avec une pathologie neurologique encore plus incurable que les autres, et avec des douleurs non contrôlées, avait commencé les démarches pour une euthanasie en Suisse.
En ayant parlé assez librement, mes chefs avaient demandé un avis psychiatrique pour "idées suicidaires" et j'avais participé à l'entretien en tant qu'interne.
La psychiatre était à peine plus âgée que moi. Elle était sur la fin de son assistanat.

- pourquoi souhaitez-vous mourir ?
- parce que la médecine ne peut plus rien pour me soulager
- et cela ne vous pose pas de problème avec vos convictions religieuses ?
- non je suis athée
- et vous ne vous êtes pas dit que votre geste pourrait heurter ceux qui en ont ?
- en quoi c'est mon problème ?

Là je suis intervenu en demandant à la psychiatre en quoi ses questions entraîent dans le cadre d'un entretien psychiatrique.

Elle m'a demandé de sortir.
J'ai refusé en lui disant que ses questions me semblaient pas appropriées.

Elle a insisté.

J'ai appelé mon très très grand chef.

Il a écouté la psychiatre, m'a écouté et sans nous parler à l'une ou à l'autre a demandé au patient ce qu'il pensait de ce qui venait de se passer.
Le patient lui a répondu qu'il pensait que la psychiatre était à côté de la plaque et qu'elle le jugeait à l'aune de ses valeurs religieuses plutôt que de chercher à l'aider.
Mon très très grand chef lui a répondu, toujours sans nous regarder ni elle ni moi, qu'il était catholique et neurologue

Après un silence il a ajouté qu'à ce titre il comprenait son choix et qu'il le respectait profondement

Puis il est sorti en nous faisant signe de le suivre
Ceci se passait dans un de ces très vieux CHU avec des bâtiments tortueux et des couloirs interminables surplombant des cours intérieures hors d'âge. Le trajet était long ce qui augmentait le côté très pesant du silence.
Arrivé dans son bureau, plutôt petit, chargé de livres anciens (mon chef n'était pas juste mon très grand chef, c'était aussi un grand chef), il s'assit à son bureau sans nous inviter à en faire autant.
Il a commencé par moi pour me passer un savon, mais sans trop de conviction, en m'expliquant que mon intervention pendant l'entretien entre le patient et la psychiatre a contribué à distandre la relation de confiance qu'elle aurait dû nouer.
Puis il a posé son regard sur ma collègue. Je sais que c'est carricatural de le dire, surtout avec le game sur la froideur des neurologues, mais j'ai rarement vu une expression aussi glaciale.
Je m'attendais les oreilles baissées à une longue leçon de morale sur la déontologie et j'aurais payé cher pour être ailleurs.

Mais en fait il a été très court.
Il lui a dit simplement, qu'il connaissait ses convictions religieuses car il l'avait plusieurs fois croisée à la messe. Et que la seule chose qu'il avait à lui dire c'est que le chemin de l'enfer était pavé de bonnes intentions.
Sur le coup je m'attendais à quelque chose d'un peu plus... Spectaculaire ou grandiloquent ou...je sais pas. Mais pas à un proverbe somme toute assez banal.

Sauf qu'à ce moment là la psychiatre s'est effondrée en pleurs en répétant plusieurs fois qu'elle était désolée.
Sur le coup je n'ai pas très bien compris ce qui s'était passé dans ce bureau et j'avais fini par l'oublier.

Et puis peut-être deux ans plus tard j'ai de nouveau croisé cette psychiatre.
On s'est salués, on a parlé de tout et de rien en se demandant comment on allait sans s'attendre à une réponse de l'autre, et soudain elle m'a demandé si je me souvenais de cette scène dans le bureau du grand grand chef.
J'ai répondu que oui, parce que je m'attendais a ce qu'elle soit fusillée et que sa tête soit exposée sur l'autel de Charcot pour l'exemple.

Et là elle m'a répondu que c'est exactement ce qui s'était passé. Que suite à cet entretien elle avait passé une sale période.
Et qu'elle s'était énormément interrogée sur ses valeurs, son rôle, et le lien entre sa foi et son job.

J'avoue que j'étais un peu gêné par la situation parce que les gens qui me parlent d'eux-mêmes c'est pas trop trop mon truc sauf quand je le connais, ce qui n'était pas le cas
Ça devait se voir sur ma tête, mais elle a insisté en rajoutant, qu'elle tenait à me faire savoir que maintenant elle était en accord avec elle-même et qu'elle avait compris qu'il existait des situations où il n'y avait pas d'alternative éthique à l'euthanasie.
Et comme visiblement je devais faire une tête encore plus bizarre, elle a terminé en me disant qu'elle voulait me remercier parce que sans mon interruption elle aurait peut-être continué à nuire à ses patients.

Et accessoirement elle m'a payé le café.
Cette histoire n'a pas de conclusion. Mais je m'en souviens assez régulièrement quand des médecins, surout des gens comme Leonetti, viennent donner leur avis sur l'euthanasie, en oubliant qui ils doivent servir en tant que soignants.

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12 Mar
À Paris le gouvernement joue au débile en relativisant l'épuisement des soignants, en comptant sur la banalisation de chiffres affolants (plusieurs centaines d'évacuation sanitaire hors de la région capitale) et en multipliant les déclarations creuses (nous sommes vigilants).
L'idée est que la vaccination aidant, le nombre de morts chez les plus âgés n'explose plus, les réa étant pleines de gens plus jeunes.
Pourtant si le gouvernement écoutait ses militaires (puisque nous sommes supposés être en guerre et que notre président n'est plus amusé par les médecins), il saurait que ce qui inflige le plus de dégâts à l'ennemi ce ne sont pas les morts mais les blessés et les invalides.
Read 9 tweets
10 Mar
Ah la la la. Ce moment que j'aime tant où Jean-Raoul MoiJeSuisPasUnDebileCarJeSaisFaireUneRequeteComplexeDansGoogle se rend compte que non seulement tout ce qu'il a cru découvrir au sujet de sa maladie est faux mais qu'en plus les conséquences de ses décisions sont irréversibles.
En fait chez certains, non seulement l'expression "qui fait le malin tombe de le ravin" est exacte, mais en plus ils mériteraient une note artistique pour leurs efforts de chuter avec un prodigieux panache.
Du coup ce matin j'ai eu un bingo en consultation :

- je soigne ma SEP avec du jus de carottes mais maintenant que je suis paraplégique je veux bien un traitement

- je refuse une césarienne et maintenant j'ai des douleurs pelviennes complexes et une incontinence
Read 5 tweets
24 Feb
Mme X est âgée, elle a douleurs articulaires et ne voit pas très bien. Elle était pourtant autonome à domicile jusqu'à présent avant de venir me voir pour que quelqu'un l'aide à gérer ses affaires (elle demande une protection judiciaire).
On discute pour comprendre sa demande car elle n'a pas de troubles cognitifs et fait preuve d'une vivacité d'esprit qu'il est rare de rencontrer à son âge.
Le fond de problème est qu'elle ne s'en sort pas financièrement alors qu'elle a une bonne retraite et qu'elle vit assez modestement. Elle est venue avec ses relevés bancaires, un cahier où elle note ses dépenses, et son dossier médical.
Read 7 tweets
10 Jan
Certains essayent de défendre @MicheleRubirola en expliquant que seuls les imbéciles ne changeant pas d'avis, sa conversion à la vaccination témoigne de l'importance de la pédagogie.

Sauf que non.

.../...
Parce que :

1 elle est medecin
2 elle est élue

Elle illustre avec le cynisme le plus assumé ce que signifie user de son titre et de son mandat pour égarer les gens qui lui font confiance, tout en sachant que le moment venu elle aura elle accès au vaccin avant les autres.
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6 Jan
Chacun va donner son avis, alors voilà le mien (qui n'est qu'un avis).

Dans cet article il est écrit qu'une des raisons pour expliquer notre lenteur est une protocolisation à outrance, qui elle-même serait la conséquence de la volonté des autorités de se protéger.
Mais c'est un peu court

C'est un peut court parce que ça ne dit ni contre quoi les autorités devraient se protéger ni pourquoi

Bien évidemment le sous-entendu est que des patients s'estimant victimes de soins portent plainte et que les acteurs de leurs soins soient sanctionnés
Et on imagine bien qu'au 1er syndrome de Guillain-Barré qui passe après une vaccination (j'ai fait un thread là-dessus pour expliquer pourquoi c'était ET normal qu'il s'en produise ET absurde de ne pas vacciner pour ça) il y'aura des gens pour exiger que le vaccinateur soit pendu
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2 Jan
Résumons la situation
1/malgré un nombre de vaccination important, la Grand-Bretagne panique
2/ l'Allemagne qui a commencé en même temps que nous a vacciné 1000 fois plus que nous
3/ face à cette situation ridiculement tragique @olivierveran qui disait assumer la lenteur...
... assume beaucoup moins en disant que chaque personne qui veut se faire vacciner pourra le faire. En particulier les soignants de plus de 50 ans.

.../...
4/ pas de bol, personne sait comment faire ou où aller, certains découvrant pas hasard suite à un tweet du président de @ordre_medecins @BouetP qu'il est possible de se faire vacciner à l'hôtel dieu à Paris...
5/ ... Qui dément ce soir vacciner les libéraux (sauf @BouetP)

../..
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