Thread by @qffwffq

Tiens une histoire de clinique comme vous l'aimez avec de la bienveillance qui se termine aux urgences.

Madame X est tranquille. Sa vie est tranquille. Elle a environ 50 ans, et vit seule depuis que ses enfants sont partis. Elle a un job qui va bien et un salaire qui va avec.

Mais depuis quelque temps elle a moins la patate. Une sorte de fatigue sans fatigue. Elle se lève le matin sans envie. Son job l'ennuie, ses potes aussi. Elle trouve que tout est fade et sans intérêt réel. D'ailleurs au boulot elle passe de plus en plus de temps à jouer....

...à des jeux sans fin et sans enjeux qui reposent principalement sur du farming (comme animal crossing ou Forge of Empires).

Bon bref ça ressemblerait presque à du bore out.

Dans un premier temps elle consulte sa medecin généraliste qui lui fait un bilan bio de principe qui retrouve rien. Elle lui prescrit malgré tout des vitamines.

Comme ça ne change rien, Madame X fait des recherches sur internet et tombe sur un groupe Facebook qui....

...lui dit que ça peut venir de la thyroïde, du manque de calcium, de l'excès de gluten, du manque de magnésium, de l'excès lactose et de tout un tas de trucs.

Elle modifie son alimentation, retourne voir sa généraliste qui lui fait un bilan hormonal large, et s'achète un truc à la con 32 vitamines et 186 minéraux sur les conseils de son pharmacien...

...sans que rien ne change.

Du coup sur les conseils d'une amie elle va consulter une autre généraliste dans un centre de santé communautaire.

Cette dernière part du principe que le problème de madame X n'est pas médical mais psychologique. Femme + Seule + Job nul* = pas bien.

(*Qui ne l'était pas avant)

Donc pendant plusieurs mois madame X est prise en charge dans le centre de santé communautaire par une psychologue, un APA et même un éducateur (!). Elle participe à des groupes de parole, des activités manuelles, de l'art thérapie, des apéros...

Mais les choses se dégradent. Elle a de moins en moins envie de faire de choses, de sortir, d'interagir. Elle ne veut rien et ne s'en plaint d'ailleurs presque plus.

Son amie, qui ne la voit presque plus non plus, fait part de son inquiétude à la généraliste du centre de santé communautaire. Qui ne fait rien.

Toujours inquiète son amie fini par l'emmener elle-même sans que madame X soit pour ou contre. En fait elle s'en tape. Elle ne va même plus bosser. La généraliste lui explique alors que c'est un symptôme fréquent (!!! J'ai presque poussé un grognement agressif en le lisant) et...

...et que le vrai problème de madame X était son refus de s'impliquer dans toutes les activités géniales de son centre communautaire.

Madame X entend tout ça et culpabilise. Mais comme elle le dit elle même, ce n'était pas vraiment de la culpabilité. Elle n'en avait pas l'émotion qui rend mal à l'aise. C'était une culpabilité abstraite.

Du coup pendant quelques semaines elle se force à participer à nouveau aux activités de groupe. Mais comme elle ne dit jamais rien, qu'elle ne fait jamais rien, et qu'elle ne semble même pas écouter ce qui se passe, elle plombe l'ambiance et se fait dégager.

Et puis un soir, elle appelle son amie en disant qu'elle saigne mais ne comprends pas pourquoi. Elle ne demande pas de l'aide mais un conseil pour nettoyer le sang qui tâche la salle de bain car ça l'embête (ça... l'embête).

Sa pote vient aussitôt. Il y a effectivement du sang dans la baignoire. Mais ça c'est rien. Ce qui lui fait appeler les secours c'est que madame X a la gueule en sang (genre beaucoup).

Les secours arrivent et madame X arrive aux urgences. Le sang vient d'une part d'une belle plaie du scalp, et d'autre part d'une belle morsure de langue (qui est en lambeau). Madame X n'a aucun souvenir de ce qui a pu se passer mais....

... pendant qu'elle se fait examiner, elle a une crise d'épilepsie (ce qui laisse peu de doutes sur ce qui a pu provoquer la chute à domicile).

La crise est brève. Elle cède spontanément avec une phase post critique très courte. Elle n'en garde à nouveau aucun souvenir.

L'examen clinique retrouve par ailleurs une autre anomalie. Ou plutôt un ensemble d'anomalies.

1/ madame X a une marche spastique. Selon son amie, maintenant qu'on lui dit, c'est vrai qu'elle marche comme ça depuis plusieurs mois.
2/ madame X a des réflexes hyper vifs.
3/ madame X ne peut pas s'empêcher d'empoigner tout ce qu'on lui donne.

Et surtout 4/ elle n'en n'a rien, mais alors rien, à taper. Elle est d'une indifférence totale à ce qui est en train de se passer.

Pour ceux qui ne sont pas medecins, madame X a un syndrome fontal et pyramidal archi carricatural. C'est impossible de passer à côté. C'est un truc que n'importe quel externe peut diagnostiquer même après trois nuits blanches et avec une alcoolémie positive.

Le lendemain le médecin du service où elle est hospitalisée contacte la première médecin généraliste qui est toute désolée mais qui est certaine qu'en dehors de l'apathie, aucun des autres symptômes n'était présent.

Il contacte également la deuxième médecin généraliste qui.... comprends pas pourquoi on lui pause des questions. Parce que pour elle l'épilepsie est un phénomène fréquent (oui d'accord mais quand même) et que surtout ça n'explique pas : SON REFUS DE SUIVRE LES ACTIVITÉS HEILHYDRA

elle reconnait même qu'elle avait bien remarqué la marche bizzare, que l'APA lui avait signalé, mais qu'en l'absence de plainte de Mme X elle n'avait pas voulu médicaliser la situation (!).

Par la suite le scan montrera que Mme X avait un volumineux méningiome frontal avec un début d'engagement. La chirurgie est rapide mais compliquée car le lésion était difficile à extraire complètement. Elle en garde des séquelles motrices minimes et une épilepsie qui ne l'est pas

C'est ballot parce que les méningiomes sont des tumeurs bénignes qui lorsqu'elles sont diagnostiquées à temps sont très facilement curable et sans séquelles.

Encore faut-il faire le diagnostic ce qui est parfois difficile MAIS PAS QUAND LES GENS ONT UNE APATHIE MANIFESTE QUE MEME MON CHAT AURAIT PU DIAGNOSTIQUER S'IL S'INTÉRESSAIT À AUTRE CHOSE QUE BOUFFER DU THON.

Et si j'écris en MAJUSCULE c'est que j'ai exactement le même jugement sur ma collègue du centre de santé communautaire qui AURAIT PU TRES FACILEMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC SI ELLE PASSAIT PLUS DE TEMPS À FAIRE DE LA MÉDECINE et moins se prendre pour une assistante sociale.

mais dans cette histoire mon avis n'a pas beaucoup d'importance, contrairement aux séquelles désastreuses sur vie de madame X qui ne manifestait pas assez d'entrain en participant aux activités de groupe.

Post scriptum, de toutes les personnes qui sont intervenues dans le suivi de Mme X, le seul à être venu la voir et essayé de comprendre où ça avait déraillé a été l'APA. Le seul.