Thread by @malopedia

On rappellera utilement que Brutus était le gentil de l'histoire, pas un méchant parricide. Il n'était pas le fils de César, et s'il l'a assassiné, c'est pour tenter de sauver la République romaine d'une dérive autoritaire... 😏
Petit fil.

Le premier indice, c'est qu'ils étaient 23 à l'assassiner, et évidemment, tous n'étaient pas fils de César : il y a donc plus qu'un simple parricide sous cette histoire.

En -44, César est richissime, adulé pour ses conquêtes et ses légions lui sont dévouées. Il a déclenché et gagné une guerre civile contre le Sénat en -49, il est donc consul (chef de l'Etat), dictateur (chef des armées) et grand pontife (dirigeant de l'église) à vie.

A 55 ans, il concentre donc tous les pouvoirs à vie, et la République romaine, née après avoir abattu une Royauté tyrannique 450 ans plus tôt, commence à dangereusement lui ressembler à nouveau.

fr.wikipedia.org/wiki/Royaut%C3…

C'est pas le premier qui est accusé de ça, l'accusation est fréquente à Rome quand quelqu'un commence à trop concentrer les pouvoirs. Mais peu avant lui les ont accumulés comme César, empêchant tout retour à la normale et bouchant l'avenir politique des autres.

C'est dans ce contexte que Brutus et 22 autres décident de le tuer : pour éviter le retour à la monarchie et sauver la République.

Mais du coup, pourquoi on a l'image d'un Brutus parricide, traître absolu ?

Déjà, je sais pas quelle image vous avez de Brutus, mais moi j'avais celle d'Asterix : un post-ado de 23 ans, brute abrutie body buildée, qui n’est aux réunions importantes que parce que c’est le fils du patron. Un bro de fraternité américaine version romaine quoi.

En fait, pas du tout. Déjà, il a 40 ans, soit seulement 15 ans de moins que César, qui n'était pas son père mais l'amant (non marié) de sa mère. César était aussi un mentor : il l'a aidé dans son cursus honorum et l'a pardonné après l'avoir battu pendant la guerre civile.

Brutus, c'est aussi un patricien (un noble) éduqué en lettré, il a fait son cursus honorum, gagné des batailles, administré des territoires et siège au Sénat. Il descend du Brutus tueur de roi qui avait déjà mis à bas la Royauté 450 ans plus tôt, quel symbole.

C’était pas le fiston adoré qui trahit du jour au lendemain pour le fun quoi, mais un homme politique accompli, probablement tiraillé entre son amitié pour César à qui il devait beaucoup, et son devoir moral vis à vis de la République, qu'il a fini par choisir.

Ca n'explique pas pourquoi on le pense le méchant de l'histoire, et pour ça il faut en dérouler la suite.

Dans le testament de César, on découvre qu'il a presque tout légué et surtout adopté Octave, son petit neveu : pratique courante à Rome où les liens légaux étaient autant voire plus importants que les liens biologiques. Pour tous, c'est lui, le fils et l'héritier de César.

Héritier de l'argent, ce qui est déjà pas mal, mais aussi héritier spirituel : légalement, César est son père, et Octave va se servir de l’excuse de la vengeance pour pourchasser ses rivaux (dont Brutus) et nettoyer la scène politique pendant les 15 années qui suivent.

Je simplifie à mort, parce que cette période était un sacré bordel. Les retournements d'alliance entre Marc Antoine (lieutenant de César) et Octave sont légions par exemple.

Après avoir flingué tout le monde, Octave récupère tous les pouvoirs et devient Auguste... mais à l'inverse de César, il garde toutes les apparences de la République : il refuse par exemple le titre de dictateur quand le Sénat veut lui donner.

Plutôt que de concentrer le faste sur lui, il le concentre sur César : il le fait ériger en martyr, le fait nommer père de la patrie, et le fait carrément diviniser (ce qui, opportunément, fait de lui le fils d'un dieu 😎)

C’est dans ce contexte seulement qu’on peut comprendre la réécriture de l'assassinat de César. Brutus, c’est un nom qui est intimement lié à la République romaine, et forcément, pour Auguste qui veut la faire oublier, c'est idéal :

Le schéma de l'ami intime qui assassine son mentor désarmé sur les marches du Sénat (en oubliant qu'ils étaient 23 dans la conjuration), ça fait un exemple caricatural parfait de tous les torts moraux qui ont traversé l'imparfaite République (et dont on ne veut plus, wink wink).

C'est la propagande impériale d'Auguste (menée notamment par l'art par son ministre Mécène, le mot vient de là) qui transformera Brutus le républicain en épitome de la traîtrise, qui a osé assassiner son mentor, le divin Jules César, consul, grand pontife, et père de la patrie.

Donc pourquoi Brutus est vu comme le méchant de l'histoire ? Parce que son camp a perdu. S'ils l'avaient emporté, Brutus et Cassius seraient probablement des modèles moraux aujourd'hui et César oublié (et la suite du monde romain bien différent, et notre présent plus encore).

Donc si vous voulez des traîtres en politique, arrêtez de parler de Brutus.

Parlez, je sais pas moi, de Balladur et Sarkozy trahissant Chirac en 95 par exemple, ou de... Macron trahissant Hollande !

PS : j'ai énormément simplifié, des gens écrivent des thèses sur ce sujet, alors vous vous doutez qu'un fil twitter... Les conjurateurs restaient des politiques militaires tentant de tirer leur épingle dans un régime qui tanguait de plus en plus pour des raisons structurelles.

Certains ont probablement tué César aussi pour dégager la voie plus que par amour de la République. N'empêche que c'est bien la propagande impériale qui a repeint en drame moral manichéen une lutte de pouvoir menée avec des moyens conventionnels pour l'époque (le meurtre, oui).

Et si on s'intéresse à la lutte des classes de l'époque, la popularité de César (et Auguste) était due notamment au fait qu'il offrait à bouffer (et un peu de pouvoir politique) au peuple et aux troupes quand les autres étaient des aristos dans leur bulle.
fr.wikipedia.org/wiki/Populares…