Thread by @malopedia

Quelques réflexions de bas niveau sur la « suppression » de l’ENA 👇

Commençons par rappeler l’important : l’ENA est autant supprimée que le CICE. C’est à dire pas du tout. On change un peu la forme, on renomme, on entourloupe celles et ceux qui font pas gaffe, mais rien de fondamental ne change.

https://twitter.com/malopedia/status/1380201312218984455

Et encore, c'est SI la réforme promise a lieu hein, parce que bon...

https://twitter.com/Nicolasbdf/status/1380048010101592067

Ceci étant dit.
La critique de l’ENA est souvent floue, indéfinie, parce que l’ENA est un symbole (à l’analyse, pas forcément le meilleur) de ce qui roule mal dans notre pays.

En réalité, tous les énarques ne sont pas les mercenaires qu’on dit qu’ils sont, tous ne deviennent pas présidents de la République, tous ne pantouflent pas, etc. Des énarques très bien, avec le sens de l'intérêt général, j'en connais quelques uns. J'en connais des nazes aussi.

Bref, comme toutes les généralités, les généralités sur l’ENA ne valent qu’en général. Personnellement, ma critique est très ciblée : une part trop importante du personnel politique et de la très haute administration vient d’un seul endroit.

Quelle part, d’ailleurs ? Impossible à dire, j'avoue que c'est un ressenti. J’avais voulu le mesurer il y a 3-4 ans, j’avais récupéré des listes type tous les parlementaires de la 5ème, tous les ministres, tous les préfets, etcaetera, ...

Et je voulais passer (avec un programme) tous les noms dans l’annuaire de l’ENA.
Mais à l’époque il n’existait qu’en papier. Cela dit, je viens de vérifier et il existe en ligne aujourd’hui, je vais peut être relancer ce projet du coup !

Soyons clairs : il n’est pas question de dire “tous les politiques ont fait l’ENA” (parce que c’est faux), mais de dire qu’une part trop grande du personnel pol/techno vient d’un seul endroit.

Fun fact, à cette critique, “trop de politiques viennent de l’ENA”, j’avais vu il y a quelques années un entretien (que je n'ai pas réussi à retrouver) d’une directrice (probablement Nathalie Loiseau j’imagine, mais je ne la connaissais pas à l’époque donc j’ai pas retenu)

Elle répondait “c’est faux, la majorité de nos élèves ne vont pas en politique mais ailleurs”
Belle pirouette rhétorique !

... parce que complètement hors sujet : c’est une réponse à “trop d’énarques vont en politique”.
Or ce n’est pas du tout la critique, la critique c'est “trop de politiques sont énarques”. Pas du tout la même chose.

Dans cette interview, il y avait également un couplet sur le sens de l’intérêt général des énarques, avec l’argument habituel de "les 3/4 des énarques n’ont jamais pantouflé"...

Bien sûr sans préciser que si on s’intéresse à ceux qui comptent, genre les inspecteurs des finances, ça chutait à quelque chose comme 40%.

(Accessoirement, j’ai toujours trouvé ça insultant pour les gens qui, quand ils avaient la possibilité d’aller dans le privé, ont choisi l’université. Ou ceux qui ont choisi l'administration sans obligation. Je doute beaucoup moins de leur sens de l’intérêt général, perso.)

Je diverge, je disais : il est question de dire une part trop grande du personnel pol/techno vient d’un seul endroit.

Et le problème n’est en fait pas tellement que ce soit l’ENA en particulier... mais qu’il s’agisse d’un seul endroit.

Peu importe de l’endroit en fait. Le problème n’est pas, per se, l’enseignement qui a lieu à l’ENA. Il est plutôt d'un bas niveau d'ailleurs, de l'aveu d'intéressés, qui racontaient n'avoir rien appris à l'école.

Je l'ai appris à ma grande surprise en tombant par hasard sur ce bouquin (que j'ai fini par emprunter à la BU plutôt que le manuel de droit administratif que je venais chercher. Ca explique sans doute pourquoi j'ai eu genre 8)
babelio.com/livres/Jacquem…

Le souci est le réseau et l’aura de l’école, et ce qu’ils permettent. Et, par ce que ce réseau et cet aura permettent, l’enseignement devient un problème, puisque du coup l’idéologie livrée avec cet enseignement devient majoritaire dans les lieux de pouvoir.

(Et pour être clair, ce serait une idéologie de gauche, je préfèrerais évidemment... mais ça me dérangerait quand même. Il faut de la variété, de la diversité, pour une bonne délibération.)

Mais donc en soit, l’endroit importe peu. D'ailleurs, il faut être naïf pour croire qu’il suffit de supprimer l’ENA pour régler des problèmes. Si elle était rasée demain, une autre école la remplacerait dans son symbole : Polytechnique, Ulm, HEC, l’ENSAE, j’en sais rien...

C’est pour les mêmes raisons que je ne suis pas non plus fan des masters formant à être collaborateur d’élu : il doit y en avoir, je sais pas, 30 en France, qui forment chacun 30 étudiants par an. Leurs réseaux et auras sont donc moins puissants, et j’ai donc moins d’hostilité...

(Et aussi parce que d’un M2 à l’autre, les formations et les réseaux sont diversifiés : ce ne sont pas 900 personnes au même endroit, du même creuset social, dans les mêmes diners, entendant le même discours.)

Mais quand même, l’esprit reste similaire : dans chacun de ces masters, de petites promotions apprennent les mêmes codes, et trouveront pour certains de la place grâce à des anciens.

NB : plein de masters et d’écoles fonctionnent comme ça dans le privé aussi hein, et c’est aussi un truc que j’aime pas. Mais que 50% des cadres de l’Oréal viennent d'HEC, bon, ça nourrit moins une défiance de la République quoi. Alors que la haute administration de l’Etat...

Donc bref, si vous trouverez sans doute des tweets de moi où je parle de suppression de l’ENA, c'est pour aller vite : en vérité, je ne pense pas qu’il suffise de rayer l’école de la carte.

Non, à mon avis, ce qu’il faudrait, c’est que la haute administration de l’Etat recrute de manière plus diversifiée, tant du point de vue du réseau, que de la formation.
Il faudrait en fait un cinquantaine d'ENA différentes, partout en France.

Pour éviter que l'une ne soit "l'ENA Paris", il faudrait qu'elles ne soient pas classées entre elles : toutes doivent délivrer une formation de même qualité, un diplôme de même valeur.

Il faudrait aussi que dans chacune, il n’y ait pas 150 élèves par promo mais beaucoup, des milliers, pour éviter que des réseaux intimes se créent.
Et qu'on ne les sélectionne pas sur un critère (un concours) qui revient à être un proxy du capital économique, culturel et social.

C’est fou, ce modèle me rappelle quelque chose, mais j’arrive pas à mettre le doigt dessus... 🤔🤔🤔

Bon, par contre, pour que ça fonctionne, il faudrait absolument garder un financement PAR ETUDIANT égal au financement actuel de l’ENA. C'est juste une idée comme ça.

https://twitter.com/malopedia/status/952195968442740736