Thread by @GregoireSimpson

Suite à ta réponse @bobocendre, je me permets de répondre aux points que tu as soulevé et aussi d’approfondir ma critique. Donc pour ceux que ça intéresserait, on part sur un nouveau thread sur la série de vidéo de Dany Caligula et Cassandre.

https://twitter.com/CassCendre/status/1390357548063133699

1/ D'abord petite précision sur le féminisme matérialisme de Thiers-Vidal que vous avez trouvé critiquable parce qu'il aurait tendance à mettre tous les hommes dans le même sac sans vraiment rendre compte des rapports de force entre les différentes masculinités.

Sur ce point, il me semble pas que Thiers-Vidal nie l'hétérogénéité existante chez les hommes, simplement il n'en fait pas un élément crucial pour comprendre l'oppression des hommes sur les femmes.

Et il n'a rien contre les analyses qui mettent en avant les différentes formes de masculinités, mais seulement contre les analyses qui comme W.-Lang ont eu tendance à utiliser ces différences pour à côté de ça rendre confus voir nier parfois l'oppression masculine.

La preuve c'est qu'il considère les analyses de Connell comme tout à fait pertinentes, puisque chez elle les différentes formes de masculinités ne viennent pas masquer le rapport de domination homme/femme, et au contraire même viennent s'articuler à cette oppression.

Donc rendre compte des différents types de masculinité ce n'est pas du tout un problème, mais c'est embêtant quand ça laisse à croire que les hommes comme les femmes subissent le patriarcat (ce que font Bourdieu et W-Lang par exemple).

2/ D'où mon deuxième point, qui est une critique que je maintiens, à savoir qu'un des gros problèmes dans votre travail est qu'à de nombreuses reprises vous symétrisez la souffrance des hommes et des femmes.

Et le terme de misère sexuelle même pris dans un sens progressiste, celui des mouvements de gauche liés à la libération sexuelle, opère cette symétrisation.

Puisqu'il masque le fait que les violences sexuelles subies par les femmes et les souffrances qui y sont liées ne sont pas comparables aux frustrations et aux problèmes sexuels des hommes.

Aussi, j'ai pris le temps de lire l'article que tu as cité qui contextualise l'usage du terme dans cette perspective de lutte contre la répression sexuelle.

Et je trouve qu'on voit bien dans le texte que le concept est pas du tout taillé pour parler de l'oppression masculine et des violences sexuelles qui en découlent.

En plus de ça la manière très naturalisante de penser la sexualité en terme de besoin qu’on trouve dans les mouvements pour l’émancipation sexuelle peut aussi être tout à fait propice à la reproduction des violences masculines.

Il me semble que les milieux "sexpo" sont assez exemplaires de ce point de vue, parce qu'ils peuvent être particulièrement dangereux pour les meufs étant donné que les rapports de domination peuvent finalement très bien s'y exprimer.

3/ Et du coup j'en viens à un troisième point de critique de votre travail, qui est lié à l'ambiguïté des termes que vous utilisez et au fait que vous visez avant tout un public masculin.

Encore une fois l'exemple du terme de misère sexuel est symptomatique d'un problème qui traverse vos vidéos, d'un côté il symétrise, mais en plus de ça en l'utilisant à destination d'un public masculin vous profitez de sa polysémie et de son sens masculiniste.

Avec ces vidéos vous ciblez effectivement un public masculin, et dans ce public vu votre cadrage (les thématiques, les vignettes, les tournure des titres) il me semble que vous visez aussi un public limite masculiniste (genre perméable au discours des incels et autres mascu).

Et en utilisant un terme comme celui de misère sexuel sans affirmer franchement que son usage masculiniste est oppressif et injustifié vous entretenez une ambiguité qui va plaire à tout un public de mecs qui ne va pas se sentir remis en question.

En faisant ça vous fournissez du coup à votre public masculin une version déformée et édulcorée du féminisme qui leur permet de renforcer leur biais masculinistes tout en se sentant plus déconstruits.

En brossant ce public dans le sens du poil il me semble d’ailleurs que vous avez vous aussi beaucoup à y perdre, parce que vous risquez de renforcer vos propres biais masculinistes.

Et ça en reproduisant finalement les mêmes problèmes (focalisation sur soi et occultation de l'oppression) qui se jouent dans les réunions non mixtes d'hommes, et que Thiers-Vidal a bien critiqué dans ses productions.

4/ D'où une quatrième critique que je vous ferais, qui tient pas tant à vos vidéos, qu'à votre manière de recevoir les critiques sur celles-ci.

Pour avoir visionné certains de vos lives à la suite de la publication des vidéos, j'ai trouvé que vous aviez tendance à évacuer complètement les critiques qui vous étaient faites.

Et ça en gros de deux manières. D'un côté en estimant que finalement les personnes qui considéraient votre contenu comme masculiniste ou qui vous reprochaient de pas parler de patriarcat avaient rien compris à votre positionnement.

Et de l'autre en estimant que les critiques étaient finalement des attaques personnelles contre Dany, et que c'était juste parce qu'il était "cancel" que tout ce qui était dit dans la vidéo était extrapolé.

Alors que ces critiques, parfois virulentes et injurieuses, pointaient finalement assez bien les problèmes de symétrisation et d'ambiguité de votre contenu, dans un langage certes moins académique et moins poli que le mien.

Mais même en dehors du contenu de ces critiques, le fait que votre vidéo fasse réagir de manière virulente des meufs féministes est déjà très alarmant.

Puisque ça veut dire quand même que votre contenu a choqué/heurté toute une partie des personnes pour qui le féminisme est un enjeu vital (et pas un juste un enjeu de déconstruction de soi).

Et le fait que vous sembliez ne pas prendre ça en compte est quand même assez inquiétant.

Tout se passe comme si vous preniez le risque de faire sécession et aviez choisis de ne plus rendre de comptes à ces critiques féministes.

Alors que le fait de rendre des comptes constamment aux féministes est indispensable pour contrer les biais masculinistes et penser de manière adéquate le genre et les rapports de domination entre genre (cf. le thread sur Thiers-Vidal qui était à la base de ma critique).

Bref, en résumé, il me semble que votre travail souffre sérieusement de la symétrisation des problèmes homme/femme et de l’ambiguité de votre masculinisme.

Et que vous ne pouvez pas écarter les critiques qui vous ont été faites sans prendre de gros risques sur le plan de l'analyse mais aussi et surtout sur le plan politique.

Ah zut, j'ai même pas été capable de mettre le bon tag, c'était bien @CassCendre !

matérialiste*