Hilda regarde le tribunal d'un air hagard. Difficile de déterminer si elle ne comprend pas les questions du tribunal ou si elle feint de ne pas comprendre la manière dont le président cherche à la pousser dans ses derniers retranchements... Ayant lu le dossier, je penche
pour la 2ème solution. Hilda a une bonne cinquantaine, cheveux gris au carré et air inoffensif, vraiment aucune raison de se méfier d'elle. Et pourtant je lui reproche un nombre important d'infractions : vols, escroqueries, abus de faiblesse, falsification de chèques...
Hilda a travaillé des décennies dans une usine, à la chaîne, jusqu'au jour où son entreprise a fermé. Des années de dur labeur pour un salaire modeste, une prime de licenciement sans commune mesure avec tout ce que représentait sa vie professionnelle... Le coup de massue.
Hilda n'est pas du genre à se laisser aller : aucune qualification, alors elle postule aux emplois auxquels elle pense pouvoir prétendre, dans d'autres usines, pour faire des ménages... Elle est volontaire et d'un très bon contact : elle est rapidement recrutée
par une entreprise de services à la personne, pour aller chez des personnes âgées qui ne peuvent plus seuls entretenir leur maison. Ca se passe tres bien, Hilda est joviale, serviable, les clients ne tarissent pas d'éloges et elle est très appréciée. Son employeur est ravi.
Elle est intervient chez 1 douzaine de grand-mères & de grand-pères, parfois seuls, parfois en couple. Elle nettoie, astique, lave le linge, repasse, et elle rend des petits services aussi, faire des courses, réceptionner des colis, faire des retraits à la banque... Quelle perle.
Des années que ça dure, le salaire d'Hilda n'est pas mirobolant mais elle se sent utile, et elle ne regrette plus du tout son usine, et les amies qu'elle y avait. Elle ne les voit plus beaucoup, elle est très occupée!
Jusqu'à ce que le fils d'Andrée, l'1 des clientes d'Hilda,
tire la sonnette d'alarme. Sa mère a + de 90 ans, pas une très bonne santé, elle ne sort quasi plus de chez elle. Son maintien à domicile est rendu possible grâce aux interventions d'infirmières & d'aides à domicile, dont Hilda. Or, les comptes d'Andrée ont fondu.
+ de 7000 € ont disparu, ce qui est énorme au vu de sa petite retraite. En questionnant sa maman qui a un peu perdu la notion des dates, des lieux, de la valeur des choses, il a compris qu'Andrée remet parfois sa carte à Hilda, pour acheter le pain, des croquettes pour Mistigri.
Il n'a pas trouvé les relevés de comptes chez Andrée - bizarre d'ailleurs. La banque les lui a communiqués et quelle surprise de constater des retraits réguliers de plusieurs centaines d'€, des chèques de montants importants... Il comprend mieux l'état des comptes.
Il dépose plainte au commissariat, et très vite l'enquête accable Hilda. C'est elle l'auteur des retraits, les chèques sont versés sur son compte, elle a même fait des achats avec la carte bancaire d'Andrée sur internet, et les a fait livrer à son domicile...
Elle aurait voulu se faire prendre, elle ne s'y serait pas prise différemment. Les policiers jettent un oeil aux comptes des autres personnes âgées dont Hilda s'occupe, et surprise, elle a procédé de la même manière avec plusieurs d'entre eux... Pas tous cependant.
Les policiers pensent rapidement comprendre pourquoi : les clients d'Hilda suffisamment en forme pour gérer leur quotidien n'ont été victimes de rien. Mais les autres, les fragiles, les malades, ceux dont les proches ne surveillent guère la manière dont ils sont pris en charge...
Tous ont vu leurs comptes vidés de sommes + ou - coquettes, en fonction de leurs moyens. Carte bancaire subtilisée ou prêtée pour faire de menus achats, chèques falsifiés, virements de compte à compte... Les enquêteurs trouvent même deux assurances vies souscrites par 2 victimes
au profit d'Hilda, 2 victimes octo et nonagénaire que les policiers vont avoir du mal à auditionner au vu de leur état de grande confusion.
La plupart des personnes âgées ne se sont rendues compte de rien et chantent les louanges de leur aide à domicile, tellement gentille!
Les enquêteurs et moi-même sommes forcément largement moins enthousiastes... Il semble qu'Hilda ait, par divers moyens, détourné près de 40000€ en tout. Certaines victimes ont leur compte dans le rouge... Elle est placée en garde-à-vue. Oh elle tente d'éluder au début, bien sûr.
Ce n'était que des gratifications, des libéralités dont les clients lui ont demandé de ne parler à personne. C'était pour la remercier des services qu'elle rendait en plus de ses attributions, les cadeaux ce n'est pas interdit si ? Les enquêteurs font valoir que beaucoup
des victimes ne comprennent plus la valeur des choses, sont affaiblies, et ne pouvaient se permettre de telles dépenses. Hilda affirme ne pas s'en être doutée 1 instant, ses clients se portaient très bien et insistaient pour l'aider, femme de ménage ça ne paie pas beaucoup
et les fins de mois sont difficiles...
La perquisition balaye l'argumentaire d'Hilda : les relevés de comptes qu'elle prenait dans la boîte aux lettres pour rendre plus discrètes les opérations bancaires et achats qu'elle réalisait à l'insu des victimes, les cartes bancaires
ou chéquiers de certaines d'entre elles, battant en brèche l'hypothèse de libéralités librement consenties, & 1 nombre incalculable de vêtements, chaussures, appareils de cuisine, robots ménagers, le tout représentant des sommes importantes... Hilda a aussi gâté ses enfants.
Elle reconnaît du bout des lèvres avoir sans doute exagéré, ça a commencé par des cadeaux qu'elle n'a pas su refuser puis elle a pris goût à 1 certain niveau de vie et a en effet "emprunté" certaines sommes sur les comptes. Elle a toujours eu l'intention de tout rendre,
d'ailleurs elle va le faire. Déférée devant moi à l'issue de sa garde-à-vue & placée sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer l'activité professionnelle dans le cadre de laquelle elle a commis les infractions reprochées, elle a attendu l'audience plusieurs mois.
Et nous voilà : elle a clairement décidé de jouer la carte de la naïveté, elle ne s'est pas rendue compte des dégâts qu'elle pouvait causer, elle s'est laissée emporter, pas l'habitude de pouvoir se faire plaisir comme ça et ces personnes âgées n'en faisaient rien de cet argent.
Aucune victime n'est présente, 2 sont représentées par un avocat qui vient expliquer le sentiment de trahison qu'elles ont ressenti, le manque des sommes dérobées par Hilda pour subvenir à leurs besoins quotidiens. La prévenue n'a pas de réaction. Je fulmine dans mes réquisitions
tant le fait d'avoir profité de la vulnérabilité de ces personnes âgées, déjà tant fragilisées, me révolte.Quand Hilda est condamnée à 1 peine mixte avec 1 partie de sursis probatoire & obligation d'indemniser les victimes et interdiction d'exercer cette activité professionnelle
à titre définitif, c'est le seul moment de l'audience où je la vois réagir, blêmir et se retourner en panique vers son avocat.

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31 May
Il faudrait donc faire plus en matière de violences conjugales, mieux, plus vite.
Sur mon ressort le commissariat a 1 cellule de lutte contre les violences conjugales. 2 OPJ, 2 APJ, pour le flag, les enquêtes préliminaires, les commission rogatoires. Ils ont des dizaines
de dossiets et on jongle. Quelle situation paraît la plus critique, explosive ? Laquelle prioriser? Comment ne pas laisser de côté les victimes qui ne déposent pas plainte, qu'il faut essayer de convaincre de venir pour être auditionnées, alors qu'on n'arrive pas à traiter
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23 May
Audience correctionnelle, mes 3 collègues du siège regardent avec attention Laura, partie civile dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. Laura est architecte. Elle est habillée sobrement, bien coiffée, elle s'exprime bien. Le monde de la justice lui était jusqu'alors inconnu.
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21 May
Substitut en charge des mineurs, je suis aujourd'hui présente dans le bureau de ma collègue juge des enfants, qui a souhaité ma présence. Elle reçoit aujourd'hui une famille que je connais déjà : le mois dernier, j'ai fait juger le père, Aziz, en comparution immédiate.
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17 May
Cabinet d'instruction, début d'après-midi. Aujourd'hui je me penche sur un dossier qu'on peut qualifier d'"ancien" dans mon cabinet : je ne l'ai pas débuté, ni mon prédécesseur avant moi. La procédure en est à son troisième juge. 6 ans. 6 années d'information judiciaire...
Plus de 5 années de contrôle judiciaire aussi pour le mis en examen que j'ai convoqué cet après-midi, pour ce que j'espère être le dernier acte avant la clôture du dossier, le dernier interrogatoire au fond. Je me suis entretenu avec l'1 de ses 2 avocats au détour d'un couloir.
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17 May
Il semble que l'idée de filmer la justice, et de la diffuser, soit pour certains séduisante. Je disconviens.
Certains procès (assises particulièrement) sont enregistrés.
C'est la diffusion qui me pose problème. Je n'ai aucune difficulté a assumer ce que je dis à l'audience
malgré 1 langage parfois fleuri, 0 souci pour l'enregistrement.
Mais pour la diffusion, profond désaccord. Et personnellement je m'y opposerai.
La plupart des procès sont publics, je n'ai aucun problème avec ça. Cela suppose pour les spectateurs 1 volonté de se déplacer.
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14 May
Comparution immédiate ; je suis juge d'instruction et je siège aujourd'hui en tant qu'assesseur, comme une a deux fois par semaine. Le ressort où j'officie est marqué par une délinquance très forte, la Cour d'Assises est très chargée et ses délais sont très longs...
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