Thread by @Enthoven_R

L'indignation suscitée chez Jean-Luc #Melenchon par l’édition critique de Mein Kampf (Merci @EditionsFayard !) est intéressante, parce qu'elle est anti-marxiste. 👇🏿

https://twitter.com/JLMelenchon/status/1430819326576168962

JLM récuse l’argument de « l’appareil critique ». En faisant valoir que c’est de la foutaise qui masque l’appât du gain (bien que, dans l’édition de Fayard, le texte soit publié sous le titre peu engageant : « Historiciser le mal »)

En vérité, plus qu'y voir le cache-sexe d’un texte immonde, ou une façon de masquer la bête sous des dorures expertes, Mélenchon récuse tout appareil critique sur Mein Kampf par définition. « Le nombre de morts, c’est l’appareil critique ! »
actu.orange.fr/politique/vide…

Autrement dit : exit (exeunt) les milliers de travaux sur ce texte, sur les conditions de sa rédaction, sur son contenu, sur sa valeur programmatique et surtout, sur ses effets ! L’horreur impose qu’on lui tourne le dos sans tenter de la décrypter. Soit.

Mieux vaut laisser le même texte circuler sous le manteau, s’écouler par milliers d’exemplaires chaque année sans le moindre commentaire. Tant qu’on est contre sa publication, on se fout bien de savoir si les gens le lisent ou pas ! La conscience est en paix. 😇

Tel Jean-Jacques refusant, dans sa Lettre sur les Spectacles, de « montrer au peuple des forfaits qu’il ne devrait pas supposer possibles » (il songeait à Phèdre), Jean-Luc refuse de montrer aux gens un texte monstrueux. Il préfère que les gens le lisent en cachette, tout seuls

Rappelons que Mein Kampf est déjà largement disponible, accessible en deux clics, autorisé à la vente, et qu’on le trouve ici ou là, en librairie, dans une édition qui date de 1934. Ce qui donne lieu à de fameux quiproquos.

L’argument de Jean-Luc Mélenchon (qu’il faut prendre au sérieux) est de dire qu’un tel livre est bâti pour convaincre son lecteur et qu’on peut imputer à l’ouvrage les six millions de morts du génocide juif. Autrement dit, qu’on peut devenir nazi en lisant Mein Kampf. 🤨

A moins de l’être déjà, les 2500 français qui achètent ce livre chaque année ne deviennent pas 2500 nazis... Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est que, dans sa critique, JLM prête à ce livre la puissance de convertir son lecteur.

Autrement dit, le nazisme lui-même ne serait pas apparu si un fou n’avait pas écrit un livre tellement fort qu’il a converti à sa cause des millions d’électeurs allemands... 🤔

Que ce livre soit le texte le plus stupide et le plus abject du XX siècle, nul n’en doute. Mais que sa parution ait eu en elle-même des effets dévastateurs sur les consciences, c’est prêter à une œuvre stupide un pouvoir stupéfiant.

Mais soit ! Accordons à l’insoumis que Mein Kampf est susceptible, encore au XXI siècle, de transformer son lecteur en nazillon. Si on va au bout de sa logique, si on diabolise ce livre Mein Kampf, si on mythifie son efficacité au point d’en refuser la publication critique…

Alors ça veut dire que les conditions sociales, le Traité de Versailles, la crise de 1923, la décadence, bref : tous les facteurs socio-économiques de l’époque passent APRES Mein Kampf dans la production du nazisme lui-même !

D'un point de vue strictement (et pertinemment) marxiste, ce n’est pas parce qu’il a été convaincu par Mein Kampf que le peuple allemand a adhéré au nazisme, mais c’est pour punir les puissants qui l’ont exploité et qui le laissent dans la misère !

On ne peut pas à la fois tenir le vote des Allemands en 1933 comme le résultat de la misère (de la décadence et de la corruption sous Weimar), tout en faisant d’un livre paru en 1925 la cause de leur vote huit années plus tard.

Bref, tenir Mein Kampf pour un ouvrage dangereux qu’il ne faudrait pas mettre entre toutes les mains, ou préférer l’indignation à la dissection de l’infâme, c’est prendre les gens pour des imbéciles.